Le changement de parti politique par une élue entre son élection et son entrée en fonction

TF, 22.05.2024, 1C_223/2023*

Le changement de parti en cours de législature, ainsi qu’entre le scrutin et l’entrée en fonction, ne porte en principe pas atteinte aux droits politiques. Cette liberté trouve sa limite dans la tromperie des électeurs et électrices (art. 34 al. 2 Cst.) : celui ou celle qui se présente à une élection au système proportionnel en cachant sa « véritable » appartenance à une liste induit les électrices et électeurs en erreur sur un fait décisif et les trompe gravement, de sorte que le résultat du scrutin ne traduit plus fidèlement leur volonté librement exprimée.

Faits

Le 12 février 2023, les élections pour le renouvellement du Grand Conseil zurichois (Kantonsrat) se tiennent dans le canton de Zurich. Isabel Garcia, candidate sur la liste du Parti vert’libéral (PVL), obtient un siège. Les résultats sont publiés le 17 février 2023 dans la Feuille officielle. Le 23 février 2023, la candidate annonce publiquement son passage au Parti libéral-radical.

Lors de sa séance constitutive du 8 mai 2023, le Grand Conseil arrête la validation du résultat des élections.

Le 14 mai 2023, plusieurs personnes interjettent un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral contre l’arrêté de validation. Ce dernier doit déterminer si les droits politiques des électeur·rice·s ont été violés par le changement de parti d’Isabel Garcia. 

Droit

Dans un premier temps, le Tribunal fédéral examine si le recours a été interjeté en temps utile.

Conformément aux art. 19 al. 1 lit. c, 19 al. 2 lit. a et 22 al. 2 de la loi sur la procédure et la juridiction administratives du canton de Zurich (VRG), un recours peut être formé contre les actes relatifs aux élections dans un délai de cinq jours auprès du Grand Conseil zurichois. L’art. 42 lit. b VRG précise que le recours au Tribunal administratif contre les actes du Grand Conseil est exclu.

En principe, les citoyen·ne·s doivent déposer le recours dès la connaissance de l’irrégularité. Toutefois, malgré l’écoulement du délai de recours, une protection juridique découle directement de l’art. 29a Cst. lorsque des irrégularités d’une portée considérable, qui ont influencé massivement le processus électoral qui existaient déjà au moment du scrutin mais sont découvertes ultérieurement.

En l’espèce, les recourant·e·s font valoir qu’Isabel Garcia n’a pas pu justifier son changement de parti quelques jours après l’élection. Partant, elle aurait trompé le corps électoral et massivement influencé le résultat de l’élection. Le Tribunal fédéral constate que les conditions d’une protection juridique fondée sur l’art. 29a Cst sont remplies. Les recourant·e·s pouvaient et devaient donc recourir auprès du Grand Conseil dès la découverte de l’irrégularité, même après l’expiration du délai de recours ordinaire de cinq jours, puis auprès du Tribunal administratif, malgré la lettre de l’art. 42 VRG. En effet, en vertu de l’art. 88 al. 2 LTF, les cantons doivent garantir un recours effectif contre les actes violant les droits politiques en matière cantonale auprès d’une autorité judiciaire en tant qu’instance de recours (cf. art. 29a Cst.).

Le Tribunal fédéral entre toutefois en matière car, compte tenu d’une jurisprudence antérieure, les recourant·e·s pouvaient penser être en droit d’attendre l’arrêté de validation du Grand Conseil pour ensuite le contester directement devant le Tribunal fédéral. Le changement de jurisprudence intervenu sans avertissement ne doit pas leur porter préjudice (art. 9 Cst.).

Dans un second temps, le Tribunal fédéral examine le grief de violation de l’art. 34 al. 2 Cst. Les recourant·e·s soutiennent que la validation de l’élection d’Isabel Garcia viole la libre formation de l’opinion des citoyen·ne·s, car, en changeant de parti six jours après la publication des résultats sans aucune justification, la candidate aurait délibérément trompé les électeur·rice·s. Selon la volonté du corps électoral, son siège devait être octroyé à une personne appartenant au PVL.

Conformément à sa jurisprudence (cf. ATF 135 I 19), le Tribunal fédéral rappelle que les membres du parlement cantonal sont libres de modifier leur conviction à tout moment et ainsi de changer de parti en vertu de la liberté d’opinion (art. 16 Cst.), de la liberté d’association (art. 23 Cst.) et de la protection de leurs droits politiques (art. 34 al. 1er Cst.). L’inscription sur une liste n’équivaut pas à une promesse quant au comportement futur des élu·e·s. Le changement de parti en cours de législature, ainsi qu’entre le scrutin et l’entrée en fonction, ne porte en principe pas atteinte aux droits politiques des électeur·rice·s.

Cette liberté rencontre toutefois une limite dans la tromperie des électeur·trice·s (art. 34 al. 2 Cst.). Le résultat du vote doit en effet exprimer de manière fiable et non faussée leur volonté.

La jurisprudence récente reconnaît une importance croissante, aux yeux des électeur·rice·s, de l’appartenance à une liste dans le cadre d’élections selon le système de la représentation proportionnelle. Certes, certaines approximations sont inévitables et des incertitudes quant à la précision de la répartition des préférences sont inévitables. Cela étant, lorsqu’un·e candidat·e trompe les électeur·rice·s en cachant sa véritable appartenance à un parti, le résultat des élections ne traduit dès lors pas fidèlement la volonté exprimée. Une telle tromperie grave de l’électorat viole l’art. 34 al. 2 Cst.

Vu ce qui précède, le changement de parti le jour après l’expiration du délai de recours sans raison apparente aurait, en l’espèce, dû donner lieu à une enquête de la part des autorités compétentes. Le Tribunal fédéral estime en effet que, compte tenu de ces circonstances, il n’est pas exclu que l’attribution d’un siège à Isabel Garcia viole l’art. 34 al. 2 Cst. C’est la raison pour laquelle il admet le recours et renvoie l’affaire au Tribunal administratif du canton de Zurich pour qu’il instruise la question de savoir si la candidate avait déjà pris la décision de changer de parti au moment du scrutin.

Proposition de citation : Margaux Collaud, Le changement de parti politique par une élue entre son élection et son entrée en fonction, in: https://lawinside.ch/1539/