Le contact entre l’avocat et le témoin et l’interdiction de porter le titre « avocat »
L’avocat doit en principe s’abstenir de tout comportement susceptible d’entraîner un risque d’influencer les témoins. Seule une raison objective lui permet de prendre contact avec un témoin potentiel. Le cas échéant, il doit prendre des mesures de précaution.
S’il n’existe pas de disposition cantonale précise qui prévoit une interdiction à l’avocat de se prévaloir de son titre d’avocat, l’autorité cantonale ne peut pas interdire à celui-ci de porter ce titre malgré le prononcé d’une interdiction temporaire de pratiquer.
Faits
Un avocat nommé d’office défend un prévenu qui est condamné pour lésions corporelles, séquestrations, contraintes sexuelles et viols. Durant la procédure pénale, l’avocat a des contacts à deux reprises avec une victime qui est également témoin.
La Commission du barreau du canton de Saint-Gall constate que l’avocat a violé les règles de la profession d’avocat. Elle lui interdit de pratiquer pendant deux ans et lui interdit de porter, durant cette période, le titre d’avocat ou de notaire. Saisi par l’avocat, le Verwaltungsgericht saint-gallois réduit la durée de l’interdiction à une année (B 2017/98).
Sur recours de l’avocat, le Tribunal fédéral doit préciser l’interdiction imposée à l’avocat de prendre contact avec de potentiels témoins ainsi que la légalité de l’interdiction de porter le titre d’avocat.
Droit
L’art. 12 let. a LLCA prévoit que l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. L’avocat doit ainsi s’abstenir en règle générale de tout comportement susceptible d’entraîner un risque d’influencer les témoins (cf. art. 7 du Code de déontologie de la Fédération Suisse des Avocats). En effet, la prise de contact avec une personne qui peut être considérée comme témoin semble problématique puisqu’une telle procédure est toujours associée à un danger, au moins abstrait, d’influence. Ainsi, le contact avec un témoin potentiel n’est exceptionnellement compatible avec le devoir de l’avocat d’exercer sa profession avec soin et diligence que s’il y a une raison objective de le faire en raison des circonstances concrètes du cas d’espèce. Cela peut être le cas notamment pour évaluer des chances de succès de décisions procédurales telles que l’ouverture d’une procédure, l’introduction ou le retrait d’un recours ou le dépôt d’une demande d’administration de preuves.
Afin de parer au risque d’influencer le témoin, l’avocat doit mettre en place diverses mesures. Il doit notamment proposer par écrit au témoin de le rencontrer et lui indiquer qu’il n’est ni obligé de le rencontrer ni de témoigner. L’entretien doit avoir lieu sans le client et, dans la mesure du possible, dans les locaux de l’avocat, avec, si nécessaire, l’intervention d’un tiers comme témoin. L’avocat ne doit exercer aucune pression sur le témoin et, en particulier, ne doit pas l’inciter à faire un témoignage particulier et ne doit pas le menacer de représailles en cas de silence. Il doit également éviter des questions suggestives.
En l’espèce, l’avocat a rencontré à deux reprises la potentielle témoin dans les locaux de son étude. Même si, comme l’avocat le prétend, elle aurait été à l’origine des rencontres dans son étude, le recourant a au moins accepté le risque de l’influencer dans cette procédure. De plus, bien que l’avocat allègue que la rencontre n’avait servi qu’à de la communication de nature privée entre la témoin et le prévenu, il n’y avait aucune raison objective qui rendait cette rencontre nécessaire. Enfin, l’avocat n’a pris aucune mesure de précaution telle qu’exigée par la jurisprudence. Il a ainsi violé l’art. 12 let. a LLCA.
L’art. 17 al. 1 let. d LLCA prévoit qu’en cas de violation de la loi, l’autorité de surveillance peut prononcer l’interdiction temporaire de pratiquer pour une durée maximale de deux ans. Le Tribunal fédéral souligne qu’en principe, l’interdiction d’exercer une profession n’est prononcée qu’en cas de récidive s’il est démontré que le justiciable ne peut être incité à respecter les règles professionnelles par des mesures plus légères. Néanmoins, et de manière exceptionnelle, une suspension temporaire de l’exercice de la profession est justifiée lors du premier manquement à l’obligation professionnelle en cas de faute grave.
En l’espèce, l’avocat a des antécédents puisque son brevet d’avocat lui a notamment déjà été retiré (cf. 2C_183/2010). Cela ne l’a toutefois pas dissuadé de commettre d’autres violations des règles professionnelles. Il a en effet rencontré la témoin deux fois sans raison objective et sans que les mesures de précaution susmentionnées soient prises. Ainsi, le prononcé d’une interdiction de pratiquer pendant une année n’est ni arbitraire ni disproportionné.
En dernier lieu, le Tribunal fédéral se penche sur la légalité de l’interdiction du port du titre d’avocat. Il souligne que la révocation du brevet d’avocat ne constitue pas une mesure disciplinaire au sens de l’art. 17 LLCA, mais une mesure administrative cantonale qui peut également affecter le port du titre d’avocat.
En l’espèce, la loi sur les avocats de Saint-Gall ne contient aucune base juridique qui entraîne la révocation du droit d’utiliser le titre d’avocat, à l’exception du retrait du brevet d’avocat. Or, l’avocat ne s’est pas vu retirer son brevet d’avocat, mais ne peut simplement pas pratiquer durant une année. Il ne peut dès lors se voir interdire de porter le titre d’avocat, à défaut de base légale précise.
Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours et lève l’interdiction de porter le titre d’avocat.
Note
Le port du titre d’avocat est réglementé de manière différente dans les cantons de Genève, de Vaud, de Neuchâtel et de Fribourg.
- Le droit genevois prévoit que nul ne peut porter le titre d’avocat s’il n’est pas inscrit au registre cantonal des avocats (art. 5 al. 1 LPAv/GE). Néanmoins, lorsqu’une personne a obtenu le brevet d’avocat, elle peut se qualifier de « titulaire du brevet d’avocat » (art. 5 al. 2 LPAv/GE). A noter que le Tribunal fédéral a considéré que l’ancien art. 5 aLPAv/GE, qui ne prévoyait pas d’exception en faveur du titulaire du brevet, violait le principe de la proportionnalité (ATF 112 Ia 318). A notre connaissance, il ne s’est néanmoins pas prononcé sur l’actuel art. 5 LPAv/GE, en vigueur depuis le 1er juin 2002.
- Dans le canton de Vaud, l’art. 4 al. 1 LPAv/VD dispose que nul ne peut se prévaloir du titre d’avocat sans être titulaire d’un brevet d’avocat. Le droit neuchâtelois contient la même disposition (art. 3a LAv/NE).
- Enfin, la Loi sur la profession d’avocat du canton de Fribourg ne prévoit rien quant au port du titre d’avocat.
A défaut de base légale précise, dans aucun de ces cantons l’autorité de surveillance ne pourra interdire à un avocat de se prévaloir de son titre d’avocat, même si celui-ci se voit interdire de pratiquer de manière temporaire.
Proposition de citation : Célian Hirsch, Le contact entre l’avocat et le témoin et l’interdiction de porter le titre « avocat », in: https://lawinside.ch/744/