La protection du consommateur dans la Convention de Lugano
ATF 142 III 170 | TF, 09.02.2016, 4A_430/2015*
Faits
Un client domicilié en France voisine conclut un contrat de compte courant avec une banque genevoise. Le contrat contient une clause d’élection de for auprès des tribunaux genevois.
Après plusieurs années, le compte bancaire du client présente un découvert de 80’000 francs. La banque ouvre une action en justice à l’encontre du client auprès du Tribunal de première instance de Genève (TPI). Malgré l’exception d’incompétence en raison du lieu soulevée par le client, le TPI le condamne au paiement de 80’000 francs à la banque. Sur appel du client, la Chambre civile de la Cour de justice confirme le jugement.
Le client forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit se prononcer sur la question de savoir si les tribunaux genevois sont compétents pour connaître de l’action de la banque à l’encontre du client domicilié en France.
Droit
Le Tribunal fédéral rappelle d’abord que le litige tombe sous le coup de la Convention de Lugano (CL). En vertu de l’art. 15 ch. 1 let. c CL, les dispositions concernant la protection des consommateurs s’appliquent lorsqu’une personne conclut un contrat pour un usage étranger à son activité professionnelle (consommateur) avec une autre personne qui exerce des activités professionnelles dans l’Etat lié par la CL sur le territoire duquel le consommateur est domicilié ou qui dirige ses activités vers cet Etat et que le contrat conclu entre dans le cadre de ses activités. En vertu de l’art. 16 ch. 2 CL, un consommateur ne peut être attaqué que devant le tribunal de son domicile. En vertu de l’art. 17 ch. 1 CL, les parties peuvent conclure une clause d’élection de for qu’après la naissance du litige.
En l’espèce, les parties ont conclu une clause d’élection de for pour un tribunal autre que celui du domicile du client avant la naissance du litige. La question se pose donc de savoir si le contrat conclu entre le client et la banque tombe dans le champ d’application des dispositions de la CL en matière de protection des consommateurs (art. 15 ch. 1 let. c CL). Pour répondre à cette question, le Tribunal fédéral analyse les conditions de l’art. 15 ch. 1 let. c CL. Premièrement, il faut que le contrat soit étranger à l’activité professionnelle de l’un des cocontractants (dit consommateur). En l’espèce, le contrat d’ouverture d’un compte bancaire n’entre pas dans l’activité professionnelle du client. Deuxièmement, il faut que le contrat entre dans l’activité professionnelle de l’autre cocontractant. Tel est manifestement le cas en l’espèce. On se trouve donc en présence d’un contrat de consommation au sens de l’art. 15 ch. 1 let. c CL.
L’art. 15 ch. 1 let. c CL rajoute une troisième condition à l’application des règles de protection du consommateur : il faut que le professionnel exerce son activité sur le territoire de l’Etat du domicile du consommateur ou qu’il dirige ses activités vers cet Etat. Cette troisième condition suppose donc qu’il y ait un lien entre le contrat concerné et l’Etat où le consommateur a son domicile. Les dispositions de protection du consommateur ont pour but de protéger le consommateur qui conclut un contrat à la suite d’une sollicitation faite dans son pays par un fournisseur à l’étranger. Elles ne visent pas à protéger le consommateur qui s’est adressé de sa propre initiative à un fournisseur à l’étranger, sans y avoir été incité par une offre ou une publicité dans son propre pays. Celui-ci est censé être conscient du caractère international du contrat et accepter le risque d’un procès à l’étranger.
En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que la banque genevoise n’a pas exercé d’activité en France dans le but de conclure le contrat avec le client. Il est vrai que la banque exerce de manière générale certaines activités en France, notamment par le biais de sociétés intermédiaires. Toutefois, le client s’est directement adressé à l’établissement genevois de la banque, sans que ces intermédiaires aient contribué à la formation de la relation contractuelle. Il n’y a donc pas de lien de connexité entre la relation contractuelle entre le client et la banque genevoise et les activités de la banque genevoise en France.
Reste à savoir si la banque genevoise a dirigé ses activités en France afin de conclure le contrat avec le client. Selon le Tribunal fédéral, un fournisseur dirige ses activités vers un autre pays lorsque, par un effort conscient et approprié à ce but, il cherche à entrer ou à se maintenir lui aussi, avec ses propres produits ou services, sur le marché de ce pays. On vise donc toutes les formes de publicité ou de prospection pratiquée à dessein dans ou à destination de l’Etat dans lequel le consommateur a son domicile. En l’espèce, la banque genevoise n’a fait aucune publicité ni prospection en France dans le but d’inciter des consommateurs français à venir ouvrir un compte bancaire auprès d’elle. Il est vrai que les banques suisses ont une très forte réputation à l’étranger, notamment en raison de leur stabilité, leur sécurité et leur discrétion. On ne peut toutefois pas retenir de cette seule position avantageuse dans le secteur bancaire international que la banque genevoise a dirigé ses activités vers la France. Le client a lui-même choisi de traiter avec une banque genevoise. Ce choix peut simplement s’expliquer par la proximité entre l’établissement bancaire genevois et son lieu de résidence. L’art. 15 ch. 1 let. c CL ne vise pas à protéger les consommateurs pour ce genre de relation de voisinage transfrontalier. Dans ce genre de situation, le consommateur n’a pas besoin d’une protection particulière, dès lors qu’il traite couramment avec des fournisseurs de l’Etat voisin et qu’il peut tout aussi couramment assumer le risque d’un procès dans cet Etat. Partant, le Tribunal fédéral retient que la banque genevoise n’a pas dirigé ses activités en France afin de conclure le contrat avec le client.
Au vu de ce qui précède, la relation contractuelle entre la banque genevoise et le client domicilié en France ne tombe pas dans le champ de protection de l’art. 15 ch. 1 let. c CL, dans la mesure où la banque genevoise n’a pas exercé ses activités en France et qu’elle ne les a non plus pas dirigées vers ce pays. Les parties pouvaient donc valablement conclure une clause d’élection de for avant la naissance du litige (art. 23 CL), ce qu’elles ont fait en l’espèce en élisant les tribunaux genevois. Le Tribunal fédéral confirme donc la compétence des tribunaux genevois sur la base de la clause d’élection de for et rejette le recours du client.
Proposition de citation : Alborz Tolou, La protection du consommateur dans la Convention de Lugano, in: https://lawinside.ch/197/