Corona Leaks : la protection des sources journalistiques

TF, 31.01.2025, 7B_733/2024*

Le directeur général d’une société de médias est couvert par l’art. 172 al. 1 CPP lorsqu’il prend connaissance d’informations protégées par le secret de rédaction en raison de son activité. La violation du secret de fonction (art. 320 CP) ne permet pas de déroger à la protection des sources (art. 172 al. 2 let. b CPP), indépendamment des motifs poursuivis par l’informateur.

Faits

L’ancien chef de la communication du Département fédéral de l’intérieur est soupçonné d’avoir révélé au directeur général du groupe de médias Ringier des informations confidentielles en lien avec les activités du Conseil fédéral relatives au Covid-19 (Corona Leaks), en violation de son secret de fonction. Des perquisitions mènent à la saisie de matériel informatique appartenant à l’ancien chef de communication, à Ringier et à son directeur général. A leur demande, ces objets et données sont placés sous scellés.

Le Ministère public de la Confédération (MPC) demande la levée des scellés, qui est refusée par le Tribunal des mesures de contrainte du canton de Berne. Le MPC interjette alors un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à déterminer si les objets et données perquisitionnés sont couverts par la protection des sources journalistiques (art. 28a CP et 172 CPP) et si leur séquestre est envisageable (art. 264 al. 1 let. c CPP).

Droit

Le Tribunal fédéral commence par rappeler que le secret de rédaction est garanti par les art. 17 al. 3 Cst. et 10 par. 1 CEDH. En procédure pénale, cette protection est concrétisée par les art. 172 CPP et 28a CP, dont les contenus sont matériellement identiques. Ces normes garantissent une protection absolue des sources journalistiques, sous réserve des exceptions mentionnées à leur al. 2. Elles visent à permettre aux professionnels des médias de garantir la confidentialité de leurs sources et à préserver la confiance entre les professionnels des médias et leurs informateurs. La protection des sources couvre toutes les informations, peu importe leur véracité, leur sérieux ou leur intérêt.

Outre les journalistes au sens strict du terme, l’art. 172 CPP couvre également l’activité de toute personne qui participe à la préparation, à la production et à la diffusion de produits médiatiques pour autant qu’elle puisse prendre connaissance d’informations protégées par le secret de rédaction en raison de son activité. Les éditeurs, membres de la direction ou propriétaires d’une entreprise de médias sont également couverts par cette norme.

Les objets et documents concernant des contacts entre un prévenu et une personne couverte par l’art. 172 CPP ne peuvent être séquestrés, pour autant que cette personne n’ait pas le statut de prévenu dans la même affaire (art. 264 al. 1 let. b CPP). Cette interdiction s’applique tant aux objets et documents qui se situent chez le journaliste qu’à ceux qui se trouvent chez un prévenu ou un tiers.

Il ressort de ce qui précède que tant Ringier que son directeur général entrent dans le champ d’application de l’art. 172 CPP. Le grief du MPC selon lequel l’invocation de la protection des sources serait abusive car le but de l’informateur aurait été d’instrumentaliser les médias et d’influencer le comportement du Conseil fédéral est écarté par le Tribunal fédéral. Il rappelle en effet que le motif poursuivi par l’informateur et son comportement ne sont pas déterminants pour savoir s’il convient de déroger à la protection des sources. La violation du secret de fonction (art. 320 CP) ne figurant pas dans la liste d’exceptions exhaustive de l’art. 172 al. 2 CPP, la protection des sources journalistiques s’applique sans restriction dans les procédures fondées sur cette norme.

Dès lors, le Tribunal fédéral rejette le recours dirigé contre le refus de lever les scellés (art. 264 al. 1 let. c CPP).

Proposition de citation : Yoann Stettler, Corona Leaks : la protection des sources journalistiques, in: https://lawinside.ch/1594/