L’étendue de la maxime inquisitoire sociale en cas de représentation par un mandataire professionnellement qualifié

TF, 12.08.25, 4A_482/2024*

La maxime inquisitoire sociale (art. 247 al. 2 CPC) doit être appliquée avec retenue lorsqu’une partie procède par l’entremise d’un mandataire professionnellement qualifié.

Faits

Une société résilie le contrat de travail de son employé le 21 juin 2017 pour le 31 juillet 2017. Après l’échec de la conciliation, l’employé saisit le tribunal des prud’hommes de l’arrondissement de la Sarine d’une demande en paiement de 4’592 fr. 33. Cette somme correspond à des heures de déplacement et des frais de repas non payés.

Dans cette procédure, le demandeur agit par l’intermédiaire d’un syndicat et est représenté par une secrétaire syndicale non-juriste, tandis que l’intimée est représentée par un avocat.

Par jugement du 9 juillet 2020, le tribunal des prud’hommes rejette la demande en paiement au motif que les faits pertinents en lien avec les prétentions n’ont pas été suffisamment allégués respectivement que le demandeur n’a pas offert de moyens de preuve adéquats pour les prouver. Sur recours, le Tribunal cantonal fribourgeois annule le jugement et renvoie la cause au tribunal des prud’hommes, lui ordonnant d’établir les faits de manière complète, notamment en amenant si nécessaire l’employé à compléter ses allégués et offres de preuves ainsi qu’en procédant à l’examen des pièces qu’il avait produites.

Après la reprise de la procédure, le tribunal des prud’hommes, puis le Tribunal cantonal rejettent successivement la demande pour les mêmes motifs. L’employé forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si les juges cantonaux pouvaient faire preuve de retenue dans l’application de la maxime inquisitoire sociale alors que le demandeur était représenté par un mandataire professionnellement qualifié.

Droit

La valeur litigieuse pour le recours en matière civile pour les litiges de nature pécuniaire de droit du travail n’est pas atteinte (art. 72 al. 1 LTF). Le recours est néanmoins recevable dans la mesure où il soulève une question juridique de principe (art. 74 al. 2 let. a LTF), à savoir est-ce que le tribunal peut et doit faire preuve de retenue dans l’application de la maxime inquisitoire sociale (art. 247 al. 2 CPC) lorsqu’une partie est représentée par un mandataire professionnellement qualifié (art. 68 al. 2 let. d CPC) ?

L’art. 247 al. 2 CPC (maxime inquisitoire sociale ou simple) implique que les parties doivent recueillir elles-mêmes les éléments du procès. Le tribunal ne leur vient en aide que par des questions adéquates afin que les allégations nécessaires et les moyens de preuve correspondants soient précisément énumérés, sans toutefois procéder à des investigations de sa propre initiative. Lorsqu’une partie est représentée par un avocat, le tribunal doit faire preuve de retenue, comme dans un procès soumis à la procédure ordinaire. Tel est également le cas lorsqu’une partie procède par l’entremise d’un mandataire professionnellement qualifié.

En effet, dès son origine, le législateur a vu dans la représentation professionnelle des parties une circonstance restreignant la simplification du procès civil social. La maxime inquisitoire sociale a pour but de protéger la partie faible au contrat, de garantir l’égalité entre les parties au procès et d’accélérer la procédure, en ce qu’elle doit permettre au justiciable qui ne dispose pas de connaissances dans la conduite d’un procès d’agir seul devant les tribunaux. La maxime inquisitoire sociale ne doit, en revanche, pas bénéficier à une partie qui est à même d’assurer efficacement la défense de ses intérêts. Elle ne vise, en particulier, pas à suppléer à des carences qui relèvent de la négligence procédurale.

En autorisant les mandataires professionnellement qualifiés à la représentation à titre professionnel, l’art. 68 al. 2 CPC reconnait leur aptitude à assister de manière efficace des justiciables. Cette reconnaissance découle du fait que les associations de locataires, de propriétaires immobiliers ou de gérants d’immeubles, ainsi que les syndicats et les associations patronales disposent généralement de collaborateurs dotés de l’expérience requise et du savoir-faire spécifique à leur champ. Toutefois, lorsqu’un mandataire ne dispose pas, in concreto, des compétences nécessaires pour assurer la défense des intérêts du justiciable, le tribunal doit lui dénier la capacité de postuler.

En l’espèce, le recourant était représenté par une secrétaire syndicale non-juriste. Bien que sa demande présente des carences factuelles qui n’ont pas été rectifiées avant les délibérations de la juridiction de première instance, aucun élément ne permet de conclure que celles-ci relèveraient d’inadvertances évidentes, qui auraient dû susciter une interpellation de la part du tribunal de première instance. Dans une même mesure, aucun élément ne permet de retenir que la mandataire ne disposait pas de compétences nécessaires pour assurer une défense suffisante des intérêts du recourant. Sa capacité de postuler ne saurait donc être remise en cause.

Au vu de ce qui précède, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en considérant que la première instance pouvait faire preuve de retenue dans l’application de l’art. 247 al. 2 CPC. Partant, le recours est rejeté.

Proposition de citation : Simon Pfefferlé, L’étendue de la maxime inquisitoire sociale en cas de représentation par un mandataire professionnellement qualifié, in: https://lawinside.ch/1635/