Le droit de consulter les ordonnances pénales non entrées en force

TF, 18.09.2025, 7B_631/2023*

L’art. 69 al. 2 CPP ne garantit aucun droit aux tiers de consulter les ordonnances pénales non entrées en force. Leur consultation est soumise aux règles applicables à la consultation du dossier pénal, en particulier à l’art. 101 CPP.

Faits

Le 9 juin 2023, le Ministère public de la République et canton de Genève reconnaît, par ordonnance pénale, une personne coupable de faux dans les titres. La prévenue forme opposition.

Des tiers demandent à consulter l’ordonnance pénale. Ils invoquent, à l’appui de leur demande, la directive A.7 du procureur général genevois, laquelle permet aux journalistes accrédités d’obtenir une copie non anonymisée d’une ordonnance pénale frappée d’opposition, dans un délai de 30 jours après son prononcé.

La prévenue requiert alors, le 15 juin 2023, que l’ordonnance pénale ne soit pas communiquée à des tiers, en particulier aux médias. Cette requête est rejetée par ordonnance du Ministère public du 16 juin 2023.

Le recours formé contre l’ordonnance est rejeté par la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève par arrêt du 28 juillet 2023. La prévenue forme alors un recours en matière de droit pénal auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si les tiers disposent d’un droit de consultation des ordonnances pénales non entrées en force.

Droit

Les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 3 Cst. garantissent le principe de la publicité de la justice. Les art. 16 al. 3 Cst. cum 30 al. 3 Cst. garantissent le droit de consulter les décisions judiciaires étatiques. Le droit de consultation n’est pas conditionné à l’existence d’un intérêt digne de protection et s’étend à l’ensemble du prononcé d’une décision judiciaire, à savoir à la composition du tribunal, à l’exposé des faits, aux considérants en droit et au dispositif.

Le principe de publicité est concrétisé de manière non exhaustive par l’art. 69 CPP. En effet, l’art. 69 CPP ne règle pas tous les aspects de la consultation des décisions rendues en matière pénale du point de vue de la protection de la personnalité. Ainsi, selon la jurisprudence, les jugements qui ne sont pas encore entrés en force ou qui ont par la suite été annulés peuvent être consultés sous une forme anonymisée, sans qu’il n’y ait pour cela besoin de justifier d’un intérêt particulier. Les ordonnances de non-entrée en matière qui ne sont pas encore en force peuvent également être consultées par des tiers, pour autant qu’un intérêt privé prépondérant lié à la protection de la sphère privée ne s’y oppose pas. La question du droit des tiers à la consultation d’une ordonnance pénale non entrée en force n’a, en revanche, jamais été tranchée et fait l’objet d’une pratique cantonale et d’une doctrine divisées.

En l’espèce, l’interprétation littérale, systématique et historique de l’art. 69 CPP ne permet pas d’établir l’existence d’un droit de consultation des tiers des ordonnances pénales non entrées en force. Cette question doit avant tout être tranchée au regard d’une pondération des intérêts en cause, à savoir, d’une part, le principe de publicité et, d’autre part, le principe de la présomption d’innocence.

Le principe de la présomption d’innocence est méconnu si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable. Or, la communication à un tiers d’une ordonnance pénale non entrée en force condamnant le prévenu est de nature à causer une atteinte irréparable au principe de la présomption d’innocence, en engendrant l’impression prématurée que celui-ci est coupable. Le principe de la publicité peut, quant à lui, être suffisamment garanti par un accès aux ordonnances pénales entrées en force. Cette manière de procéder permet, par ailleurs, de garantir la fiabilité des informations communiquées par les autorités pénales, en ce sens que les tiers, en particulier les médias, peuvent être certains que le document auquel ils ont accès constitue bien une décision finale.

Il convient donc d’interpréter l’art. 69 CPP au regard des art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 3 Cst., en ce sens qu’il garantit un droit d’accès aux ordonnances pénales uniquement lorsqu’elles sont entrées en force. L’accès aux ordonnances pénales non entrées en force demeure, pour le surplus, soumis aux règles applicables à la consultation du dossier pénal, en particulier à l’art. 101 CPP.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.

Proposition de citation : Simon Pfefferlé, Le droit de consulter les ordonnances pénales non entrées en force, in: https://lawinside.ch/1663/