La qualification en droit suisse d’une Parental Guarantee

ATF 149 III 71TF, 23.11.2022, 4A_120/2022*

Le tiers non partie au contrat et au bénéfice d’une stipulation pour autrui parfaite peut se voir imposer des conditions d’exercice de la créance dont il dispose, notamment une élection de for et de compétence. Le contrat qui oblige un tiers à exécuter une obligation en nature ne peut résulter en un cautionnement, même si le bénéficiaire finit par introduire une action tendant au paiement d’une somme.

Faits

Un groupe offre des services en lien avec la technologie de l’information et de la communication. Il est composé d’une société-fille suisse (la recourante) et d’une société-mère, qui a son siège en Allemagne.

En 2015, la société-mère allemande conclut un contrat-cadre avec une entreprise internationale spécialisée dans le développement et l’implantation de systèmes et plateformes « intelligents ». Cette dernière est composée d’une société suisse qui est la société-fille d’une holding néerlandaise, elle-même la société fille d’une société américaine. Ce contrat-cadre vise l’implantation d’un logiciel dans les opérations informatiques du groupe. L’entreprise américaine consent une première « Parental Guarantee of Provider’s ultimate parent » garantissant les obligations de sa fille néérlandaise en faveur de la cliente allemande et de toutes les sociétés de son groupe. La société allemande et les sociétés de son groupe sont désignées comme bénéficiaires de la « Parental Guarantee », mais n’y sont pas parties et ne la contresignent pas.  La garantie est soumise au droit allemand et désigne un for en Allemagne.

En 2016, sur la base du contrat-cadre qui prévoyait cette possibilité, la prestataire de service suisse conclut un accord (« Local Service Agreement ») avec l’entité suisse du groupe client sur les opérations en Suisse. Cet accord est conditionné à l’octroi d’une seconde « Parental Guarantee » de la holding néerlandaise garantissant les obligations de la prestataire de service suisse en faveur du groupe client. La garantie est soumise au droit suisse et désigne un for en Suisse.

En 2018, conformément aux exigences définies par la « Parental Guarantee », la prestataire de service suisse notifie à la holding néerlandaise et la société américaine que leur société-fille n’a pas accompli ses obligations contractuelles. Elle ouvre ensuite action au Handelsgericht du canton de Berne et réclame plus de CHF 1.6 M aux deux sociétés.

Le Handelsgericht, qui a limité l’objet du litige aux conditions de recevabilité et à la responsabilité, n’entre pas en matière concernant la « Parental Guarantee » du contrat-cadre, car il s’estime incompétent en raison de l’élection de for allemande. Concernant l’autre « Parental Guarantee », le Handelsgericht conclut qu’il en résulte un cautionnement invalide qui n’engage pas la responsabilité des sociétés intimées.

La prestataire de service suisse forme recours en matière civile au Tribunal fédéral, qui est amené à se prononcer sur l’opposabilité d’une convention de for prévue dans une « Parental Guarantee » au bénéficiaire de celle-ci et sur la qualification juridique d’une telle « Parental Guarantee ».

Droit

Le Tribunal fédéral mène un raisonnement en deux étapes, en fonction de la « Parental Guarantee » qui est examinée. La première est soumise au droit allemand et désigne un for en Allemagne. L’art. 23 CL régit les conditions d’une convention attributive de juridiction et autorise les parties à librement déterminer la compétence des tribunaux susceptibles de connaître un litige entre elles. D’une manière générale, une convention ne déploie des effets que pour les parties qui l’ont acceptée. L’art. 23 CL ne précise cependant pas si la convention peut avoir des effets pour les tiers non parties au contrat ; il convient de recourir au droit national applicable (droit du for ou droit applicable à l’acte juridique concerné, soit en l’espèce au droit allemand) pour combler cette lacune.

Le Handelsgericht a examiné la doctrine allemande et est parvenue à la conclusion que la convention de for est opposable au bénéficiaire de la «  Parental Guarantee » en l’application des dispositions topiques du droit allemand. La doctrine relative à l’art. 23 CL retient également qu’en cas de stipulation pour autrui parfaite, les parties peuvent aménager les relations contractuelles de telle sorte que le tiers ne puisse faire valoir sa créance qu’au for déterminé par le contrat. On lui accorde une créance, dont les modalités procédurales d’exercice sont toutefois prédéterminées. Le tiers doit donc ouvrir action en Allemagne pour faire valoir la créance découlant de la première « Parental Guarantee ».

Concernant la seconde « Parental Guarantee », les parties admettent la compétence du Handelsgericht et l’application du droit suisse. En revanche, la qualification juridique de la « Parental Guarantee » est contestée. Le Handelsgericht l’a qualifiée de cautionnement. Dans un contrat de cautionnement, la caution s’engage envers le créancier à garantir le paiement de la dette contractée par le débiteur. À ce titre, le cautionnement a toujours pour objet le paiement d’une somme d’argent et non pas l’exécution en nature de la dette principale.

En l’espèce, la « Parental Guarantee » obligeait la holding néerlandaise à s’acquitter de l’exécution en nature des prestations convenues dans le contrat, au cas où sa société-fille ne s’exécuterait pas. Le Handelsgericht a donc qualifié le contrat de cautionnement à tort. Il est sans importance que le prestataire de service ait ensuite introduit une action tendant au paiement d’une somme.

Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours et renvoie l’affaire au Handelsgericht pour qu’elle statue sur le fond en ce qui concerne la responsabilité de la holding néerlandaise en vertu de la « Parental Guarantee » soumise au droit suisse.

Proposition de citation : Arnaud Lambelet, La qualification en droit suisse d’une Parental Guarantee, in: https://lawinside.ch/1291/