La Sperrwirkung de la litispendance en cas d’action civile adhésive

TF, 04.03.2025, 4A_249/2024*

Dans le cadre d’une action civile adhésive, la cognition du tribunal pénal est limitée aux prétentions extracontractuelles. Dans le contexte particulier d’un pouvoir de cognition limité, le fondement juridique devient également un critère pertinent pour apprécier la Sperrwirkung de la litispendance. La litispendance de l’action civile adhésive ne fait dès lors pas obstacle à une action en constatation négative portant sur des prétentions contractuelles.

Faits 

Une banque est dissoute par décision de son assemblée générale et est depuis lors en liquidation. Une société tierce produit une créance de CHF 20 millions à l’encontre de la banque dans la procédure de liquidation.

La banque introduit devant le Tribunal de commerce du canton de Zurich une action en constatation négative contre la société. Celle-ci invoque l’exception de litispendance au motif qu’elle a déjà fait valoir cette créance sous la forme d’une action civile adhésive dans le cadre d’une procédure pénale. Pour ce motif, le Tribunal de commerce refuse d’entrer en matière. Le Tribunal fédéral rejette le recours de la banque.

Trois ans plus tard, le Ministère public du canton de Zurich classe la procédure pénale. La société forme un recours contre le classement devant le Tribunal cantonal zurichois. La procédure est toujours pendante.

La banque introduit une nouvelle action en constatation négative devant le Tribunal de commerce à laquelle la société oppose l’exception de litispendance. Le Tribunal de commerce refuse à nouveau d’entrer en matière sur cette action pour les mêmes motifs que dans la première procédure.

La banque interjette alors un recours en matière civile au Tribunal fédéral, lequel doit se prononcer sur la recevabilité de l’action en constatation négative.

Droit 

En réponse au grief principal de la banque, le Tribunal fédéral commence par souligner qu’il ne lui appartient pas de préjuger de la décision du tribunal pénal relative à l’action civile adhésive. La question de savoir si la société peut faire valoir des prétentions civiles contre la banque dépend de l’issue de la procédure pénale. En l’état, l’action civile adhésive est donc encore pendante.

Le Tribunal fédéral relève ensuite qu’à teneur de l’art. 59 al. 2 let. d CPC, une demande n’est recevable que si le litige ne fait pas déjà l’objet d’une litispendance. Conformément à l’art. 64 al. 1 let. a CPC, la litispendance a pour effet que l’objet du litige ne peut plus être introduit entre les mêmes parties dans une autre procédure. L’effet bloquant (Sperrwirkung) de la litispendance se produit en cas de double identité des parties et de l’objet du litige. Le fondement juridique de la prétention n’est pas déterminant dès lors que, dans les cas où le tribunal dispose d’un plein pouvoir de cognition, il applique le droit d’office (art. 57 CPC). Autrement dit, il applique à l’objet du litige toutes les normes juridiques pertinentes.

Dans le cadre d’une action civile adhésive, la cognition du tribunal pénal se limite toutefois aux prétentions extracontractuelles telles que celles fondées sur l’acte illicite, les droits de la personnalité ou les droits de propriété (cf. ATF 148 III 401, rés. in lawinside.ch/1232). Elle ne s’étend en revanche pas aux prétentions contractuelles (ATF 148 IV 432, rés. in lawinside.ch/1231). Dans ce contexte, il convient exceptionnellement de tenir compte de l’identité du fondement juridique : la Sperrwirkung de la litispendance liée à l’action civile adhésive ne porte que sur les éléments que le tribunal pénal peut examiner, à l’exclusion des prétentions contractuelles.

Si une personne peut invoquer plusieurs fondements juridiques pour une même prétention, elle peut donc introduire une action devant les juridictions civiles ordinaires, distincte de l’action civile adhésive, pour faire valoir ses prétentions contractuelles. Le Tribunal fédéral constate que cette situation engendre un risque de décisions contradictoires. Afin d’éviter de tels problèmes, il convient de coordonner les procédures, par exemple en suspendant la procédure civile (art. 126 CPC).

Sur cette base, le Tribunal fédéral constate que l’action en constatation négative introduite par la recourante afin de faire constater que la société ne dispose d’aucune prétention contractuelle résultant de la relation bancaire est recevable. En effet, les parties et l’objet du litige sont identiques, mais les fondements juridiques diffèrent alors même que le pouvoir de cognition du tribunal pénal est limité aux prétentions extracontractuelles. Partant, l’autorité précédente a violé l’art. 59 al. 2 let. d et l’art. 64 al. 1 let. a CPC en refusant d’entrer en matière sur la demande. Le Tribunal fédéral admet le recours.

Note

Lors du premier recours de la banque au Tribunal fédéral (TF, 15.04.2020, 4A_622/2019), la question de la cognition du tribunal pénal dans le cadre de l’action civile adhésive n’avait pas encore été tranchée.

La recourante a soutenu que seule une constitution régulière comme partie civile pouvait entraîner la litispendance, arguant que l’intimée n’avait ni déposé elle-même plainte pénale ni exposé concrètement les faits fondant sa prétention en dommages-intérêts.

Le Tribunal fédéral a rejeté cet argument, précisant que ni l’absence de plainte propre, ni l’absence de motivation détaillée ne remettent en cause la constitution comme partie civile ou la litispendance liée à l’action civile adhésive. Il suffit que la personne lésée déclare vouloir participer à la procédure pénale en tant que partie civile et fasse valoir des prétentions civiles découlant de l’infraction. Une motivation détaillée de la prétention n’est pas requise.

Dans le cadre de ce premier recours, le Tribunal fédéral a conclu que l’action en constatation négative et l’action civile adhésive concernaient le même objet et les mêmes parties, entraînant ainsi une litispendance au sens de l’art. 59 al. 2 let. d CPC, ce qui excluait l’entrée en matière sur l’action en constatation négative.

La clarification apportée par la jurisprudence dans l’ATF 148 IV 432 (rés. in lawinside.ch/1231) a conduit à une issue différente lors du recours au Tribunal fédéral, résumé ci-dessus.

Proposition de citation : Margaux Collaud, La Sperrwirkung de la litispendance en cas d’action civile adhésive, in: https://lawinside.ch/1611/