Publications par Timothée Pellouchoud

Agression ou rixe ? La défense excessive ne profite pas aux agresseurs

TF, 12.09.2025, 6B_1297/2023*

Le simple fait que la victime se défende, même de manière excessive, n’exclut pas la condamnation pour agression plutôt que pour rixe. Lorsque l’attaque initiale présente un caractère clairement unilatéral, ses auteurs demeurent punissables au titre de l’art. 134 CP.

Faits

En août 2017, une altercation éclate à Thoune entre deux groupes. A la suite d’une première confrontation, le groupe du prévenu décide d’organiser une vengeance planifiée. Environ 25 personnes sont recrutées, se munissent d’objets dangereux et se rendent sur les lieux afin d’attaquer le groupe adverse par surprise.

Sur place, les membres du groupe du prévenu encerclent leurs opposants et les rouent de coups. La plupart des victimes restent totalement passives, tandis qu’au moins deux d’entre elles ripostent pour se défendre. Plusieurs personnes agressées subissent des lésions corporelles.

Le prévenu, considéré comme l’un des principaux organisateurs de cette expédition punitive, est condamné pour agression (art. 134 CP) et expulsé pour une durée de cinq ans. Le Tribunal cantonal confirme cette qualification ainsi que l’expulsion. Le prévenu recourt alors au Tribunal fédéral, soutenant notamment que son comportement doit être qualifié de rixe (art. 133 CP).

Droit

Selon l’art. 134 CP, est punissable quiconque participe à une agression dirigée contre une ou plusieurs personnes au cours de laquelle l’une d’entre elles ou un tiers trouve la mort ou subit une lésion corporelle.… Lire la suite

La libération judiciaire d’un usufruit (art. 736 CC)

TF, 22.10.2025, 5A_275/2025*

Les cas dans lesquels une perte totale d’utilité d’un usufruit au sens de l’art. 736 al. 1 CC doit être reconnue sont rares, voire théoriques. Le simple fait que l’usufruitier ne soit plus en mesure, subjectivement, de jouir personnellement et directement du bien (usus) ne suffit pas, tant qu’il conserve un intérêt objectif à en exploiter la valeur (fructus).

Faits

Des époux projettent d’acquérir ensemble un chalet. Ils conviennent toutefois de n’inscrire que l’épouse comme propriétaire. L’acte de vente prévoit un usufruit viager en faveur du mari de la propriétaire, à exercer conjointement avec son épouse. L’objectif poursuivi est que seul l’enfant commun du couple hérite du chalet, à l’exclusion des premiers enfants du mari.

Le couple se sépare en 2020 et entame une procédure de divorce. Le mari conclut alors à ce que son épouse soit condamnée à lui verser une indemnité en compensation de la renonciation à son droit d’usufruit.

Le Tribunal de première instance du canton de Genève constate l’extinction du droit d’usufruit, ordonne la radiation de l’inscription correspondante au Registre foncier et rejette la demande d’indemnisation du mari. La Cour de justice confirme ce jugement.

L’époux recourt au Tribunal fédéral, lequel doit déterminer si l’usufruit a perdu toute utilité au sens de l’art.Lire la suite

Violation du devoir de récusation en procédure d’adjudication, quid iuris ?

TF, 16.09.2025, 2C_54/2025*

Une décision d’adjudication rendue en violation du devoir de récusation doit en principe être annulée, sans que le recourant n’ait à démontrer que la décision aurait été différente en cas de respect de ce devoir. Exceptionnellement, l’autorité de recours peut renoncer à l’annulation si elle démontre que la violation n’est pas importante et qu’elle n’a en réalité nullement influé sur le choix de l’adjudicataire.

Faits

L’Aéroport de Genève lance un appel à candidatures suivi d’un mandat d’étude parallèle pour le projet « CAP 2030, plateforme multimodale et galerie commerciale CFF », estimé à 520 millions de francs.

Le groupe EGIS, mandaté comme expert externe pour évaluer certains aspects des offres, entretient des relations contractuelles avec Bouygues Bâtiment International, les deux groupes étant associés dans un projet de concession aéroportuaire à Paris.

L’Aéroport adjuge le marché au consortium formé par Losinger Marazzi et Bouygues Bâtiment International, noté 3.89. HRS Real Estate SA, classée deuxième avec une note de 3.49, recourt à la Cour de justice genevoise en invoquant une violation du devoir de récusation. Déboutée, elle dépose un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral.

Droit

Le Tribunal fédéral retient que la question des conséquences d’une violation du devoir de récusation lors de procédures d’adjudication soulève une question juridique de principe, rendant le recours en matière de droit public recevable (art.Lire la suite

Les fermetures COVID et le défaut de la chose louée : le TF tranche

TF, 11.09.2025, 4A_37/2025

La fermeture des locaux commerciaux ordonnée par les autorités dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 ne constitue pas un défaut de la chose louée justifiant une réduction du loyer (art. 259a CO). La simple mention dans le contrat de l’usage prévu (« restaurant, bar, club ») n’implique aucune garantie de pouvoir exercer effectivement ce type d’activité pendant toute la durée du bail.

Faits

Une société anonyme loue un local commercial à une autre société. Le bail stipule que le local peut être utilisé comme « restaurant, bar, club ». La locataire y exploite effectivement un club.

À la suite des mesures ordonnées par le Conseil fédéral pour lutter contre l’épidémie de COVID-19, la locataire doit fermer son établissement du 17 mars au 5 juin 2020, puis du 29 octobre 2020 au 25 juin 2021.

Elle demande une réduction du loyer d’au moins 50% pour ces périodes, soit CHF 34’600.55. Les instances cantonales rejettent sa demande. La locataire recourt alors au Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la fermeture des locaux commerciaux en raison du COVID-19 constitue un défaut de la chose louée.

Droit

Selon l’art. 259a al. 1 lit.Lire la suite

Le pacte de renonciation à succession face à l’action révocatoire

TF, 12.06.2025, 5A_456/2024*

Un pacte de renonciation à succession n’est pas un acte révocable au sens de l’art. 288 LP.

Faits

La ville de Coire détient un acte de défaut de biens pour un montant de CHF 43’091,50 contre un débiteur. Celui-ci a conclu un pacte de renonciation avec sa mère par lequel il renonce gratuitement à tous ses droits successoraux au profit de ses deux enfants. Au décès de la mère du débiteur, les enfants de ce dernier héritent notamment d’un immeuble sis à Coire.

La ville de Coire introduit une action révocatoire (ou action paulienne) contre les deux enfants, visant à faire réaliser l’immeuble pour couvrir sa créance. Le Tribunal de première instance admet l’action révocatoire, mais la Cour cantonale la rejette et annule le jugement. La ville de Coire dépose un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à se prononcer sur la question de savoir si un pacte de renonciation constitue un acte révocable au sens de l’art. 288 al. 1 LP.

Droit

La révocation des actes dolosifs (art. 288 LP) suppose, d’un point de vue objectif, un préjudice causé aux créanciers par un acte juridique accompli par le débiteur dans les 5 ans précédant la saisie ou la déclaration de faillite et, d’un point de vue subjectif, l’intention dolosive du débiteur ainsi que son caractère reconnaissable pour le tiers bénéficiaire.… Lire la suite