L’autorisation d’exercer une activité lucrative en Suisse pour la conjointe d’un frontalier français
La conjointe (non ressortissante d’un État membre de l’ALCP) d’un ressortissant d’un État membre bénéficiant d’une autorisation frontalière selon l’ALCP n’a pas un droit dérivé à travailler en Suisse comme frontalière. Son conjoint, travailleur frontalier, ne possède pas de droit de séjour mais un titre spécifique. Les membres de sa famille ne peuvent donc pas obtenir de droit dérivé du droit de séjour.
Faits
Une ressortissante thaïlandaise et son époux français résident en France. Ce dernier bénéficie d’un permis frontalier l’autorisant à exercer une activité professionnelle en Suisse. L’épouse demande une autorisation frontalière UE/AELE pour exercer une activité lucrative dans le canton de Genève.
L’Office cantonal de la population et des migrations du canton de Genève refuse la demande. Cette décision est confirmée en dernière instance cantonale.
L’intéressée interjette alors un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral qui doit déterminer si la recourante a droit à une autorisation frontalière sur la base du droit interne ou de l’ALCP.
Droit
L’épouse invoque une violation des art. 7 let. e ALCP et des art. 2 par. 1 et 3 par. 5 de l’annexe I ALCP. Elle allègue qu’elle possède, à titre dérivé, les mêmes droits que ceux que l’ALCP confère à son mari à titre originaire. Elle se prévaut également d’une inégalité de traitement indirecte et d’une entrave à la libre circulation de son conjoint, ce dernier devant déménager en Suisse pour qu’elle puisse y travailler.
À titre liminaire, le Tribunal fédéral exclut la possibilité d’octroyer le statut de frontalière à la recourante sur la base du droit interne, dès lors qu’elle ne réside pas dans une zone frontalière prévue à l’art. 25 LEI.
L’époux de la recourante entre en revanche dans le champ d’application personnel de l’ALCP et possède dès lors un droit originaire d’exercer une activité économique en Suisse (cf. art. 2 par. 1 Annexe I ALCP). L’art. 7 lit. e ALCP prévoit que les parties contractantes règlent le droit d’exercer une activité économique pour les membres de la famille, quelle que soit leur nationalité. La question se pose alors de savoir si la recourante, en tant que membre de la famille (art. 3 par. 2 lit. a Annexe I ALCP) d’un ressortissant français, qui fait usage de son droit de travailler en Suisse, peut tirer un droit dérivé de travailler dans le même pays du droit originaire de son mari.
Le Tribunal fédéral procède en premier lieu à une interprétation littérale des dispositions pertinentes de l’ALCP. L’art. 3 par. 5 de l’Annexe I ALCP prévoit que les membres de la famille d’une personne ayant un droit de séjour, quelle que soit leur nationalité, ont le droit d’accéder à une activité économique. Les membres de la famille peuvent s’installer avec le ressortissant d’une partie contractante qui a un droit de séjour (art. 3 par. 1 de l’Annexe I ALCP). Il faut donc résider dans l’État d’emploi, ce qui n’est pas le cas des travailleurs frontaliers. Partant, sur la base de l’interprétation littérale, les membres de la famille d’une personne au bénéfice d’une autorisation frontalière ne disposent pas de droit dérivé du droit de séjour sur la base de l’art. 3 par. 5 de l’Annexe I ALCP.
Sous l’angle de l’interprétation systématique, le Tribunal fédéral relève que les par. 3 à 6 de l’art. 3 ALCP prévoient des droits pour les membres de la famille tels que le droit de s’installer dans l’État d’accueil (par. 3), d’obtenir un titre de séjour dans cet État (par. 4), ou encore de bénéficier de l’enseignement dans cet État (par. 6). Ces droits découlent du droit des membres de la famille de s’installer avec le travailleur dans l’État d’accueil (par. 1). Ces dispositions impliquent logiquement que l’accès à une activité économique, tel que prévu à l’art. 3 par. 5 de l’Annexe I ALCP, requiert également le fait de s’être installés dans cet État pour pouvoir y travailler.
L’art. 7 Annexe I ALCP précise que les travailleurs frontaliers ne reçoivent pas un titre de séjour mais un titre spécifique dans l’État d’emploi. L’art. 3 par. 4 Annexe I ALCP, qui prévoit que la validité du « titre de séjour » des membres de la famille doit être la même que celle de la personne dont ils dépendent, ne mentionne pas le titre spécifique des travailleurs frontaliers. La systématique de l’ALCP atteste que le frontalier ne bénéficie pas d’un droit de séjour en Suisse et que les membres de sa famille ne détiennent pas de droit dérivé sur ce point.
Finalement, le Tribunal fédéral analyse la question selon l’interprétation téléologique de l’ALCP. Il rappelle que les droits dérivés conférés aux membres de la famille ont pour but de garantir une vie familiale effective et de faciliter la libre circulation des ayants droits originaires. Toutefois, le frontalier, retournant régulièrement dans son État de résidence, ne subit aucune entrave à sa liberté de circulation en raison de l’absence de droits dérivés pour son conjoint. L’objectif de l’ALCP ne justifie donc pas d’accorder aux membres de la famille le droit d’exercer une activité économique dans l’État d’emploi.
Au vu de ce qui précède, le Tribunal fédéral conclut que la recourante ne saurait déduire du statut de frontalier de son mari le droit dérivé d’accéder elle aussi à une activité lucrative en Suisse comme frontalière. Il rejette en conséquence le recours.
Proposition de citation : Margaux Collaud, L’autorisation d’exercer une activité lucrative en Suisse pour la conjointe d’un frontalier français, in: https://lawinside.ch/1537/