L’activité de maman de jour dans une PPE
Selon l’expérience générale de la vie, la garde de plusieurs jeunes enfants dans un appartement est susceptible d’entraver la tranquillité du voisinage, que ce soit en termes de bruit ou de trépidations. Partant, l’activité de maman de jour est contraire au règlement d’une PPE qui interdit toute activité professionnelle nuisant à la tranquillité de l’immeuble.
Faits
Une PPE est constituée de 3 lots répartis sur trois étages. Le premier se situe au rez-de-chaussée. Le deuxième, situé au 1er étage, appartient à une maman de jour. Elle y exerce son activité depuis 2009. Son époux est propriétaire du troisième lot au 2e étage, qui sert de logement au couple.
La voisine du rez-de-chaussée s’oppose à l’exercice de l’activité de maman de jour, contraire selon elle à l’art. 7A du règlement d’utilisation de la PPE. Ce règlement prévoit que l’exercice d’une profession n’est autorisé que s’il ne nuit pas à la bonne tenue et à la tranquillité de l’immeuble et qu’il n’apporte aucune gêne aux autres propriétaires, notamment en raison du bruit, des odeurs et des trépidations.
Le 20 novembre 2013, la voisine ouvre une action en cessation de trouble à l’encontre des époux auprès du Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne et requiert l’interdiction de toute activité professionnelle nuisant à la tranquillité de l’immeuble, notamment celle de maman de jour.
Le 25 mars 2014, une assemblée générale est alors convoquée afin de modifier le règlement de la PPE et d’autoriser expressément l’activité de maman de jour. La décision est adoptée à la double majorité. Le Tribunal fédéral annule toutefois la décision de la PPE. Selon cet arrêt, la modification du règlement constitue un changement de destination de l’immeuble. Or une telle modification nécessite un accord unanime de tous les propriétaires (TF, 27.06.2017, 5A_98/2017).
La procédure d’action en cessation de trouble, suspendue durant la procédure en annulation précitée, reprend son cours devant le Tribunal civil de l’arrondissement de Lausanne. Le Tribunal admet l’action et ce jugement est confirmé par la Cour d’appel du Tribunal cantonal vaudois.
Saisi d’un recours simultané des époux (art. 119 LTF), le Tribunal fédéral est amené à se prononcer sur la compatibilité de l’activité de maman de jour avec le règlement de la PPE.
Droit
Les époux reprochent au Tribunal cantonal vaudois d’avoir interprété objectivement l’art. 7A du règlement de la PPE. Par ailleurs, selon eux, la gêne occasionnée aux autres propriétaires d’étages par la présence d’enfants ne constituerait pas un fait notoire et devrait par conséquent être prouvée en fait.
Les propriétaires d’étage peuvent convenir de restrictions à leur liberté d’utilisation de leurs parties exclusives, notamment dans le règlement prévu à l’art. 712g al. 3 CC. Ces restrictions sont déterminantes afin d’évaluer le caractère excessif d’une immission (art. 712a al. 2 CC cum art. 684 CC). Afin de constater l’existence de telles restrictions, le règlement de PPE doit s’interpréter selon les principes de l’interprétation contractuelle, en particulier selon le principe de la confiance. Lorsqu’un propriétaire d’étage excède son droit exclusif et qu’il en résulte un conflit avec les autres propriétaires, ces derniers disposent des moyens de droit prévus par l’art. 679 CC (par le renvoi de l’art. 712a al. 2 CC), notamment une action en cessation du trouble.
En l’espèce, les propriétaires d’étages sont précisément convenus d’une telle restriction à l’art. 7A du règlement de la PPE. C’est à juste titre que le Tribunal cantonal, à défaut de pouvoir établir la volonté réelle des parties au moment d’établir le règlement, a procédé à une interprétation objective de cette disposition.
Le Tribunal fédéral, en se fondant sur l’expérience générale de la vie, admet que la garde de plusieurs jeunes enfants dans un appartement est susceptible d’entraver la tranquillité du voisinage que ce soit en termes de bruit ou de trépidations. Cette appréciation générale constitue une règle d’expérience et non un fait notoire ; tout comme le fait notoire, la règle d’expérience ne doit pas être prouvée (art. 151 CPC).
Le Tribunal fédéral note par ailleurs que les époux ont tenté de modifier le règlement de la PPE afin d’autoriser expressément l’activité de maman de jour. Ce faisant, ils ont implicitement reconnu son caractère incompatible avec le règlement. En outre, le règlement n’impose une exigence de tranquillité qu’en lien avec l’exercice d’une activité professionnelle. Dès lors, la situation litigieuse n’est pas comparable à celle d’une famille nombreuse, laquelle serait conforme à la destination de l’immeuble – à savoir l’habitation.
Étant incompatible avec le règlement de la PPE, l’activité de maman de jour est illicite et ainsi excessive au sens de l’art. 684 CC. Partant, le Tribunal fédéral retient qu’il n’y a pas lieu d’examiner concrètement le caractère abusif de l’atteinte. Il rejette ainsi le recours.
Note
Rendu par cinq juges en audience publique, cet arrêt n’a pas fait l’unanimité. Bien que la majorité ait suivi l’argumentation du Tribunal cantonal, le Juge fédéral Felix Schöbi souhaitait donner raison aux époux.
Selon lui, l’on ne saurait considérer des enfants comme bruyants de manière générale et d’en conclure que l’activité de maman de jour n’est pas admissible. Les époux auraient pu avoir le même nombre d’enfants à eux seuls, qui auraient fait le même bruit. Cet argument n’a toutefois pas suffi à convaincre les autres membres de la Cour : avoir des enfants n’est pas une activité professionnelle – or c’est bien de cela qu’il s’agit que dans le règlement litigieux (Kathrin Alder, Kinder als Ärgernis – Tagesmutter darf nicht mehr in Eigentumswohung arbeiten, NZZ du 22.04.2021).
Le Juge fédéral Felix Schöbi a également évoqué le risque de créer un précédent en Suisse. En effet, l’article litigieux du règlement de la PPE est une formulation standard que l’on retrouve dans de nombreux règlements de PPE en Suisse. Interdire l’activité de maman de jour dans de telles situations reviendrait à les empêcher d’exercer leur métier dans une copropriété. Selon les statistiques actuelles, 4,6% des ménages en Suisse alémanique contre 10,9% en Suisse romande utiliseraient ce modèle de garde (Kathrin Adler, op.cit.). L’impact de cette décision pourrait dès lors être considérable.
Proposition de citation : Ariane Legler, L’activité de maman de jour dans une PPE, in: https://lawinside.ch/1065/