L’indépendance et la composition des Commissions de recours communales
Le défaut d’indépendance institutionnelle d’une Commission de recours communale composée de membres du conseil communal implique que cette dernière ne revêt pas la qualité de tribunal au sens de l’art. 30 Cst. L’exercice de « doubles fonctions » comme membre du parlement et membre d’une autorité judiciaire est en principe prohibé, du moins lorsque ces fonctions concernent le même niveau de structure étatique.
Faits
La commune d’Aigle notifie deux décisions de taxes de raccordement à une société propriétaire de deux parcelles sur son territoire. La société conteste les décisions auprès de la Commission communale de recours en matière de taxes et d’impôts communaux (la Commission).
La Commission engage alors un avocat à titre de mandataire externe afin de traiter le recours, qui s’avère complexe. Elle notifie cette décision à la commune, à qui il incombe par ailleurs de rémunérer le mandataire ; en revanche, elle ne notifie pas ces éléments à la société. Cette dernière en prend connaissance lorsqu’elle consulte le dossier et demande alors la récusation de l’avocat mandaté par la commune. La Commission rejette la demande. La Cour de Droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud rejette le recours de la société.
La société forme alors recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur les exigences d’impartialité que doit remplir une Commission communale de recours.
Droit
La société estime que la Commission constitue un « tribunal » ; elle devrait dès lors respecter les exigences procédurales qui découlent de l’art. 30 Cst. et de l’art. 6 para. 1 CEDH. Engager un mandataire externe, qui pourrait influencer la décision sans disposer de la compétence de le faire, violerait ces impératifs. Enfin, la recourante formule un grief quant au fait que la Commune, sa partie adverse, s’acquitte des honoraires du mandataire.
Le Tribunal fédéral commence par relever que l’art. 6 para. 1 CEDH n’a pas de portée à l’égard des litiges fiscaux, hormis ceux qui ont un caractère pénal (ATF 140 I 68, consid. 9.2). Tel n’est pas le cas en l’espèce. Ainsi, le Tribunal fédéral examine l’affaire sous l’unique angle de l’art. 30 Cst.
Pour que les exigences procédurales de l’art. 30 Cst. s’appliquent, l’autorité qui rend son jugement doit revêtir la qualité de « tribunal ». Cette notion s’analyse au moyen de deux critères. Du point de vue fonctionnel, l’autorité doit accomplir une activité juridictionnelle ; du point de vue organisationnel, l’autorité doit être indépendante d’autres institutions.
Selon l’art. 45 de la loi vaudoise sur les impôts communaux (LICom/VD), la Commission a la compétence de statuer sur les recours qui concernent les taxes et impôts communaux. En adoptant cet article, le législateur entendait ajouter une juridiction indépendante à l’échelon communal, avant de solliciter les instances cantonales. Ainsi, la Commission remplit un rôle juridictionnel, au contraire des commissions parlementaires et des commissions thématiques qui remplissent elles un rôle politique.
Quant à elle, l’indépendance institutionnelle concrétise et développe le principe de la séparation des pouvoirs. Elle implique également le droit à un tribunal indépendant, ce qui octroie au citoyen le droit à ce qu’un tribunal juge de sa cause, sans influences ou pressions externes. Le Tribunal fédéral souligne qu’historiquement, la pratique simultanée d’une double fonction n’a pas toujours impliqué un défaut d’indépendance ; plusieurs parlements cantonaux acceptent d’ailleurs qu’un membre du parlement siège dans un tribunal. Cependant, cette approche ne correspond plus à la conception actuelle de l’indépendance institutionnelle. Appliquer en tant que juge les lois que l’on a adoptées lors de son activité parlementaire n’offre pas suffisamment d’indépendance. Par conséquent, l’exercice de doubles fonctions s’oppose à la reconnaissance d’une indépendance institutionnelle au sens de l’art. 30 Cst.
En l’espèce, la Commission de recours se compose de membres du conseil communal, qui ont élaboré les arrêtés d’imposition. De plus, les règles qui encadrent la Commission en matière de quorum et de votes ne respectent pas non plus les impératifs jurisprudentiels qui valent pour les tribunaux au sens de l’art. 30 Cst. En conséquence, bien que la Commission remplisse un rôle juridictionnel, elle ne revêt pas le statut de tribunal à défaut d’une indépendance institutionnelle. La Commission intervient plutôt comme autorité administrative. Le recourant ne bénéficie dès lors pas de la protection de l’art. 30 Cst. et ne peut se prévaloir du droit à un tribunal impartial.
Enfin, la recourante reproche l’influence qu’aurait eu le mandataire dans le processus décisionnel de la Commission. Le Tribunal fédéral souligne tout d’abord que dans la mesure où l’art. 30 Cst. ne s’applique pas, aucun grief ne peut être tiré d’une prétendue violation cette disposition par l’intervention du mandataire. La procédure devant la Commission doit toutefois respecter les garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst. Sur ce point, le Tribunal fédéral souligne qu’en l’absence d’éléments qui indiquent le contraire, le rôle du mandataire se borne à préparer et assister la Commission de recours dans son travail. Cette dernière ne peut en aucun cas déléguer l’exercice de ses compétences décisionnelles au mandataire. Au demeurant, s’entourer de collaborateurs afin d’élaborer des décisions est usuel pour les autorités administratives qui ne disposent pas de juristes. De même, le fait que la commune s’acquitte de la rémunération du mandataire répond à des impératifs budgétaires : la Commission ne dispose pas de ressources financières propres. On ne saurait déduire de cette modalité de facturation une apparence de prévention contraire à l’art. 29 al. 1 Cst.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note
Le raisonnement du Tribunal fédéral peut paraître tautologique : l’absence d’indépendance institutionnelle de l’organe décisionnel rend inapplicable le droit à un tribunal indépendant et impartial (art. 30 Cst.). Il est toutefois exact que les garanties de l’art. 30 Cst. ne s’appliquent pas à toutes les procédures, mais uniquement aux procédures de nature judiciaire. En matière administrative en particulier, les autorités compétentes ne sont fréquemment pas soumises à ces exigences, précisément parce qu’elles n’ont pas la qualité de tribunal. De façon cohérente avec cet état de fait, un double degré d’instance judiciaire cantonale n’est pas exigé avant le recours au Tribunal fédéral (art. 86 al. 2 LTF a contrario).
Par ailleurs, la notion d’indépendance en lien avec une double fonction nous semble mériter l’attention. Dans le consid. 6.2.2 du présent arrêt, le Tribunal fédéral indique ce qui suit quant à l’évolution de cette notion (nous soulignons) :
« Si, par le passé, l’aspect de l’indépendance institutionnelle a été apprécié de manière assez large, certains cantons admettant qu’une personne siège au parlement cantonal tout en exerçant la fonction de juge à titre principal ou comme suppléant (KURT EICHENBERGER, Die richterliche Unabhängigkeit als staatsrechtliches Problem, Berne 1960, p. 230 s.), une telle approche ne correspond plus aux conceptions actuelles, fondées sur les garanties constitutionnelles prévues depuis de nombreuses années par les art. 29a et 30 Cst. (sur l’amélioration de la protection juridique prévue par la Constitution fédérale du 18 avril 1999, voir FF 1997 I 511, ch. 231.4; sur l’historique des art. 29a et 30 Cst., BOHNET, in Commentaire romand, Constitution fédérale, 2021, n. 16 ss ad art. 30; STEINMANN/SCHINDLER/WYSS, op. cit., n. 1 ss ad art. 29a Cst. et n. 1 ss ad art. 30 Cst.). Compte tenu de l’importance de l’indépendance institutionnelle, l’exercice de « doubles fonctions » comme membre du parlement et membre d’une autorité judiciaire est en principe prohibé, du moins lorsque ces fonctions concernent le même niveau de structure étatique. Le juge qui serait également membre d’un parlement, où il exerce une fonction politique, en vertu du mandat électif, également en tant que représentant d’une certaine tendance politique, apparaîtra difficilement comme indépendant, alors qu’il a adopté les normes qu’il s’agit d’appliquer ou d’examiner dans son activité juridictionnelle (REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit, Berne 2001, p. 250 s.). »
Nous souhaitons formuler les deux remarques suivantes à propos de cet extrait.
Premièrement, les Commissions de recours communales qui se composent de membres du conseil communal ne remplissent pas les exigences d’indépendance puisque celles et ceux qui ont adopté les lois les appliquent ensuite. Dans ces circonstances, les administrés ne disposent pas du droit à un tribunal impartial qui découle de l’art. 30 Cst. On peut dès lors douter de la qualification d’autorité de recours de ces Commissions ; le Tribunal fédéral lui-même insinue dans l’arrêt résumé ici qu’il s’agit peut-être plus d’une « autorité chargée d’examiner sans trop de formalités une décision avec laquelle le contribuable n’était pas d’accord, comme l’aurait fait une autorité chargée de traiter une opposition » plutôt qu’un « véritable tribunal » (consid. 6.1.2). Même si le Tribunal fédéral n’opère pas expressément de revirement de jurisprudence, l’arrêt semble dès lors revenir sur la jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral, qui n’avait pas exclu la possibilité qu’une Commission de recours instituée par l’art. 45 LICom/VD revête la qualité de tribunal au sens de l’art. 30 Cst. (TF, 19.09.23, 9C_266/2023*, consid. 6.1.2 ; voir également TF, 08.07.14, 2C_797/2013, consid. 8).
Deuxièmement, le Tribunal fédéral déduit des dispositions constitutionnelles de l’art. 29a et 30 Cst. l’interdiction des doubles fonctions au sein d’un tribunal. L’autorité judiciaire dans laquelle siège un parlementaire du même échelon ne présente pas une indépendance suffisante au regard du droit à un tribunal impartial. Le Tribunal fédéral semble donc fermer à la porte aux cantons qui autoriseraient encore cette pratique. Les cantons de Fribourg (art. 15 LJ/FR), de Vaud (art. 20 LOJV/VD), de Genève (art. 6 LOJ/GE) et du Jura (art. 6 de la Loi d’incompatibilité/JU) interdisent d’ores et déjà la double fonction.
Proposition de citation : Arnaud Lambelet, L’indépendance et la composition des Commissions de recours communales, in: https://lawinside.ch/1376/