La punissabilité du délit de fuite par négligence
ATF 146 IV 358 | TF, 25.09.20, 6B_1452/2019*
Un automobiliste qui n’a, par sa faute, pas remarqué sa collision latérale avec un motocycliste et ainsi continué sa course – sans porter secours ni avertir la police – se rend coupable d’un délit de fuite (art. 51 al. 2 LCR cum art. 92 al. 2 LCR) par négligence. Le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence, selon laquelle le délit de fuite peut être commis par négligence.
Faits
Un automobiliste dépasse un motocycliste et, ce faisant, entre en collision latérale avec celui-ci. Le motocycliste est blessé, tandis que l’automobiliste continue sa course sans porter secours aux blessés ni avertir la police.
Le conducteur automobile est reconnu coupable de délit de fuite (art. 51 al. 2 LCR cum art. 92 al. 2 LCR) par le Ministère public du canton des Grisons et est condamné à une peine pécuniaire avec sursis ainsi qu’une faible amende. Le Tribunal régional d’Albula confirme cette décision, adaptant toutefois la peine à la baisse et estimant que le délit de fuite a été commis par négligence.
L’affaire monte au Tribunal cantonal grisonnais, lequel confirme le jugement de l’instance précédente. Le conducteur forme alors un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, lequel doit se prononcer sur la question de savoir si un délit de fuite (art. 51 al. 2 LCR cum art. 92 al. 2 LCR) peut être commis par négligence.
Droit
L’automobiliste fait valoir que l’infraction de délit de fuite (art. 51 al. 2 LCR cum art. 92 al. 2 LCR) ne peut pas être commise par négligence (art. 12 al. 3 CP). Selon lui, le sens et le but de l’art. 92 al. 2 LCR ne viserait que les cas intentionnels.
A teneur de l’art. 92 al. 2 LCR, le conducteur qui prend la fuite après avoir tué ou blessé une personne lors d’un accident de la circulation est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. La fuite au sens de cette disposition présuppose que l’éloignement du lieu de l’accident est contraire aux devoirs énoncés par l’art. 51 al. 2 LCR. Selon cet article, toutes les personnes impliquées doivent porter secours. En particulier, les conducteurs de véhicules doivent en premier lieu avertir la police. Enfin, ces personnes ne peuvent quitter les lieux sans l’autorisation de la police, sauf si elles ont besoin de secours, si elles doivent en chercher ou quérir la police. En ce qui concerne l’éventuelle punissabilité de la négligence, l’art. 100 al. 1 LCR précise que, sauf disposition expresse et contraire de la LCR, la négligence est également punissable.
Le Tribunal fédéral rappelle que, selon sa jurisprudence établie, le délit de fuite peut également être réalisé par négligence (cf. ATF 93 IV 43, c. 2). En 1967, le Tribunal fédéral s’était ainsi fondé sur l’art. 100 al. 1 LCR et l’absence de mention expresse de limitation d’application aux cas intentionnels de l’art. 92 al. 2 LCR. En sus de permettre l’identification des causes d’un accident, cette dernière disposition vise à protéger les victimes d’accidents contre d’éventuelles conséquences néfastes économiques ou pour leur santé. Selon le Tribunal fédéral, ce but ne saurait être atteint si le délit de fuite n’était punissable qu’en cas d’intention.
Par ailleurs, le Tribunal fédéral avait également confirmé dans un arrêt de 2004 que la violation des devoirs selon l’art. 51 LCR en cas d’accident tombe sous le coup de l’art. 92 LCR tant en cas d’intention que de négligence, sans toutefois limiter l’application de ce principe à l’art. 92 al. 1 LCR (cf. ATF 131 IV 36, c. 2.1).
En 2018, le Tribunal fédéral avait enfin estimé que la question de savoir si l’auteur a commis un délit de fuite avec intention ou négligence n’a d’influence que sur la quotité de la peine prononcée (cf. TF, 22.11.18, 6B_575/2018).
En outre, le Tribunal fédéral note que la doctrine majoritaire se rallie à l’opinion selon laquelle l’art. 92 al. 2 LCR est applicable en cas de négligence.
En l’espèce, le conducteur invoque n’avoir pas remarqué qu’il a heurté le motocycliste. Or, le Tribunal fédéral rappelle que, selon l’art. 31 al. 1 LCR cum art. 3 al. 1 phrase 1 OCR, les conducteurs doivent prêter attention à la route et à la circulation. Un conducteur qui ne remarque pas qu’il peut avoir heurté un autre véhicule ou un piéton et ne s’arrête pas agit en principe par négligence. Plus précisément, un conducteur qui, en raison d’une inattention fautive, ne remarque pas un accident de la circulation ou une personne qui se blesse, se rend coupable de délit de fuite par négligence.
In casu, la collision était bien perceptible. Partant, le recours est rejeté.
Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, La punissabilité du délit de fuite par négligence, in: https://lawinside.ch/981/