L’atteinte à la paix des morts commise par omission

TF, 16.07.2024, 6B_83/2024*

L’omission d’annoncer un décès peut constituer une atteinte à la paix des morts (art. 262 CP) lorsque le droit cantonal impose une obligation correspondante visant à protéger la paix sociale (cf. art. 11 al. 2 let. a CP). 

Faits 

Un jeune homme de 24 ans souffrant de grandes difficultés d’insertion sociale sombre dans une importante consommation de drogues. À partir de 2017, il est hospitalisé en psychiatrie à plusieurs reprises. Des expertises lui diagnostiquent des troubles mentaux, notamment une schizophrénie paranoïde. 

Une nuit d’août 2021, alors qu’il se trouve dans l’appartement de son amie intime, le jeune homme assiste à un malaise de celle-ci. Il tente de « la consoler et de la remettre en forme », avant de quitter l’appartement. À son retour, il découvre le corps de son amie sans vie. Il le vêt alors d’un pantalon et d’une chaussette, puis le recouvre de couvertures. 

Le même jour, une aide-soignante à domicile sonne à la porte. Le jeune homme, encore présent sur les lieux, ne lui ouvre pas. Il essaie toutefois d’appeler le 144, mais n’y parvient pas en raison d’un dysfonctionnement du téléphone. Il continue alors de consommer de la drogue, se douche et mange dans l’appartement, avant de le quitter le lendemain. Par la suite, il n’informe personne du décès de son amie, malgré ses nombreuses interactions avec les occupants du foyer dans lequel il réside. 

En 2023, le Tribunal d’arrondissement de l’Est vaudois constate la réalisation des éléments constitutifs objectifs de l’infraction d’atteinte à la paix des morts. Il déclare néanmoins le jeune homme pénalement irresponsable. Ce faisant, il ordonne la mise en place d’un traitement institutionnel. 

À la suite de l’appel déposé par le jeune homme, le Tribunal cantonal vaudois confirme le jugement de première instance, sous réserve d’une réduction de la réparation morale allouée à la partie plaignante. 

Le jeune homme recourt contre cet arrêt au Tribunal fédéral. Ce dernier est appelé à se prononcer sur la commission de l’infraction d’atteinte à la paix des morts par omission. 

Droit 

L’art. 262 ch. 1 al. 3 CP réprime le comportement de celui qui profane ou outrage publiquement un cadavre humain. Dès lors qu’elle tend à garantir la paix publique, cette disposition ne vise pas uniquement les proches du défunt, mais protège de manière générale le sentiment de piété filiale à l’égard des morts. 

La notion de profanation englobe tout mauvais traitement infligé à une dépouille, soit tout geste de mépris ou de dépréciation. Cela vise tout acte qui ne repose pas sur un motif légitime. Ainsi, la disposition réprime toute profanation, sans besoin qu’elle revête un caractère grossier ou méchant (cp. al. 1-2). Pour apprécier la réalisation de cet élément constitutif, la compatibilité du comportement de l’auteur avec les normes sociales apparaît davantage déterminante que l’atteinte physique infligée au cadavre. 

En outre, l’infraction d’atteinte à la paix des morts peut être commise par omission. Cela suppose que, par un comportement passif, l’auteur viole une obligation lui imposant d’agir contre la mise en danger, respectivement la lésion, du bien pénalement protégé (art. 11 CP). 

L’obligation juridique en cause doit encore être susceptible de fonder une position de garant. Celle-ci peut notamment découler de la loi (art. 11 al. 2 let. a CP). Ainsi, l’art. 7 al. 1 du Règlement vaudois sur décès, les sépultures et les pompes funèbres (RDSPF/VD) impose à la personne responsable d’informer le décès au préposé du lieu du décès ou de la découverte du corps. Par « personne responsable », le Règlement vise la personne chargée par la législation en matière d’état civil d’annoncer un décès aux autorités compétentes (art. 2 al. 1 let. a RDSPF/VD). À cet égard, le droit fédéral prévoit que, lorsque le décès n’a pas eu lieu dans un établissement médical, toute personne ayant assisté à la mort ou découvert le corps est tenue de l’annoncer à l’autorité compétente (art. 34a al. 1 let. b i.f. OEC). Si cette dernière disposition vise principalement à assurer le bon fonctionnement de l’état civil, l’obligation instaurée par l’art. 7 al. 1 RDSPF/VD protège la paix publique, en particulier, le sentiment de piété filiale de tout un chacun envers un défunt. En effet, cette disposition vise à garantir une prise en charge de la dépouille respectant les normes sociales. 

En l’espèce, le jeune homme était la première personne à découvrir le corps de sa défunte amie. Il était donc tenu, en vertu du droit cantonal, d’annoncer le décès. Le manquement à cette obligation a eu pour conséquence que la prise en charge de la dépouille ne s’est faite que 15 jours après le décès, laissant ainsi le cadavre atteindre un stade avancé de décomposition et de putrescence. Cette omission peut donc être assimilée à un comportement actif portant atteinte au sentiment de piété filiale, par des gestes de mépris ou de dépréciation. 

Par ailleurs, le jeune homme fait valoir qu’il aurait eu l’impression d’avoir accompli son devoir en couvrant le corps, puis en tentant d’appeler les secours. Or, l’arrêt attaqué porte sur la responsabilité pénale du jeune homme et sur l’institution d’une mesure. Dans ce contexte, l’aspect subjectif de l’infraction n’a guère de portée. De plus, cette argumentation reposant sur la pensée de l’auteur, soit un fait « interne », elle est irrecevable faute de respect des exigences de motivation (art. 97 al. 2  et 105 al. 2 LTF). 

Pour ces raisons, le Tribunal fédéral confirme la réalisation de l’infraction d’atteinte à la paix des morts et rejette le recours. 

Note 

Le Tribunal cantonal a fondé la position de garant du jeune homme sur le fait qu’il aurait formé, avec son amie, une communauté de risques librement consentie (art. 11 al. 2 let. c CP), résultant de la consommation de drogues à laquelle ils s’adonnaient ensemble, ainsi qu’une communauté de vie, en raison de ses séjours fréquents chez elle. Or, aucune de ces deux communautés ne saurait fonder un devoir de garant en lien avec le bien juridique protégé par l’art. 262 CP, soit la paix publique.  

En effet, la communauté de risques au sens de l’art. 11 al. 2 let. b CP résulte de la libre association de deux ou plusieurs personnes, qui comptent sur la protection de l’une ou de plusieurs d’entre elles, dans une entreprise mettant en péril un bien juridique pénalement protégé (cf. CASSANI Ursula / VILLARD Katia, in : Moreillon Laurent, Alain Macaluso Laurent, Queloz Nicolas, Dongois Nathalie, Code pénal I, 2e éd., Bâle 2021, art. 11 CP N 39  ; DAN Adrian, Le délit de commission par omission : éléments de droit suisse et comparé, thèse Genève, Genève / Zurich / Bâle 2015, N 242 s.). Or, comme le relève le Tribunal fédéral, la consommation de drogues aurait pu, tout au plus, mettre en péril la vie ou intégrité corporelle de ses participants. Cependant, elle ne saurait imposer un devoir d’agir en lien avec la paix publique. Par conséquent, le lien nécessaire entre le devoir de garant et le bien juridique protégé par la norme pénale fait défaut.  

Il en va de même de la communauté de vie. En effet, la relation qu’entretenait le jeune homme avec son amie ne permettait pas de déduire une position de garant envers les proches de celle-ci et les autres tiers, soit les bénéficiaires de l’art. 262 CP. Par ailleurs, quand bien même le droit individuel à la piété filiale des proches de la défunte, en tant que droit de la personnalité, aurait pu imposer un devoir d’agir, il n’est pas l’objet de la protection de la norme pénale. De surcroît, il est douteux que les droits de la personnalité puissent fonder une position de garant au sens de l’art. 11 CP, dès lors qu’une obligation juridique qualifiée est nécessaire (cf. DAN Adrian, op. cit., N 190). 

Il découle de ce qui précède, qu’à défaut d’une norme de droit cantonal instaurant une obligation d’annoncer les décès, la position de garant manquerait vraisemblablement de fondement. Partant, la commission de l’infraction par omission devrait être niée dans cette hypothèse (cf. ég. ARNAL Justine, La commission par omission de l’infraction d’atteinte à la paix des morts, in : Crimen.ch/287/ du 11 septembre 2024). 

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, L’atteinte à la paix des morts commise par omission, in: https://lawinside.ch/1514/