Allocution d’un Conseiller fédéral à la radio SRF : violation du principe de pluralité des opinions ?
Les allocutions du Conseil fédéral présentent plusieurs particularités qui justifient une application moins stricte du principe de pluralité des opinions, notamment en raison de leur objectif politique et démocratique ainsi qu’en l’absence d’influence de la SSR sur leur contenu. La SSR doit néanmoins respecter le principe de pluralité dans le cadre de ses autres émissions pertinentes pour la votation.
Faits
Le 25 avril 2022, la radio SRF diffuse une allocution du conseiller fédéral Ueli Maurer d’une durée d’environ 4 minutes. Il y expose la recommandation de vote du Conseil fédéral et du Parlement sur la participation de la Suisse au développement de l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) dont la votation a lieu trois semaines plus tard. Le 15 mai 2022, le peuple accepte le projet Frontex.
Le 11 mai 2022, plusieurs personnes recourent contre l’émission. L’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (ci-après : l’Autorité de plainte) admet le recours contre l’émission pour violation du respect du principe de pluralité des opinions.
La Société suisse de radiodiffusion et télévision (ci-après : SSR) interjette alors un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral qui doit déterminer si l’émission en question viole le principe de pluralité des opinions (art. 4 LRTV).
Droit
A titre préliminaire, le Tribunal fédéral constate que l’art. 189 al. 4 Cst. n’exclut pas un contrôle judiciaire des allocutions du Conseil fédéral diffusées sur la SSR à la lumière du droit de la radio-télévision, car la SSR décide librement de diffuser une telle allocution. Il s’agit d’une émission rédactionnelle au sens de l’art. 2 let. c LRTV qui fait partie du programme concessioné de la SSR. Ni la LRTV, ni la concession accordée à la SSR ne prévoient une obligation de diffuser ces allocutions. La SSR en assume ainsi la responsabilité et doit dans ce contexte se conformer aux exigences de l’art. 4 LRTV.
Le Tribunal fédéral poursuit en rappelant que l’art. 17 Cst. garantit la liberté de la presse, de la radio et de la télévision. L’art. 93 al. 3 Cst. garantit plus précisément l’autonomie de la télévision dans la conception de ses programmes. L’art. 93 al. 2 Cst. limite néanmoins cette autonomie en précisant les buts et principes qu’un diffuseur radio ou télévision doit prendre en considération, tels que la libre formation de l’opinion et la représentation équitable de la diversité des opinions. Ces principes sont concrétisés par la LRTV et plus particulièrement à l’art. 4 LRTV dont l’alinéa 4 précise que les programmes des concessionnaires doivent refléter équitablement, dans l’ensemble de leurs émissions rédactionnelles, la diversité des événements et des opinions. L’objectif de ce principe est d’empêcher une tendance unilatérale dans les points de vue représentés à la télévision.
Le principe de pluralité doit être observé de manière plus stricte dans le cadre d’émissions et publications diffusées pendant la période sensible précédant les élections et les votations, afin d’éviter une influence unilatérale de la formation de l’opinion publique et une falsification des résultats (cf. art. 34 Cst.). Dans ce contexte, il s’applique ainsi individuellement à chaque émission.
Une intervention de l’État est nécessaire lorsque les exigences minimales découlant de l’art. 4 LRTV sont violées. L’État ne peut intervenir qu’après une pesée des intérêts entre la liberté de programmation du diffuseur d’une part, et la liberté d’information du public et/ou d’autres droits fondamentaux d’autre part.
Le Tribunal fédéral effectue en principe l’examen du respect du principe de pluralité sur la base de trois critères. Premièrement, il détermine si l’émission précède une votation qu’elle concerne et doit pour ce motif respecter les exigences accrues précitées. Deuxièmement, il examine si l’émission a exprimé une pluralité d’opinions et si les différentes positions ainsi que les avis minoritaires ont été représentés de façon équilibrée. Troisièmement, il se demande quel impact objectif l’émission a eu sur le public.
Il précise qu’il se justifie toutefois de tenir compte des particularités et de la fonction politique que présentent les allocutions d’un conseiller fédéral. Ces allocutions répondent à un objectif politique et démocratique et poursuivent ainsi un intérêt public général. Elles font partie des activités d’information que le Conseil fédéral doit déployer en vue d’un scrutin fédéral. L’art. 10a al. 1 LDP prévoit en effet une obligation pour le Conseil fédéral d’informer le public sur les objets soumis à votation fédérale. Il doit respecter les principes d’exhaustivité, d’objectivité, de transparence et de proportionnalité (art. 10a al. 2 LDP). Cela n’exclut pas qu’il prenne position. Le Tribunal fédéral rappelle en effet que les électeurs et électrices sont habitués à se forger leur opinion sur les objets soumis à référendum fédéral, même face à la prise de position du Conseil fédéral et de l’Assemblée fédérale. Les allocutions télévisées ont d’ailleurs une longue tradition, puisqu’elles existent depuis le début des années 1970.
Par ailleurs, l’émission n’est pas produite par la SSR qui, bien que libre de diffuser l’émission, n’a pas de responsabilité sur le fond. Sa marge de manœuvre pour garantir le principe de pluralité est ainsi limitée. Enfin, l’allocution du Conseil fédéral se distingue très nettement des autres émissions de la SSR, de sorte que les citoyennes et citoyens peuvent sans autre l’attribuer aux activités officielles d’information.
Au vu de ces circonstances particulières, le Tribunal fédéral conclut que le principe de pluralité des opinions ne s’applique pas de manière stricte aux allocutions du Conseil fédéral. Il suffit que la SSR respecte le principe de pluralité dans le cadre de ses autres émissions pertinentes pour la votation et permette à la position opposée à celle du Conseil fédéral d’être représentée dans ce contexte.
En l’espèce, l’allocution du Conseil fédéral était, premièrement, clairement identifiable comme une information destinée à exposer les recommandations de vote du Conseil fédéral et du Parlement. Deuxièmement, la diffusion de l’émission s’insérait dans une couverture large et diversifiée de la votation « Frontex » par la radio SRF.
A la lumière de ce qui précède, le Tribunal fédéral conclut que l’Autorité de plainte n’a pas pris en compte les particularités susmentionnées des allocutions d’un conseiller fédéral et a appliqué de manière trop stricte le principe de pluralité. L’allocution du Conseil fédéral n’a pas porté atteinte au principe de pluralité (art. 4 al. 4 LRTV). Partant, le Tribunal fédéral admet le recours.
Proposition de citation : Margaux Collaud, Allocution d’un Conseiller fédéral à la radio SRF : violation du principe de pluralité des opinions ?, in: https://lawinside.ch/1529/