La révocation de l’autorisation d’établissement en cas de renonciation à l’expulsion par le juge pénal

ATF 146 II 1TF, 18.11.2018, 2C_1154/2018*

La révocation de l’autorisation d’établissement par une autorité administrative viole l’art. 63 al. 3 LEI lorsqu’elle se fonde sur des infractions pour lesquelles la personne concernée a déjà été condamnée par le juge pénal, si celui-ci avait alors renoncé à prononcer une expulsion au sens de l’art. 66a al. 2 CP.

Faits

Un ressortissant kosovare et serbe réside depuis 24 ans en Suisse, où il est né, sur la base d’une autorisation d’établissement régulièrement renouvelée. Entre 2008 et 2016, il est condamné à de nombreuses reprises pour diverses infractions pénales. En 2016, le Service de la population du canton du Valais révoque son autorisation d’établissement. Deux ans plus tard, l’intéressé est condamné à une peine privative de liberté de deux ans en raison de différentes infractions, mais le Tribunal d’arrondissement renonce à l’expulser de Suisse. Peu de temps après, le Conseil d’Etat valaisan confirme la décision de 2016 du Service de la population de révoquer l’autorisation d’établissement de la personne concernée.

L’intéressé attaque cette dernière décision auprès du Tribunal cantonal du Valais. Le Tribunal cantonal conclut au rejet du recours, estimant que le fait que le juge pénal ait renoncé à l’expulsion était dénué de pertinence, car celui-ci n’aurait pu prendre en compte que l’infime partie des infractions commises après l’entrée en vigueur du nouvel art.Lire la suite

L’action en remise de gain contre le gérant auteur d’une infraction pénale

TF, 12.11.2019, 4A_88/2019

Lorsque le gérant commet une infraction pénale au détriment d’un tiers, la part du profit qui en découle (soit le produit de l’infraction) ne doit pas être restituée au maître. Dans cette situation, le comportement du gérant, qui s’est enrichi illégitimement aux dépens du tiers, donne naissance à un (nouveau) fondement juridique permettant (exclusivement) au tiers de faire valoir sa prétention tendant au remboursement du montant qu’il a versé sans cause.  

Faits

Sur la base d’un contrat de distribution, une société suisse s’engage à distribuer sur le territoire helvétique pour le compte d’une société française des cartes destinées à décrypter le signal audiovisuel des chaînes de télévision proposées par la société française. En marge de cette relation contractuelle, l’administrateur unique de la société suisse réalise pour son propre compte la vente d’abonnements à des clients suisses. Pour recevoir les cartes permettant de décrypter les chaînes souhaitées, il conclut des abonnements au nom de clients fictifs, reçoit de la société française les cartes permettant le décryptage et les remet à ses clients réels en Suisse. Les cartes sont activées par la société française lorsque le prix officiel de l’abonnement lui est versé. L’administrateur facture aux clients suisses des montants supérieurs à ceux prévus par la société française pour les abonnements, verse le prix officiel à la société française, et conserve la différence.… Lire la suite

La notion « d’incapacité permanente de travail » et le droit de demeurer à titre permanent en Suisse

ATF 146 II 89 | TF, 12.11.2019, 2C_134/2019* 

Si l’office AI considère qu’un ressortissant européen conserve une capacité de travail entière dans une activité autre que celle qu’il avait l’habitude d’exercer, il n’y a pas « d’incapacité permanente de travail » au sens de l’art. 2 ch. 1 let. b du Règlement Nr. 1251/70.

Faits

Un ressortissant portugais travaille en Suisse en tant que saisonnier depuis 1995. Il est au bénéfice d’un permis de séjour pour ressortissants de l’UE/AELE, prolongé à plusieurs reprises. En 2017, l’autorité des migrations du canton de Lucerne lui refuse le prolongement de son permis de séjour, décision confirmée par le Kantonsgericht Luzern. Par ailleurs, ce dernier considère que l’intéressé ne peut pas prétendre à un droit de demeurer en Suisse dans la mesure où il conserve une capacité de travail entière dans une autre activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, conformément à un rapport établi par l’office AI du canton de Lucerne.

Considérant que la notion « d’incapacité permanente de travail » ne doit s’examiner qu’en relation avec le métier habituel du travailleur, l’intéressé saisit le Tribunal fédéral. Celui-ci est amené à déterminer si seule l’activité antérieure de l’intéressé doit être prise en considération ou si une autre activité peut également entrer en compte dans l’examen de « l’incapacité permanente de travail » au sens de l’art.Lire la suite

L’injure par voie de bulletins de versements

TF, 17.12.2019, 6B_1232/2019

L’utilisation de neuf bulletins de versement comportant chacun une lettre du mot « Arschloch » constitue une injure et est donc punissable.

Faits

Un débiteur est condamné à payer la somme de CHF 1’957.50 à un créancier. Pour exécuter le paiement, le débiteur emploie neuf bulletins de versement en indiquant sur chacun une lettre du mot « Arschloch« . Le débiteur est condamné pour injure par le Ministère public et, sur opposition, par les deux instances cantonales.

Il recourt alors au Tribunal fédéral qui doit préciser la portée de l’infraction d’injure (art. 177 CP).

Droit

Le Tribunal fédéral confirme d’emblée que le mot composé par les différentes lettres contenues dans les bulletins de versement représente un jugement de valeur qui doit être qualifié d’injure au sens de l’art. 177 al. 1 CP. Pour rappel, cette disposition réprime les actes de celui qui, de manière autre que ce qui est prévu aux art. 173 à 176 CP, par la parole, l’image, les gestes ou par des voies de fait, attaque quelqu’un dans son honneur. En l’espèce, l’injure a eu lieu par la parole.

Le Tribunal fédéral balaye l’argument du recourant selon lequel l’ordre des mots utilisés était aléatoire.… Lire la suite

La détention pour des motifs de sûreté ordonnée en vue d’une décision judiciaire ultérieure indépendante

CourEDH, 03.12.19, Affaire I.L. c. Suisse (requête no. 72939/16)

La détention pour des motifs de sûreté ordonnée en vue d’une décision judiciaire ultérieure indépendante ne repose à ce jour sur aucune base légale. Ainsi, le prononcé d’une telle mesure viole l’art. 5 § 1 CEDH.

Faits

En 2011, le Tribunal régional du Jura bernois-Seeland prononce une mesure thérapeutique institutionnelle à l’encontre d’un prévenu condamné pénalement. En mai 2016, la section de l’application des peines et mesures de l’office de l’exécution du canton de Berne demande la prolongation de cette mesure thérapeutique institutionnelle pour cinq ans. Dans l’attente de cette décision, faisant suite à une demande du Tribunal régional, le Tribunal des mesures de contrainte du Jura bernois-Seeland ordonne en juin 2016 la détention du condamné pour des motifs de sûreté jusqu’en septembre 2016.

Considérant que sa détention pour motifs de sûretés constitue une privation de liberté sans base légale, le condamné forme un recours à la Cour suprême du canton de Berne puis au Tribunal fédéral, tous deux rejetés. Selon le Tribunal fédéral, la prolongation d’une mesure institutionnelle se fait par une décision judiciaire ultérieure indépendante au sens des art. 363ss CPP. Ces articles ne contiennent certes pas de règle spécifique sur le prononcé de la détention pour des motifs de sûreté, mais le Tribunal fédéral affirme qu’une application par analogie des art.Lire la suite