La qualité de fait notoire des informations d’un registre du commerce étranger
Les informations qui figurent dans des registres du commerce étrangers ne sont pas des faits notoires, même lorsqu’elles sont accessibles sur Internet.
Faits
En 2012, une caisse d’épargne allemande établit un contrat de prêt avec une débitrice. Durant l’année 2016, la caisse d’épargne ainsi qu’une seconde sont absorbées par une troisième caisse d’épargne nouvellement créée ; cette dernière succède juridiquement aux entités précitées (Gesamtrechtsnachfolge).
En 2022, la nouvelle caisse d’épargne actionne la débitrice en déposant un commandement de payer. Après quelques jours, elle requiert la mainlevée définitive auprès du juge unique du Bezirksgericht de March (SZ). Ce dernier fait droit à la demande de mainlevée définitive. Le Tribunal cantonal de Schwyz rejette le recours de la débitrice.
La débitrice forme alors recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur la qualité de fait notoire des informations inscrites aux registres du commerce étrangers.
Droit
La débitrice n’oppose qu’un seul argument auprès du Tribunal fédéral : l’identité de la créancière poursuivante ne correspondrait pas à l’identité de la créancière au bénéfice du titre de mainlevée. Le juge examine d’office si ces identités coïncident et n’octroie la mainlevée qu’à condition que cette circonstance soit prouvée sans aucun doute (ATF 143 III 221, c. 4, résumé in : LawInside.ch/445).
En l’espèce, la requête de mainlevée indiquait que la caisse d’épargne poursuivante possédait un autre nom au moment de la conclusion du contrat avec la débitrice. Cependant, aucune preuve n’étayait cette allégation. Dans une prise de position ultérieure, la poursuivante a produit un extrait du registre du commerce de Freiburg-en-Brisgau qui démontre que la nouvelle caisse d’épargne avait absorbé ces prédécesseurs. Le Bezirksgericht de March avait considéré une telle information comme un fait notoire et avait ainsi fait droit à la demande, puisque l’identité de la créancière et de la poursuivante coïncidait.
Les faits notoires sont ceux que tout à chacun peut obtenir et vérifier. Ainsi, ils n’ont ni besoin d’être allégués ni prouvés (art. 151 CPC) ; le tribunal les prend en compte d’office même en cas d’application de la maxime des débats (ATF 135 III 88, c. 4.1). En particulier, toute inscription au registre du commerce suisse revêt la qualité de fait notoire. Cela dit, le Tribunal fédéral n’a jamais examiné la question des faits notoires en lien avec les registres du commerce étrangers.
Au vu des avantages procéduraux que procure la reconnaissance d’un fait notoire, la qualité de fait notoire ne doit être admise qu’avec retenue. Cela vaut d’autant plus pour le procès civil, gouverné par la maxime des débats. De plus, il n’est pas souhaitable que toutes les informations d’Internet qui proviennent de sources fiables acquièrent la qualité de fait notoire. Ainsi, les informations qui figurent au sein d’un registre du commerce étranger ne sont pas des faits notoires, même si elles sont facilement accessibles sur Internet.
Reste à examiner si la créancière poursuivante a produit à temps la pièce qu’elle a succédé juridiquement à la bénéficiaire du titre de mainlevée. Le principe veut qu’il n’y ait pas de second échange d’écritures au sein de la procédure de mainlevée ; le créancier poursuivant doit donc faire valoir l’ensemble de ses preuves au stade de la requête puisqu’il ne sait pas s’il pourra se prononcer une nouvelle fois. Certes, les parties ont un droit à répliquer garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. et l’art. 6 al. 1 CEDH ; en revanche, ce droit à la réplique ne confère pas un droit à invoquer des novas. Ces derniers ne peuvent faire l’objet de la réplique qu’ils remplissent les exigences de l’art. 229 CPC.
En l’espèce, le Tribunal a expressément informé les parties qu’il n’y aurait pas de second échange d’écritures. La requête mentionnait un « changement de nom » de la caisse d’épargne ; or, les caisses d’épargne ont plutôt procédé à une « succession universelle » (Gesamtrechtsnachfolge). La créancière poursuivante a donc profité de son droit de réplique pour présenter un nova qui ne respectait pas les conditions de l’art. 229 CPC. Une telle preuve aurait dû être exclue du dossier ; par voie de conséquence, les instances inférieures n’auraient pas dû admettre que l’identité de la créancière poursuivante coïncidait avec l’identité de la créancière au bénéfice du titre de mainlevée définitive.
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et rejette la demande de mainlevée définitive.
Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La qualité de fait notoire des informations d’un registre du commerce étranger, in: https://lawinside.ch/1444/