L’avocat·e qui harcèle sexuellement un·e client·e: l’analogie avec la LEg
CDAP (VD), 30.06.2025, GE.2024.0376
Pour déterminer si un·e avocat·e a adopté un comportement constitutif de harcèlement sexuel à l’encontre d’un·e client·e, il se justifie de se référer par analogie aux dispositions de la LEg et à la jurisprudence développée sur cette base. Un tel comportement constitue une violation de l’art. 12 lit. a LLCA.
Faits
Un avocat est inscrit au registre cantonal vaudois. En août 2021, une cliente le contacte dans l’optique de se faire conseiller en matière de droit des sociétés et du divorce. L’avocat la reçoit la semaine suivante. Lors de ce rendez-vous, il lui demande ses coordonnées et plaisante sur le fait que son numéro de téléphone se termine par le nombre « 69 ». L’avocat rend également sa cliente attentive au fait que les communications sur Telegram sont plus sécurisées que sur WhatsApp, en particulier si elle dispose de vidéos compromettantes avec un amant.
Dès le rendez-vous terminé et pendant plusieurs jours, l’avocat et la cliente échangent des messages sur Telegram. L’avocat envoie à sa cliente des messages en espagnol, dont la traduction libre est « Bonjour. Comment allez-vous ? Bain de soleil ? » et « Lorsque j’avais un bateau, j’aimais prendre le soleil nu ». La cliente ne répond pas à ces messages. En parallèle, elle échange divers courriels avec l’avocat au sujet du mandat les liant.
En novembre 2021, la cliente résilie le mandat de son avocat. Par la suite, elle le dénonce au Bâtonnier de l’ordre des avocats vaudois. À la suite de l’échec d’une conciliation sur ce point, le Bâtonnier dénonce l’avocat à la Chambre des avocats (la « CAVO »). Celle-ci ouvre une enquête disciplinaire contre l’avocat. Selon le rapport d’enquête, l’avocat s’est adonné à des actes qui relèvent du harcèlement sexuel envers sa cliente. Sur cette base, la CAVO condamne l’avocat à une amende de CHF 5’000 pour violation de l’art. 12 lit. a LLCA.
L’avocat recourt contre cette décision auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (la « CDAP »). Celle-ci doit déterminer si le comportement reproché à l’avocat est bien constitutif d’une violation de l’art. 12 lit. a LLCA.
Droit
L’art. 12 lit. a LLCA prévoit que l’avocat·e exerce sa profession avec soin et diligence. Il s’agit d’une clause générale, qui permet d’exiger de l’avocat·e qu’il·elle se comporte correctement dans l’exercice de sa profession. Etant donné que l’avocat·e joue un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large, il·elle est notamment tenu·e, de manière générale, d’assurer et de maintenir la dignité de la profession, en s’abstenant de tout ce qui pourrait porter atteinte à la considération et à la confiance dont il·elle doit jouir pour remplir sa mission.
La LLCA n’interdit pas à l’avocat·e d’avoir des relations personnelles, familiales, amicales, voire sentimentales ou sexuelles avec son·sa mandant·e, tant que son indépendance n’est pas mise en péril. Toutefois, d’un point de vue du déséquilibre de pouvoir, la relation avocat·e-client·e est comparable à une relation entre un·e thérapeute et un·e patient·e, en particulier dans les cas de droit matrimonial ou pénal. Un·e avocat·e ne doit donc pas abuser de sa position pour entretenir des relations sexuelles avec son·sa client·e, sous peine de contrevenir à la dignité de la profession et d’être donc passible des sanctions prévues par la LLCA.
Afin de déterminer si le comportement reproché à l’avocat tombe sous le coup de l’art. 12 lit. a LLCA, l’on peut se référer par analogie aux dispositions de la Loi fédérale du 24 mars 1995 sur l’égalité entre femmes et hommes (« LEg »). Bien que le champ d’application de cette loi soit limité aux rapports de travail (art. 2 LEg), la reprise des concept développés par la jurisprudence concernant le harcèlement se justifie.
En effet, le comportement d’un·e avocat·e dans le cadre de sa profession, qui serait considéré comme du harcèlement sexuel au sens de la LEg, est propre à remettre en cause aussi bien la dignité de la profession que la confiance en sa personne. C’est d’autant plus vrai qu’en consultant un·e avocat·e, un·e client·e se trouve en général dans une situation sensible et doit pouvoir se fier entièrement à son·sa mandataire.
L’art. 3 LEg interdit la discrimination à raison du sexe, qu’elle soit directe ou indirecte. L’art. 4 LEg définit le comportement discriminatoire comme tout comportement importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l’appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail, en particulier le fait de proférer des menaces, de promettre des avantages, d’imposer des contraintes ou d’exercer des pressions de toute nature sur une personne en vue d’obtenir d’elle des faveurs de nature sexuelle.
Loin d’être exhaustif, l’art. 4 LEg englobe aussi d’autres actes qui ne relèvent pas d’un abus d’autorité, mais contribuent à rendre le climat de travail hostile, comme des plaisanteries déplacées (ATF 126 III 395 c. 7). Afin de déterminer si l’acte en question a un caractère importun, il faut tenir compte de la sensibilité moyenne d’une personne de même sexe que la victime. Par ailleurs, l’absence d’intention de nuire de l’auteur de l’acte n’est pas déterminante, hormis dans le cas d’un chantage sexuel.
En l’espèce, le recourant ne conteste pas avoir plaisanté sur le « 69 » contenu dans le numéro de téléphone de sa cliente lors du premier entretien. Il a lui-même ajouté que son numéro contenait aussi un « 69 », suite à une demande expresse de sa part à son opérateur. Cette plaisanterie ne pouvait que présenter une connotation sexuelle. D’un avocat à sa cliente, qu’il rencontre pour la première fois, ce genre de remarque n’a manifestement pas sa place.
Par ailleurs, l’avocat a également écrit un message sur Telegram à sa cliente dans lequel il évoquait sa nudité, sans que l’on ne puisse admettre qu’il s’agissait d’une maladresse. Le fait que la cliente n’ait pas immédiatement rejeté le recourant et qu’ils aient continué à échanger des courriels professionnels n’est pas déterminant dans l’analyse. Il appartenait au recourant, en sa qualité d’avocat, de maintenir la distance nécessaire avec sa cliente afin que son indépendance ne soit pas menacée.
C’est donc à juste titre que la CAVO a retenu que l’avocat avait violé l’art. 12 lit. a LLCA. Pour le surplus, l’amende de CHF 5’000 ne viole pas le principe de proportionnalité. Partant, la CDAP rejette le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, L’avocat·e qui harcèle sexuellement un·e client·e: l’analogie avec la LEg, in: https://lawinside.ch/1606/