La constitutionnalité de la « décision AT1 » de la FINMA dans l’affaire Credit Suisse (2/2) : la décision de la FINMA se fonde sur une base légale insuffisante et inconstitutionnelle

TAF, 01.10.2025, B-2334/2023  

Un amortissement des AT1 n’était contractuellement prévu que dans l’hypothèse où Credit Suisse ne satisferait plus aux exigences en matière de fonds propre. Ces conditions n’étant pas réalisées, la décision ordonnant l’amortissement des AT1 porte gravement atteinte à la garantie de la propriété (art. 26 Cst.).  

Aucune base légale suffisante (art. 36 al. 1 Cst.) ne permet à la FINMA de prendre une telle décision. L’art. 26 LB ne l’autorise qu’à prendre des mesures directes à l’encontre des banques. L’ordonnance d’urgence du Conseil fédéral n’est pas une base légale formelle. Elle est donc insuffisante pour fonder une telle restriction de l’art. 26 Cst. Elle est, par ailleurs, inconstitutionnelle.  

Faits  

Le 19 mars 2023, la Confédération, des représentants du Credit Suisse et d’UBS annoncent le rachat, par cette dernière, du Credit Suisse. Cette annonce est accompagnée d’une modification de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 16 mars 2023 sur les prêts d’aide supplémentaires sous forme de liquidités et l’octroi par la Confédération de garanties du risque de défaillance pour les prêts d’aide sous forme de liquidités de la Banque nationale suisse à des banques d’importance systémique. L’art. 5a de l’ordonnance, dans sa version en vigueur du 19 mars au 15 septembre 2023, dispose qu’« [a]u moment de l’approbation de crédits visée à l’art. 5, la FINMA peut ordonner à l’emprunteuse et au groupe financier d’amortir des fonds propres de base supplémentaires » 

Par email du 19 mars 2023, Credit Suisse informe la FINMA que, selon elle, les conditions contractuelles (« Viability Event ») pour un amortissement des instruments de capital AT1 n’étaient pas réalisées. Par décision du même jour, la FINMA ordonne au Credit Suisse de procéder à l’amortissement de tous les instruments de capital AT1 et d’en informer immédiatement les créanciers concernés. La décision, immédiatement exécutoire, est mise en œuvre le 20 mars par le Credit Suisse.  

Le 27 avril 2023, trois sociétés, détentrices d’obligations AT1, forment un recours contre la décision de la FINMA, auprès du Tribunal administratif fédéral. Elles concluent, pour l’essentiel, à l’annulation de la décision attaquée et, ce faisant, à ce qu’elles soient replacées dans la situation qui aurait été la leur si l’amortissement des instruments de capital AT1 n’était pas survenu. Subsidiairement, elles concluent à la constatation de l’illégalité de la décision.  

La FINMA conclut à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. Credit Suisse, auquel se substitue UBS après la fusion, conclut, pour l’essentiel, à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.  

Le Tribunal administratif fédéral doit établir, s’agissant de la forme si (1) la décision de la FINMA constitue une décision susceptible de recours et (2) si les détenteurs d’obligations AT1 disposent de la qualité pour recourir contre cette décision. S’agissant du fond, le Tribunal administratif fédéral doit déterminer si (1) la condition contractuelle d’un Viability Event est réalisée et (2), si tel n’est pas le cas, si la FINMA pouvait se fonder sur une base légale suffisante pour ordonner l’amortissement des obligations AT1.  

Droit  

Les aspects procéduraux du présent arrêt font l’objet d’un premier résumé (LawInside.ch/1648/). 

Les conditions contractuelles d’émission prévoient deux Viability Events permettant l’amortissement des AT1 :  

  • « the Regulator has notified CSG that it has determined that a write-down of the Notes, together with the conversion or write-down/off of holders’ claims in respect of any and all other Going Concern Capital Instruments, Tier 1 Instruments and Tier 2 Instruments (…) is, because customary measures to improve CSG’s capital adequacy are at the time inadequate or unfeasible, an essential requirement to prevent CSG from becoming insolvent, bankrupt or unable to pay a material part of its debts as they fall due, or from ceasing to carry on its business;» (Viability Event Type A)
  • « customary measures to improve CSG’s capital adequacy being at the time inadequate or unfeasible, CSG has received an irrevocable commitment of extraordinary support from the Public Sector (…) that has, or imminently will have, the effect of improving CSG’s capital adequacy and without which, in the determination of the Regulator, CSG would have become insolvent, bankrupt, unable to pay a material part of its debts as they fall due or unable to carry on its business» (Viability Event Type B).

La FINMA a retenu dans sa décision que les conditions d’un Viability Event Type B sont réalisées. Dans ces circonstances, et selon l’art. 8 CC, il appartient à UBS et à la FINMA de démontrer la réalisation d’un Viability Event Type B, respectivement de supporter les conséquences de l’absence d’une telle preuve.  

La réalisation de ces conditions constitue une question de droit privé, laquelle doit être tranchée préjudiciellement par le Tribunal administratif fédéral, selon les méthodes usuelles d’interprétation du droit des contrats.  

Il découle de la volonté réelle des parties qu’un Viability Event Type B survient dès lors que Credit Suisse ne remplit plus les exigences réglementaires en matière de fonds propres et que la banque a, pour cette raison, dû bénéficier d’une aide étatique. Il est à cet égard indifférent que l’art. 29 al. 2 let. b OFR prévoit un régime plus large que les conditions d’émission, d’autant plus que les conditions d’émission litigieuses ont été approuvées par la FINMA (art. 11 al. 4 LB). Pour le surplus, cette interprétation s’imposerait également selon le principe de confiance. 

La décision attaquée indique uniquement que l’amortissement des AT1 aura un effet positif sur la capitalisation du Credit Suisse. La FINMA ne démontre en revanche pas que l’amortissement des AT1 était indispensable pour satisfaire aux exigences légales et réglementaires en matière de fonds propres. A l’inverse, la FINMA indiquait les 18 et 19 mars 2023 que Credit Suisse était encore solvable. Cette appréciation a été confirmée par le Conseil fédéral le 29 mars 2023. Partant, un Viability Event Type B n’est pas survenu.  

Pour le surplus, un Viability Event Type A n’est pas survenu non plus. En effet, tant la survenance du Viability Event Type A que Type B présuppose que Credit Suisse ne satisfasse plus aux exigences réglementaires en matière de fonds propres, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Par ailleurs, la FINMA n’a jamais informé (« has notified ») Credit Suisse qu’un amortissement des AT1 serait indispensable pour éviter son insolvabilité ou faillite.  

Partant, dans la mesure où les conditions contractuelles de l’amortissement des instruments de capital AT1 ne sont pas réalisées, la décision de la FINMA doit s’analyser comme une atteinte aux prétentions contractuelles des sociétés, protégées par la garantie de la propriété (art. 26 Cst.).  

Une telle atteinte n’est admissible que si elle satisfait aux conditions de l’art. 36 Cst. Dans la mesure où la décision de la FINMA porte une atteinte grave à l’art. 26 Cst., celle-ci doit se fonder sur une base légale au sens formel (art. 36 al. 1 Cst.).  

Le Tribunal administratif fédéral doit premièrement déterminer si l’art. 26 LB permettait à la FINMA d’ordonner l’amortissement des AT1. L’art. 26 LB liste, de manière non-exhaustive, les mesures que peut prendre la FINMA lorsqu’une banque est surendettée ou souffre de problèmes de liquidité importants. Bien que la FINMA dispose d’un pouvoir d’appréciation quant aux mesures à prendre, le principe de la légalité impose que ces mesures soient dirigées directement contre la banque, et n’affectent que ponctuellement, ou temporairement, et de manière médiate les clients de la banque. Par ailleurs, les mesures listées à l’art. 26 LB constituent des mesures provisionnelles. En tant que telles, elles ne visent qu’à sauvegarder une situation factuelle ou juridique jusqu’au prononcé d’une décision finale. Des mesures définitives, telles qu’ordonnées en l’espèce, se distinguent donc fondamentalement du régime prévu par l’art. 26 LB. Ce qui précède vaut également mutatis mutandis pour l’art. 31 LFINMA 

L’ordonnance du Conseil fédéral, en tant que base légale matérielle, ne permet pas à la FINMA de restreindre dans une telle mesure l’art. 26 Cst. Pour le surplus, l’art. 5a de l’ordonnance ne satisferait pas non plus aux exigences en matière de densité normative pour autoriser une atteinte grave à l’art. 26 Cst. Cette disposition ne fixe en effet ni les conditions, ni les limites auxquelles la FINMA serait soumise dans l’exercice de cette prérogative.  

Dernièrement, le Tribunal administratif fédéral constate que l’ordonnance du Conseil fédéral est inconstitutionnelle pour trois motifs.  

Premièrement, le Conseil fédéral peut adopter des ordonnances d’urgence sur la base des art. 184 al. 3 et 185 al. 3 Cst. lorsque le cadre légal préexistant n’est pas applicable à la situation d’urgence. Le droit d’urgence ne permet en effet pas à l’exécutif de déroger aux lois fédérales ordinaires. En l’espèce, le législateur a réglé le régime applicable à la situation d’urgence du cas d’espèce de manière exhaustive aux art. 25 ss LB.  

Deuxièmement, le Conseil fédéral ne peut pas non plus déléguer ses pouvoirs d’urgence. Or, l’art. 5a de l’ordonnance délègue précisément ses pouvoirs d’urgence à la FINMA.  

Troisièmement, l’amortissement des AT1 constitue une expropriation formelle. A ce titre, elle n’est admissible que monnayant une pleine indemnité (art. 26 al. 2 Cst.). Or, l’ordonnance du Conseil fédéral ne prévoit aucune indemnité de cet ordre.  

Partant, le Tribunal administratif fédéral admet le recours et annule la décision de la FINMA, sans encore se prononcer sur les conséquences de l’annulation. 

Note  

L’arrêt du Tribunal administratif fédéral n’est pas définitif, la FINMA ayant annoncé son intention de former un recours auprès du Tribunal fédéral. 

S’agissant du fond de la cause, cet arrêt appelle de nombreuses réflexions ; nous nous limiterons ici à quelques remarques au sujet de l’interprétation du contrat (1) et aux exigences en matière de formalité et de densité normative de l’ordonnance d’urgence du Conseil fédéral (2).  

  1. Interprétation du contrat 

Concernant l’interprétation du contrat, le Tribunal administratif fédéral semble accorder une grande importance au courriel de Credit Suisse à la FINMA du 19 mars 2023 pour déterminer la volonté réelle des parties. Celui-ci indiquait que, selon Credit Suisse, les conditions d’un amortissement des AT1 n’étaient pas réunies. Vu qu’il s’agit d’une question de fait, le Tribunal fédéral ne devrait en principe revoir cette appréciation uniquement sous l’angle de l’arbitraire. Cela étant, cette interprétation subjective pourrait ne pas résister à l’arbitraire. Elle est en effet particulièrement brève et ne repose sur presque aucune constatation factuelle, à l’exception de ce courriel (c. 5.4.1).   

Le Tribunal administratif fédéral renforce sa position en procédant à une interprétation selon le principe de la confiance. Il arrive à la même conclusion : « improving CSG’s capital adequacy » indique que l’amortissement pouvait être réalisé uniquement si Credit Suisse ne remplissait plus les exigences réglementaires en matière de fonds propres. Comme le Tribunal administratif fédéral l’explique simplement : si la conséquence de l’amortissement concerne les fonds propres – et non la liquidité – de Credit Suisse, il est logique que la condition pouvant déclencher un tel amortissement soit liée aux fonds propres – et non à la liquidité – de la banque (c. 5.4.3 in fine). Cette appréciation n’est pas exempte de critique. En particulier, cette interprétation devrait prendre en considération la réalité économique et le but des AT1. 

En outre, UBS soutenait que le Tribunal administratif fédéral devait limiter son pouvoir de cognition en raison de l’expertise technique de la FINMA. Le Tribunal administratif fédéral lui rétorque que, vu qu’il s’agit d’une question d’interprétation d’un contrat, la FINMA ne dispose pas d’une « appréciation technique » qu’il devrait respecter (c. 5.4.4.3).  

  1. Ordonnance d’urgence et densité normative (art. 36 al. 1 Cst.)

Le Tribunal administratif a procédé à une analyse extensive de la condition de la légalité de l’atteinte (art. 36 al. 1 Cst.). Il a ainsi constaté qu’il n’existait pas de base légale, formelle ou matérielle, permettant de restreindre en l’espèce la liberté économique. Il a ensuite, à l’occasion d’un obiter dictum, procédé à une analyse de la constitutionnalité de l’ordonnance d’urgence du Conseil fédéral. 

S’agissant de l’exigence de formalité et de densité normative de l’ordonnance d’urgence du Conseil fédéral, le Tribunal administratif fédéral a considéré que: 

  • en tant que base légale matérielle, une ordonnance d’urgence ne pouvait pas fonder de restriction grave aux droits fondamentaux ;
  • la densité normative de l’ordonnance d’urgence était insuffisante à fonder une restriction grave aux droits fondamentaux.

L’argumentation du Tribunal administratif fédéral sur ces deux points est relativement succincte, ce qui est à notre sens regrettable. En effet, la doctrine (cf. not. CR Cst.-Dubey, art. 36 N 88 ; BSK BV-Epiney, Art. 36 N 47 et les réf. cit.) et la jurisprudence du Tribunal fédéral (cf. not. ATF 137 II 431, c. 3.3.1) sont plus nuancées sur la question de savoir si une ordonnance d’urgence du Conseil fédéral peut fonder une restriction grave aux droits fondamentaux. Dans une même mesure, la doctrine admet que les exigences en matière de densité normative des ordonnances d’urgence du Conseil fédéral sont amoindries, en raison de la situation imprévue et urgente (art. 36 al. 1, 3e phr. Cst.) à laquelle elle vise précisément à s’appliquer (cf. not. CR Cst.-Dubey, art. 36 N 88 et les réf. cit.). Ce sont d’autres principes constitutionnels, en particulier le principe de proportionnalité qui servent de palliatif à l’affaiblissement du principe de légalité en matière de pouvoirs d’urgence. 

Proposition de citation : Simon Pfefferlé and Célian Hirsch, La constitutionnalité de la « décision AT1 » de la FINMA dans l’affaire Credit Suisse (2/2) : la décision de la FINMA se fonde sur une base légale insuffisante et inconstitutionnelle, in: https://lawinside.ch/1657/