La portée d’une clause parapluie en matière d’arbitrage d’investissement

ATF 141 III 495 | TF, 06.10.2015, 4A_34/2015*

Faits

Une société holding acquiert 95% du capital-actions d’une société active dans le domaine de la production de chaleur et d’électricité résiduelle (ci-après: l’« investissement »). L’investissement est protégé par le Traité du 17 décembre 1994 sur la Charte de l’énergie (ci-après: « TCE »). Au moment de l’investissement, la société objet de l’investissement bénéficie de contrats d’achat d’énergie passés avec une société étatique, qui lui assurent des conditions de vente particulièrement favorables. L’entrée dans l’UE de l’état d’accueil entraîne la fin de ces contrats, jugés incompatibles avec le droit de la concurrence par la Commission européenne. Celle-ci précise néanmoins que l’octroi d’indemnités compensatoires aux producteurs d’énergie touchées par la résiliation prématurée des contrats est possible. Toutefois, le gouvernement de l’état d’accueil exclut toute forme de compensation.

En se fondant sur l’art. 26 TCE, la société holding introduit une procédure arbitrale contre l’état d’accueil en vue d’obtenir la réparation du préjudice qu’elle prétend avoir subi suite à la résiliation anticipée des contrats en question. Le tribunal arbitral ad hoc, dont le siège est fixé à Zurich, condamne l’Etat au paiement de 107 millions d’euros pour avoir violé son obligation d’accorder un traitement loyal et équitable (art. 10 al. 1 TCE).

Celui-ci recourt au Tribunal fédéral, lequel doit en particulier décider de la compétence du tribunal arbitral pour connaître de la demande (cf. art. 190 al. 2 let b LDIP). La question centrale à trancher est celle de savoir si la prétention de la société holding constitue un contract claim ou un treaty claim.

Droit

On distingue deux types de contentieux en matière d’investissements internationaux : les treaty claims et les contract claims. Les premiers se fondent sur un traité conclu entre l’Etat de l’investisseur et l’Etat d’accueil où l’investissement est fait et prévoient une clause qui soumet tout litige relevant du traité à la compétence d’un tribunal arbitral indépendant. Les deuxièmes se fondent sur un contrat passé entre l’investisseur et l’Etat d’accueil et relèvent de la seule compétence des tribunaux nationaux de celui-ci. Une « clause parapluie » a pour effet d’« abriter » le contrat passé entre l’investisseur et l’Etat d’accueil directement sous la protection d’un traité (multilatéral ou bilatéral) touchant les investissements. Ainsi, dans ce cas une violation contractuelle revient, ipso facto, à une violation d’une obligation internationale, laquelle peut être soumise à une procédure arbitrale.

En l’espèce, il est incontesté que l’art. 10 al. 1 TCE (dernière phrase) constitue une clause parapluie, qui a cependant fait l’objet d’une réserve de l’Etat d’accueil. Le Tribunal fédéral doit donc déterminer si la demande de la société holding rentre dans le champ d’application de la clause parapluie (contract claim), ce qui exclurait la compétence du tribunal arbitral du fait de la réserve, ou si elle peut également se fonder sur la clause imposant un traitement loyal et équitable (treaty claim, art. 10 al. 1 TCE 2ème phrase), avec pour effet de fonder la compétence du tribunal arbitral (art. 26 TCE).

Il importe tout d’abord de constater que la clause parapluie n’est pas interchangeable avec la garantie de traitement loyal et équitable, à défaut de quoi l’Etat d’accueil ne pourrait de facto jamais exclure valablement l’application d’une telle clause. Néanmoins, le Tribunal fédéral considère qu’il est impossible de faire abstraction totale du contexte dans lequel l’investissement s’insère, dont le contrat conclu entre l’investisseur et l’Etat d’accueil fait partie. Dès lors, la prise en compte de certains éléments relevant de ce contrat n’implique pas forcément que la prétention soit fondée sur la clause parapluie, non applicable dans le cas particulier du fait de la réserve.

En l’espèce, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que l’instauration d’un système de compensation des coûts échoués de l’investissement, qui de plus était permis et encouragé par l’UE, s’inscrivait dans le cadre des devoirs généraux de traitement loyal et équitable aux investissements des investisseurs des autres parties contractantes. En d’autres termes, en dépit de la réserve formulée par l’Etat d’accueil, laquelle exclut la compétence du tribunal arbitral pour tout litige relevant du contrat passé entre l’investisseur et l’Etat d’accueil, les conditions particulièrement favorables qui ont poussé la société holding à effectuer l’investissement ne peuvent être ignorées. Dès lors, compte tenu de ces circonstances, il faut considérer que la demande de la société holding se fonde sur la violation du standard de traitement loyal et équitable, du ressort de la compétence du tribunal arbitral.

Du moment que la demande de la société holding constitue un treaty claim, le grief d’incompétence du tribunal arbitral est écarté (art. 190 al. 2 let b LDIP). D’autres griefs de l’Etat recourant sont également mal fondés, de sorte que le recours est rejeté.

Note

Le Tribunal fédéral évoque, sans la trancher, une intéressante question ayant trait au champ d’application rationae personae d’une clause parapluie. Il est contesté qu’un actionnaire étranger puisse se prévaloir des contrats passés par la société dans laquelle il a investi avec l’Etat d’accueil. En effet, cela permettrait à un tiers (l’investisseur) non-partie au contrat de faire valoir des prétentions fondées sur le contrat, ce en application de la clause parapluie. En ce qui concerne le TCE, cela semble être possible, l’art. 10 al. 1 TCE faisant référence non seulement aux obligations qu’un Etat a contractées vis-à-vis d’un investisseur, mais également « à l’égard des investissements » d’un investisseur d’une autre partie contractante.

Proposition de citation : Simone Schürch, La portée d’une clause parapluie en matière d’arbitrage d’investissement, in: https://lawinside.ch/104/