L’existence d’un cas de préemption en cas d’amitié entre le vendeur et l’acheteur

TF, 19.08.2024, 5A_927/2023*

Certaines ventes d’immeubles ne constituent pas des cas de préemption en raison des relations personnelles qui existent entre vendeur et acheteur. Toutefois, tel est uniquement le cas lorsque les relations personnelles ont exercé une influence déterminante sur la vente ; la simple existence d’une amitié entre le vendeur et l’acheteur ne suffit pas à elle seule pour écarter le cas de préemption.

Faits

Deux fermiers exploitent chacun la moitié d’une parcelle reconnue en tant qu’immeuble agricole au sens de la LDFR. Le propriétaire de l’immeuble agricole décide de le vendre en totalité à l’un des deux fermiers et un tiers. Les nouveaux propriétaires résilient le contrat de location en faveur de l’autre fermier, qui demande alors à consulter le contrat de vente puis exerce son droit de préemption sur la parcelle qu’il louait jusqu’alors.

Suite au refus des nouveaux propriétaires d’accepter le droit de préemption et l’échec d’une procédure de conciliation, le fermier dépose alors une action auprès du Kantonsgericht de Zoug afin de faire valoir son droit de préemption. Le Kantonsgericht donne raison au fermier. Les nouveaux propriétaires forment alors recours en matière civile au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur l’existence d’un droit de préemption en cas de relation particulière entre le vendeur et l’acheteur.

Droit

L’art. 47 al. 2 LDFR prévoit que le fermier dispose d’un droit de préemption sur l’objet affermé à deux conditions cumulatives. Premièrement, la durée légale du bail minimum doit être échue (let. a) et deuxièmement, le fermier doit disposer ou exploiter économiquement une entreprise agricole au sein de laquelle se trouve l’immeuble affermé (let. b). En l’espèce, il n’est pas contesté que la situation de l’autre fermier remplit ces deux conditions.

En revanche, les nouveaux propriétaires font valoir que l’art. 47 al. 2 LDFR ne serait pas applicable, car un cas de préemption ne se serait pas produit. En effet, l’exercice d’un droit de préemption présuppose un cas de préemption, c’est-à-dire une vente ou qu’un autre acte juridique s’y apparentant économiquement selon l’art. 216c al. 1 CO, applicable en l’espèce à défaut d’autre disposition spéciale. Par exemple, l’art. 216c al. 2 CO détermine que l’attribution à un héritier dans un partage successoral ou que l’acquisition pour l’exécution d’une tâche publique ne sont pas des cas de préemption ; cette énumération n’est toutefois pas exhaustive. En particulier, si une transaction est conclue uniquement en raison de relations personnelles entre le vendeur et l’acheteur, respectivement si une contrepartie de la vente peut être accomplie uniquement par un acheteur précis, il ne s’agit pas d’un cas de préemption (ATF 143 III 480, consid. 5.6.2 ; TF, 15.04.2010, 4A_22/2010, consid. 3).

Les nouveaux propriétaires estiment qu’il existe une certaine amitié entre eux et le vendeur, de telle sorte que le cas de préemption ne se serait pas produit. Le Tribunal fédéral rejette cette argumentation. En effet, l’existence de relations particulières ne suffit pas à elle seule pour écarter un cas de préemption. Il faut au contraire que la relation particulière entre vendeurs et acheteurs ait exercé une influence déterminante sur la conclusion du contrat. Tel est le cas par exemple lorsque la relation particulière influence la structure de l’acte juridique (par ex. une donation mixte) ou le prix de vente (par ex. un prix largement inférieur à la valeur vénale).

En l’espèce, le prix de vente du terrain agricole se situe dans les limites supérieures du prix usuel pour ce genre de biens, ce qui exclut que l’on puisse admettre que les cocontractants aient modifié le prix en raison de leur relation amicale. De même, la simple allégation que le vendeur n’aurait voulu vendre à personne d’autre que l’acheteur ne suffit pas pour exclure un cas de préemption. Il faudrait encore que cette relation ait eu un effet concret sur les termes de la transaction. Tel n’était pas le cas en l’espèce, la vente de l’immeuble agricole constitue bien un cas de préemption, circonstance qui autorisait l’autre fermier a exercé son droit de préemption conformément à l’art. 47 al. 2 LDFR.

Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Selon la doctrine majoritaire, une vente à des fins de planification successorale ne constitue pas un cas de préemption, même si elle a lieu aux conditions du marché. Le Tribunal fédéral semble souscrire à cette opinion et indique expressément dans l’arrêt résumé ici que le cas d’espèce se distingue sur ce point de la vente à des fins de planification successorale.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, L’existence d’un cas de préemption en cas d’amitié entre le vendeur et l’acheteur, in: https://lawinside.ch/1483/