La primauté du droit fédéral et la mise en oeuvre de l’art. 19 al. 6 LTr en droit cantonal
La LTr règle la protection des travailleurs de manière exhaustive. En application de l’art. 49 Cst, le droit cantonal ne peut pas imposer la conclusion d’une CCT étendue pour autoriser une ouverture dominicale des magasins au sens de l’art. 19 al. 6 LTr.
Faits
Sur requête d’associations d’employeurs, la Direction de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir du canton de Genève (la Direction cantonale) autorise les commerces assujettis à la Loi genevoise sur les heures d’ouverture des magasins (LHOM/GE) à rester ouverts le dimanche 22 décembre 2024 jusqu’à 17h. La Direction cantonale réserve en particulier les dispositions de la LTr régissant l’emploi des travailleurs le dimanche, qui relève de la compétence de l’Office cantonal de l’inspection et des relations du travail (l’OCIRT). Cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours.
Deux syndicats invitent l’OCIRT à rendre une décision constatant que l’emploi de personnel le dimanche 22 décembre 2024 dans les commerces assujettis à la LHOM/GE nécessite l’octroi préalable d’une autorisation. Par décision du 4 octobre 2024, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’OCIRT constate que des travailleurs peuvent être employés le dimanche 22 décembre 2024 sans autorisation, en application de l’art. 19 al. 6 LTr.
Sur recours, la Cour de justice du canton de Genève annule la décision de l’OCIRT et la réforme, constatant que l’emploi de personnel le dimanche 22 décembre 2024 dans les commerces assujettis à la LHOM/GE nécessite l’octroi préalable d’une autorisation (cf. art. 19 al. 3 LTr).
Les associations d’employeurs exercent un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral. Celui-ci doit déterminer si le droit cantonal peut conditionner l’application de l’art. 19 al. 6 LTr à l’existence d’une CCT étendue de force obligatoire dans la branche du commerce de détail.
Droit
Bien que les recourantes n’aient plus d’intérêt actuel au recours au moment où le Tribunal fédéral examine la cause (cf. art. 89 al. 1 lit. c LTF), leur recours est recevable en ce sens qu’il soulève une question juridique de principe. En effet, la question pourrait se poser à nouveau dans des circonstances similaires, sans que le Tribunal fédéral ne puisse trancher en temps utile.
L’art. 18 al. 1 LTr prévoit que, du samedi à 23h au dimanche à 23h, il est interdit d’occuper des travailleurs. L’art. 19 LTr prévoit ensuite les dérogations à cette interdiction. Selon l’art. 19 al. 6 LTr, les cantons peuvent fixer au plus quatre dimanches par an pendant lesquels le personnel peut être employé dans les commerces sans qu’une autorisation ne soit nécessaire.
En droit cantonal, l’art. 18A al. 1 LHOM/GE prévoit qu’en application de l’art. 19 al. 6 LTr, le personnel peut être employé sans autorisation et les commerces peuvent ouvrir au public trois dimanches par an jusqu’à 17h lorsqu’il existe une CCT étendue au sens des articles 1, 1a et 2 de la Loi fédérale permettant d’étendre le champ d’application de la convention collective de travail [la LECCT] dans la branche du commerce de détail du canton de Genève.
Pour la Cour de justice, la décision de l’OCIRT aurait dû se fonder sur l’art. 18A LHOM/GE. Dans la mesure où une CCT étendue dans la branche du commerce de détail du canton de Genève n’existe pas, il est exclu d’employer du personnel le dimanche 22 décembre 2024 sans autorisation au sens de l’art. 19 al. 6 LTr. En conséquence, l’art. 19 al. 3 LTr, qui prévoit que le travail dominical temporaire est autorisé en cas de besoin urgent dûment établi, s’applique.
Se pose donc la question de savoir si l’art. 18A LHOM/GE, en subordonnant l’application de l’art. 19 al. 6 LTr à l’existence d’une CCT étendue, est conforme au droit fédéral.
Selon l’art. 49 al. 1 Cst, le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. En matière de protection des travailleurs et de rapports entre employeurs et travailleurs, la Confédération dispose d’une compétence concurrente avec force dérogatoire subséquente (cf. art. 110 al. 1 lit. a et b Cst), dont elle a fait usage en adoptant la LTr.
De jurisprudence constante, les prescriptions cantonales ou communales sur les heures d’ouverture des magasins ne peuvent avoir pour seuls buts que le respect du repos nocturne et dominical (cf. art. 71 lit. c LTr), ainsi que, pour des raisons de politique sociale, la protection des personnes non soumises à la LTr. Les prescriptions de police sur le repos dominical et les heures d’ouverture des magasins, relevant de la compétence des cantons, visent avant tout à garantir la tranquillité publique. En revanche, la LTr règle de manière exhaustive la protection des travailleurs.
La condition de l’existence d’une CCT étendue constitue manifestement une mesure de protection des travailleurs, laquelle est réglée de manière exhaustive dans la LTr. L’art. 18A LHOM/GE empiète donc sur les compétences fédérales en matière de protection des travailleurs et viole le principe de la primauté du droit fédéral garanti à l’art. 49 Cst. Le Tribunal fédéral admet le recours.
Note
À la suite de cet arrêt, le Conseil d’Etat genevois a pris la décision d’annuler la votation sur la modification de la LHOM/GE, prévue le 30 novembre 2025 (Communiqué du Conseil d’Etat genevois du 15 octobre 2025). Le matériel de vote, déjà produit, sera distribué. Dans la mesure où les résultats ne seront pas décomptés, le Conseil d’Etat invite le corps électoral à ne pas se prononcer sur cet objet.
La Conseillère d’Etat chargée de l’Economie a indiqué que le Tribunal fédéral ne précisait pas si seule la question de la CCT étendue posait problème ou si l’ensemble de la loi genevoise devait être revu (Le Temps, « Face à une situation juridique « illisible », Genève annule la votation sur l’ouverture des commerces le dimanche », 15 octobre 2025).
Toutefois, au considérant 6.6 de l’arrêt, le Tribunal fédéral explique que le problème réside dans la CCT étendue exigée par l’art. 18A LHOM/GE. Dans le même considérant, il invite le législateur genevois à modifier cette disposition dans un sens conforme au droit fédéral ou à la supprimer. Dans ce dernier cas, cela supposerait la renonciation à la possibilité d’employer du personnel sans autorisation trois dimanches par an; seul le 31 décembre (jour férié cantonal assimilé à un dimanche en vertu de l’art. 18 LHOM/GE) permettrait alors un tel emploi.
Proposition de citation : Camille de Salis, La primauté du droit fédéral et la mise en oeuvre de l’art. 19 al. 6 LTr en droit cantonal, in: https://lawinside.ch/1636/






