Le droit à une décision fixant les tarifs d’électricité à payer à un gestionnaire de réseau de distribution (art. 22 al. 2 let. a LApEl)
ATF 142 II 451 – TF, 20.07.2016, 2C_681/2015*, 2C_682/2015*
La seconde partie de cet arrêt, qui traite de la répartition des coûts imputables du gestionnaire de réseau de distribution entre les consommateurs finaux avec approvisionnement de base et les consommateurs finaux libres, ainsi que de la réduction des frais d’exploitation, a été résumée ici : www.lawinside.ch/312.
Faits
VonRoll SA se fournit en électricité auprès de la Centralschweizerische Kraftwerke AG (CKW). En 2009, vonRoll SA demande à la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) de rendre une décision constatant l’obligation faite à la CKW de lui fournir, vu sa qualité de consommatrice finale avec approvisionnement de base, de l’énergie électrique en tout temps et à un prix déterminé par la ElCom ou une autorité judiciaire.
Quelque temps après et suite à diverses indications de consommateurs, la ElCom ouvre d’office une procédure de contrôle des tarifs d’électricité de la CKW pour l’année 2008/2009, puis pour les années suivantes.
En 2011, la CKW reconnaît la prétention d’approvisionnement de base de vonRoll SA et fixe un tarif pour les gros consommateurs avec approvisionnement de base, avec l’intention de l’appliquer à la société. VonRoll SA refuse d’admettre ce tarif et maintient qu’il revient à la ElCom de déterminer le prix auquel la CKW doit lui fournir l’électricité. Suite à la résolution de la question de l’approvisionnement de base, la ElCom communique à vonRoll SA le classement de la procédure et le traitement de ses griefs restés litigieux dans le cadre des procédures de contrôle des tarifs ouvertes d’office.
Après des échanges ultérieurs, vonRoll SA dépose en 2013 un recours pour déni de justice auprès du TAF et demande à ce qu’ordre soit donné à la ElCom de traiter sa requête de fixation du tarif pour l’approvisionnement en énergie électrique. Peu après, la ElCom rend une décision partielle à propos des coûts d’énergie imputables de la CKW pour l’année 2008/2009. Elle reconnaît 199’685’849 francs de coûts imputables (corrigés devant le TAF : 200’775’677 francs) et ordonne que les suppléments encaissés soient utilisés pour diminuer les tarifs d’électricité. En outre, elle rejette les requêtes de vonRoll SA concernant la fixation d’un tarif, la répétition de l’examen du tarif et la consultation des documents.
La CKW recourt contre cette décision auprès du TAF et demande à ce que le chiffre du dispositif fixant les coûts imputables soit annulé et que ceux-ci soient fixés à 204’057’730 francs. VonRoll SA recourt également en exigeant à nouveau que la ElCom traite formellement et matériellement sa requête de manière complète. Après avoir joint les trois recours, le TAF rejette les recours de vonRoll SA, admet celui de la CKW et renvoie la cause à la ElCom pour clarification de l’état de fait et nouvelle détermination des coûts d’énergie imputables.
VonRoll SA ainsi que le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) recourent au Tribunal fédéral contre cette décision. VonRoll SA demande l’annulation complète de l’arrêt et le renvoi à l’autorité précédente. Le DETEC demande l’annulation de l’arrêt et la fixation des coûts d’énergie imputables pour la CKW à 200’775’677 francs.
Le Tribunal fédéral, d’une part, déterminer si vonRoll SA a droit à une décision fixant le prix de l’électricité qu’elle doit payer à la CKW et, d’autre part comment doivent avoir lieu la répartition des coûts imputables du gestionnaire entre les consommateurs finaux avec approvisionnement de base et ceux libres, ainsi que la réduction des frais d’exploitation imputables (sur cette seconde question, cf. www.lawinside.ch/312).
Droit
L’entrée en matière sur le recours pour déni de justice suppose que le recourant dispose de la qualité de partie et donc qu’il ait droit au prononcé de la décision requise. Le TAF a nié la position de partie de vonRoll SA et a refusé d’entrer en matière sur le recours pour déni de justice. Il a ainsi nié sur le fond le droit de vonRoll SA au prononcé de la décision requise et, malgré la non-entrée en matière formelle, tranché matériellement la question qui constituait l’objet du litige du recours pour déni de justice. Cette question peut dès lors également être examinée par le Tribunal fédéral. Si celui-ci reconnaît la qualité de partie à vonRoll SA, le droit d’être entendu de la recourante devra lui être restitué et la cause renvoyée à l’instance précédente pour un traitement de la question sur le fond, avant que le recours du DETEC ne soit tranché. Dès lors, il convient de traiter en premier lieu du recours de vonRoll SA.
Sur le fond, le Tribunal fédéral doit déterminer si vonRoll SA, en tant que consommatrice finale ayant renoncé à l’accès au réseau (art. 6 al. 1 LApEl), a droit à une décision fixant le prix de l’électricité qu’elle doit payer à la CKW.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler que la qualité pour recourir appartient à quiconque a participé à la procédure devant l’instance précédente ou n’a pas eu la possibilité de le faire, est particulièrement touché par la décision attaquée et dispose d’un intérêt digne de protection à son annulation ou sa modification (art. 48 PA, art. 89 LTF). Selon la jurisprudence, lorsqu’une autorité fixe ou approuve un tarif, les vendeurs et les acheteurs de la prestation tarifée sont en principe légitimés à contester celui-ci. En revanche, tel n’est pas le cas lorsque l’autorité n’adopte pas ou n’approuve pas obligatoirement le tarif ou le prix, mais n’intervient que dans certaines circonstances dans la détermination du prix, comme c’est par exemple le cas en droit de la concurrence et de la surveillance des prix. Dans un tel cas, les consommateurs n’ont pas la qualité de partie.
En l’espèce, il convient de distinguer entre la procédure au cours de laquelle la ElCom a fixé d’office les coûts d’énergie imputables de la CKW et la requête de vonRoll SA demandant à la ElCom de fixer le prix à payer à la CKW.
Dans la première (art. 22 al. 1 let. b LApEl), la ElCom n’a aucune obligation légale d’approbation des tarifs. Elle intervient comme autorité de surveillance du gestionnaire de réseau de distribution. Dans un tel cas, les parties à cette procédure sont la ElCom comme autorité intervenante et le destinataire de la mesure de surveillance, c’est-à-dire le gestionnaire. Les consommateurs de courant sont au contraire de simples tiers. Les coûts imputables du gestionnaire entrent certes dans le calcul du tarif d’électricité, mais leur détermination ne fonde pas directement de droits ou d’obligations pour les consommateurs. Ceux-ci sont donc seulement indirectement et également touchés. En conséquence, les consommateurs d’énergie n’ont pas la qualité de partie dans la procédure par laquelle la ElCom fixe d’office les coûts imputables d’un gestionnaire d’un réseau ou d’un fournisseur d’électricité. Il en résulte que vonRoll SA n’a pas la qualité de partie dans la procédure ouverte d’office par la ElCom et que le recours du DETEC à ce sujet pourra donc être traité sans que le droit d’être entendu de vonRoll SA ne lui soit restitué (cf. www.lawinside.ch/312).
Dans la seconde procédure, l’action de la ElCom se fonde sur l’art. 22 al. 2 let. a LApEl, qui dispose que l’autorité statue en cas de litige. Or, il ne peut s’agir d’un litige entre la ElCom et le gestionnaire de réseau ou le fournisseur d’électricité ; la ElCom est au contraire instance de décision entre les deux parties qui lui présentent un litige. D’après la lettre claire de la loi, si un litige à ce propos lui est soumis, elle doit statuer sur les tarifs d’électricité. Dans un tel cas, le litige impliquera logiquement celui qui facture les prix tarifés (le gestionnaire de réseau ou le fournisseur) et celui qui les paie (consommateur final). Le fournisseur et le consommateur final ont ainsi nécessairement la qualité de partie. Ils ont en conséquence droit à la décision qu’ils demandent (art. 29 al. 1 Cst.). Cela ressort également de l’interprétation conforme à la Constitution de l’art. 22 al. 2 let. a LApEl : les tarifs des réseaux de transport et de distribution (art. 14 ss LApEl) ainsi que les tarifs d’énergie dans le cadre de l’approvisionnement de base (art. 6 LApEl) sont exhaustivement (à l’exception de l’approvisionnement des collectivités publiques) réglés par le droit public fédéral et soumis à la réglementation de la ElCom. Les tribunaux civils ne sont pas compétents pour connaître des litiges y relatifs et les autorités de surveillance des tarifs cantonales ne sont plus admises. Si la ElCom ne pouvait pas entrer en matière sur de tels objets, il n’y aurait aucune procédure pour statuer sur ces litiges, ce qui serait manifestement un résultat contraire à la Constitution (art. 29a Cst.).
Au vu de ce qui précède, vonRoll SA avait droit à une décision de la ElCom dans le cadre de son litige l’opposant à la CKW à propos du tarif d’électricité. La ElCom a cependant rejeté la demande et refusé d’entrer en matière. La demande de vonRoll SA reste donc d’actualité et le recours pour déni de justice est fondé. Partant, la cause doit être renvoyée à la ElCom pour traitement du cas sur le fond (art. 107 al. 2 LTF). VonRoll SA devra notamment bénéficier du droit de consulter les pièces selon les art. 26 – 28 PA. En revanche, en tant que consommatrice finale, vonRoll SA n’a pas la qualité de partie dans la procédure de fixation d’office des coûts d’énergie imputables de la CKW. Le Tribunal fédéral peut donc examiner sur le fond le recours du DETEC (cf. www.lawinside.ch/312), le droit d’être entendu de vonRoll SA ne devant pas être restitué sur ce point.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, Le droit à une décision fixant les tarifs d’électricité à payer à un gestionnaire de réseau de distribution (art. 22 al. 2 let. a LApEl), in: https://lawinside.ch/311/