La LLCA et les sanctions disciplinaires pour des faits ne relevant pas de l’activité professionnelle de l’avocat·e: quelques rappels
Le fait qu’un·e avocat·e agisse à titre privé n’empêche pas, en fonction des circonstances, des sanctions disciplinaires au sens de la LLCA.
Faits
En avril 2021, un avocat bénéficie du classement d’une procédure conduite à son encontre par l’Autorité de surveillance des avocates et avocats de la République et canton de Neuchâtel. Dans le courrier de classement, l’Autorité de surveillance souligne toutefois que l’avocat s’est adressé à des policiers d’une manière inutilement blessante et l’invite à modérer ses propos.
En octobre 2021, l’Autorité de surveillance reçoit copie d’un courrier adressé par un Conseiller communal en charge de la sécurité à l’avocat précité afin de dénoncer son attitude. En substance, l’avocat est en conflit depuis un mois avec un policier.
Le conflit commence lors d’une intervention du policier sur la voie publique, à laquelle l’avocat se mêle. Peu de temps après, le même policier amende l’avocat, dont le véhicule était stationné de manière irrégulière. En réaction à ces faits, l’avocat envoie huit courriels à diverses autorités ou employés communaux, tous depuis son adresse professionnelle, afin d’obtenir l’identité du policier et de se plaindre de son comportement. Le policier y est, parmi un florilège d’autres désignations, qualifié de « fou furieux » et de « fieffé menteur ». L’avocat l’accuse aussi de faux dans les titres, tout en évoquant la possibilité de futures procédures judiciaires.
En avril 2022, l’Ingénieur cantonal neuchâtelois dénonce également l’avocat à l’Autorité de surveillance. L’avocat a en effet menacé des collaborateurs du Service des ponts et chaussées de déposer plainte pénale pour contrainte contre eux, estimant qu’ils tentaient d’obtenir indûment le retrait d’une opposition dans le cadre d’un projet d’évitement routier. L’avocat ne dispose d’aucune procuration à ce titre.
L’avocat accuse également le Conseiller d’Etat en charge du département concerné de contrainte, en réaction au fait que ce dernier lui avait signalé par courrier la possible atteinte à l’honneur que constituaient les accusations infondées en l’invitant à présenter ses excuses. Dans son courrier de réponse, l’avocat souligne également l’ « irritabilité » du Conseiller d’Etat. Les courriers et courriels de l’avocat sont toujours envoyés de son adresse professionnelle et mentionnent son titre dans sa signature.
Après avoir joint les deux procédures, l’Autorité de surveillance inflige une amende de CHF 1’000 à l’avocat, considérant qu’il a violé son devoir d’agir avec soin et diligence (art. 12 lit. a LLCA). La Cour de droit public du Tribunal cantonal neuchâtelois rejette le recours de l’avocat. Celui-ci saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer si les faits reprochés à l’avocat entrent dans le champ d’application de la LLCA.
Droit
Après avoir écarté le grief de violation du droit d’être entendu (art. 29 Cst) du recourant, le Tribunal fédéral se penche sur la question du champ d’application de la LLCA.
Selon l’art. 2 al. 1 LLCA, la loi s’applique aux titulaires d’un brevet d’avocat·e qui pratiquent, dans le cadre d’un monopole, la représentation en justice en Suisse. Elle concerne tant les activités de représentation que de conseil. Lorsque l’activité déployée par l’avocat·e est extraprofessionnelle, elle n’est en principe pas soumise à la LLCA.
Le Tribunal fédéral rappelle toutefois qu’en matière disciplinaire, l’exercice de la profession d’avocat·e doit bénéficier d’une définition très large, ceci dans l’intérêt du public et aux fins de préserver la réputation et la dignité de la profession. Ainsi, pour relever du champ disciplinaire de la LLCA, l’activité en question doit être en lien direct avec la profession d’avocat·e. Tant l’usage d’un papier à lettres professionnel que la référence au titre d’avocat·e dans les rapports avec les tiers sont susceptibles d’entraîner l’application de la LLCA, quand bien même l’avocat·e aurait agi à titre privé (par exemple, 2C_579/2023*, résumé in LawInside.ch/1478/).
Le recourant fait valoir que les faits dénoncés par le Conseiller communal ont un caractère exclusivement privé, et que la LLCA ne devrait donc pas s’y appliquer.
Cette approche ne convainc pas le Tribunal fédéral. En effet, bien que les événements ayant provoqué le conflit ne relèvent pas de l’activité professionnelle de l’avocat, ce dernier a toutefois adressé huit courriels à des autorités ou employés communaux, en utilisant son adresse professionnelle. Sept d’entre eux comportaient la mention « av. » dans la signature, tandis que l’un contenait la signature électronique et les coordonnées de l’étude du recourant. Enfin, le contenu des courriels ne laissait planer aucun doute sur les connaissances juridiques de l’intéressé. Ces éléments entraînent l’application de la LLCA, peu importe que le recourant ait indiqué qu’il agissait à titre privé.
Tant pour les faits dénoncés par le Conseiller communal que par l’Ingénieur cantonal, le recourant a employé, par écrit, des termes et expressions offensants et désobligeants, assortis de menaces de dépôt de plaintes pénales. Comme l’autorité inférieure, le Tribunal fédéral y voit un manquement au devoir de diligence prévu par l’art. 12 lit. a LLCA. En effet, sur la base de cette disposition, l’on peut exiger d’un·e avocat·e qu’il·elle se comporte correctement dans l’exercice de sa profession et s’abstienne de tout ce qui pourrait mettre en cause la fiabilité de celle-ci, y compris dans les relations avec les autorités.
Pour le surplus, la sanction prononcée ne viole ni le principe d’égalité de traitement, ni celui de la proportionnalité. Le Tribunal fédéral note que le Tribunal cantonal, loin d’avoir excédé son pouvoir d’appréciation, s’est montré clément. Partant, il rejette le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, La LLCA et les sanctions disciplinaires pour des faits ne relevant pas de l’activité professionnelle de l’avocat·e: quelques rappels, in: https://lawinside.ch/1559/