L’opposition du secret professionnel de l’avocat à une demande de reddition de compte dans le cadre d’un litige successoral

TF, 22.01.2025, 5A_112/2022

Le secret professionnel de l’avocat (art. 13 LLCA) peut faire obstacle à une demande de reddition de compte par des héritiers (art. 400 al. 1 CO). En cas de mandats mixtes ou globaux impliquant des services relevant de l’activité tant typique qu’atypique de l’avocat, il convient d’examiner les circonstances du cas d’espèce pour déterminer quels faits ou documents sont soumis au secret.

Faits

Deux ans avant son décès, un patient est hospitalisé et les médecins considèrent qu’au vu de son état, il est recommandé de mettre en place une protection juridique le plus rapidement possible. Peu de temps après, le patient signe deux procurations successives en faveur d’une avocate. Ces procurations lui confèrent le pouvoir de gérer et administrer tous les biens, intérêts et affaires, présents et futurs. De plus, l’avocate peut le représenter dans tous ses rapports juridiques, quels qu’ils soient avec tous tiers, notamment le corps médical sans restriction liée au secret médical, tant en Suisse qu’à l’étranger. Les procurations indiquent que les pouvoirs octroyés perdureront après son décès. Trois médecins et psychiatres attestent successivement que la capacité de discernement du patient est entière et qu’il a parfaitement saisi et souhaité les enjeux liés à ces procurations. Dans la foulée, il désigne trois exécuteurs testamentaires dans des dispositions pour cause de mort en la forme authentique.

Plusieurs années après le décès du de cujus, ses enfants requièrent de l’avocate une série de documents relatifs à son activité effectuée dans le cadre du contrat de mandat avec le de cujus. Elle oppose son secret professionnel (art. 13 LLCA) à cette demande. Les enfants ouvrent action en reddition de compte auprès du Tribunal de première instance du Canton de Genève qui les déboute de leurs conclusions. À la suite du rejet de leur appel par la Chambre civile de la Cour de Justice (ACJC/1717/2021), les enfants intentent un recours en matière civile au Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à déterminer si l’avocate peut se prévaloir de son secret professionnel (art. 13 LLCA) pour s’opposer à la demande de renseignement effectuée par les recourants (art. 400 al. 1 CO).

Droit

Le droit privé suisse ne connaît pas de droit général au renseignement. Dès lors, il faut examiner dans chaque cas quelle disposition légale est susceptible de fonder le droit à l’information. En vertu du principe de l’universalité de la succession (art. 560 CC), les héritiers acquièrent tous les droits patrimoniaux du de cujus, mais aussi les droits contractuels aux renseignements pour autant qu’ils ne portent pas sur des droits strictement personnels du défunt. La relation entre un avocat et son client est en principe régie par les règles du mandat. Dès lors, l’art. 400 al. 1 CO confère un droit aux renseignements aux héritiers s’ils établissent la relation contractuelle du de cujus avec son avocat ainsi que leur légitimité successorale.

Le Tribunal fédéral relève que les descendants et héritiers ne peuvent être suivis lorsqu’ils contestent la capacité de discernement du de cujus au moment de la signature des procurations, dans le but de faire valoir la nullité ex tunc du contrat de mandat. Tout d’abord, la nullité absolue des procurations litigieuses n’empêcherait pas l’avocate de se prévaloir de son secret professionnel d’avocat (art. 13 LLCA). En effet, la condition nécessaire à la naissance de l’obligation de secret de l’avocat est la réception de la confidence en sa qualité d’avocat et non pas la conclusion d’un contrat de mandat. Ensuite, la nullité ex tunc des mandats entraînerait le rejet d’une demande en reddition de compte fondée sur l’art. 400 al. 1 CO. Ainsi, les recourants n’ont pas d’intérêt pratique à contester la capacité de discernement et le contrat de mandat doit être considéré comme valable.

L’art. 400 al. 1 CO met à la charge du mandataire l’obligation de lui rendre compte de sa gestion, qui comprend l’obligation de renseigner. Lorsqu’il est invoqué par les héritiers, ce droit peut se voir opposer le secret professionnel de l’avocat (art. 13 LLCA) si les renseignements ont été obtenus dans le cadre de l’activité typique de l’avocat. Dans les mandats complexes, notamment mixtes ou globaux où se mêlent des services relevant d’activités typiques et atypiques, la question devient plus délicate. Dans cette hypothèse, l’avocat ne peut pas refuser toute reddition de compte en se basant sur son secret professionnel. Il y a lieu de se référer à l’ensemble des circonstances du cas d’espèce pour délimiter quels faits ou documents bénéficient de cette protection.

En l’espèce, les mandats portaient à la fois sur des activités typiques et atypiques de l’avocate. Le Tribunal fédéral procède donc à un examen au cas par cas afin de déterminer si le secret professionnel (art. 13 LLCA) peut être opposé aux demandes des recourants.

En premier lieu, l’avocate avait été mandatée par le de cujus pour solliciter auprès d’une maison d’édition un délai pour qu’il puisse se consacrer à la rédaction d’un ouvrage. Le Tribunal fédéral retient qu’elle a ainsi déployé une activité de représentante ou de conseil juridique dans le cadre de la relation contractuelle avec l’éditeur. Le simple fait que l’avocate ait versé à la procédure un courrier de la maison d’édition ne suffit pas pour considérer qu’elle aurait implicitement reconnu que cette activité n’était pas couverte par le secret. Ainsi, il s’agit d’une activité typique couverte par le secret professionnel.

En deuxième lieu, l’avocate n’a versé qu’une partie de la correspondance avec l’un des exécuteurs testamentaires, qui se trouve aussi être le cousin du de cujus et un membre du conseil de la fondation créée par le de cujus. Le Tribunal fédéral considère que la Cour de justice aurait dû examiner en quelle qualité l’avocate s’est adressée à l’exécuteur testamentaire avant de pouvoir admettre l’existence d’une activité typique. Le recours est donc admis sur ce point.

En troisième lieu, la Cour de justice n’a pas réussi à déterminer si l’avocate avait agi en tant que représentante du de cujus ou si elle avait également fourni des conseils lors des séances du conseil de la fondation créée par le de cujus. Néanmoins, deux recourants y siégeaient aussi et rien n’indique que le conseil de la fondation aurait refusé de leur remettre des copies des documents dont ils cherchent à obtenir la reddition. Les autres recourants peuvent également obtenir ces documents sur la base du devoir d’information entre cohéritiers (art. 607 al. 3 et 610 al. 2 CC). La requête des recourants est donc abusive sur ce point.

En quatrième lieu, les échanges entre l’avocate et le corps médical relèvent de l’activité typique dès lors qu’ils portaient en partie sur la conclusion d’un contrat de placement dans un établissements médico-social, incluant donc des conseils juridiques en plus de la représentation du de cujus. Bien que les autres courriers, liés au report de rendez-vous, ne relèvent pas véritablement de l’activité typique de l’avocat, le Tribunal fédéral estime qu’ils ne sont pas indispensables aux héritiers pour contrôler la bonne et fidèle exécution du mandat.

Finalement, les recourants ont formulé une demande générale de reddition portant sur tous les autres documents et correspondances en la possession de l’avocate. Le Tribunal fédéral rappelle que dans le cadre d’une action en reddition de compte, les documents doivent être suffisamment déterminables pour que le mandataire puisse reconnaître lesquels pourraient lui être demandés dans le cadre de la maxime de disposition et pour que le tribunal chargé de l’exécution puisse déterminer si le mandataire a respecté son obligation de délivrance (art. 221 al. 1 let. b CPC). La requête des héritiers ne remplit pas cette exigence et les documents requis ne sont pas non plus considérés comme étant nécessaires à la vérification de la bonne et fidèle exécution du mandat.

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours, annule l’arrêt attaqué et renvoie la cause à la Cour de justice.

Note

Le Tribunal fédéral mentionne dans cet arrêt une jurisprudence critiquée par la doctrine : « En l’état de la jurisprudence, ne gère pas les affaires d’autrui au sens de l’art. 419 ss CO, tant celui qui gère les affaires d’autrui en croyant par erreur y être tenu par un mandat valable () que celui qui n’a pas l’intention d’agir sans mandat » (c. 4.2.). Or, comme le Tribunal fédéral le mentionne, de nombreux auteurs soutiennent une application des art. 419 ss CO lorsque le contrat de mandat est nul dès l’origine (cf. la doctrine citée au c. 4.2). Malgré ces critiques, le Tribunal fédéral ne semble pas pour autant vouloir revenir sur sa jurisprudence.

De plus, cet arrêt constitue un bon rappel de la portée de l’art. 400 al. 1 CO (Rechenschaftspflicht, Herausgabepflicht et Informationspflicht), de ses limites générales (art. 2 al. 2 CC) et spécifiques pour l’avocat, avec la distinction primordiale entre l’activité typique et atypique. Vu les activités atypiques variées qu’un avocat peut être amené à exécuter (p.ex. administrateur d’une société, gestion de fortune, compliance bancaire), il est nécessaire de déterminer, pour chaque prestation de service en cause, si ce sont des éléments spécifiques à la profession d’avocat qui prédominent. En l’espèce, le Tribunal fédéral souligne que les relations entre le de cujus et ses enfants étaient, durant les dernières années de sa vie, « délicates et conflictuelles » (faits A). Ces relations conflictuelles ont peut-être influencé la portée large des activités soumises au secret in casu.

En l’absence d’un fondement contractuel, par exemple si le de cujus n’avait pas disposé de la capacité de discernement nécessaire et que le contrat de mandat avait été nul ex tunc, les héritiers auraient éventuellement dû se tourner vers les possibilités offertes par le droit successoral. Le droit à l’information, initialement limité à l’encontre des cohéritiers (art. 607 al. 3 et 610 al. 2 CC), peut être étendu à des tiers pour des biens en leur possession ou pour connaître l’identité de tiers auxquels ces biens auraient été remis ou cédés et qui en seraient devenus possesseurs ou ayants droits (ATF 132 III 677 c. 4.2.4, TF 5A_969/2023 c. 6.1.2). Pour ce faire, les héritiers doivent rendre « plausible » (TF 5A_994/2014 c. 5.3) qu’ils ont un intérêt juridique à obtenir les renseignements requis. Sur ce point, le Tribunal fédéral fait référence à l’arrêt 4A_522/2018 (résumé in : LawInside.ch/831/). Dans cet arrêt, il avait retenu que la demande de renseignements auprès de la banque relative à l’identité du bénéficiaire d’un virement effectué par le de cujus entrait en conflit avec le « droit du défunt au maintien de sa sphère privée ». Ainsi, l’intérêt du défunt à la confidentialité de ses décisions économiques devait prévaloir sur l’intérêt de l’héritier qui ne dispose ni de l’action en réduction (art. 522 ss CC) ni d’un droit au rapport et au partage (art. 626 CC). Autrement dit, seuls les héritiers réservataires dont la réserve est lésée et dont l’action en réduction n’est pas périmée, ou les héritiers légaux qui disposent d’un droit au rapport et au partage disposent d’un intérêt juridique permettant de lever ce droit du défunt. En l’espèce, ces considérations sont théoriques. En effet, les héritiers n’ont pas, et ne prétendent pas, avoir fait valoir un intérêt juridique à l’obtention de ces renseignements par le biais de l’une des actions du droit successoral à leur disposition. En tout état de cause, le secret resterait opposable par l’avocate (art. 13 LLCA).

Proposition de citation : Yoann Stettler and Célian Hirsch, L’opposition du secret professionnel de l’avocat à une demande de reddition de compte dans le cadre d’un litige successoral, in: https://lawinside.ch/1570/