Le droit de visite du père présumé d’un enfant dont la mère se trouve en détention
Une action tendant à obtenir le droit de visite d’un père sur son nouveau-né, alors que la mère se trouve en détention, ne peut être intentée que par le père lui-même. La mère détenue n’a en effet pas d’intérêt juridique et personnel à une telle décision, étant donné qu’en raison du risque de collusion, les visites devraient se dérouler en son absence.
Faits
Une femme enceinte se trouve en détention provisoire dans le cadre d’une procédure pénale ouverte contre elle. Elle requiert des autorisations de visites et de téléphones en faveur de son compagnon – le père présumé de l’enfant –, demandant notamment qu’il puisse assister à son accouchement. Compte tenu du risque de collusion, ces demandes sont rejetées. Suite au recours de la prévenue, le Tribunal fédéral lui autorise un contact téléphonique avec son compagnon, confirmant toutefois que sa présence lors de l’accouchement est exclue (arrêt 1B_122/2020 du 20 mars 2020).
Le Ministère public refuse en outre que ce dernier puisse voir l’enfant à l’hôpital et que la famille de la prévenue lui rende visite après son accouchement. Le Tribunal cantonal vaudois confirme cette ordonnance, considérant par substitution de motifs que les mesures liées à la pandémie de Covid-19 impliquent la suppression de toutes les visites.
La prévenue forme un nouveau recours en matière pénale, par lequel elle requiert notamment que son compagnon puisse être autorisé à voir son enfant. Le Tribunal fédéral doit se prononcer sur la recevabilité de cette demande.
Droit
Le Tribunal fédéral commence par noter que la question de la présence du compagnon de la prévenue lors de son accouchement a été définitivement réglée dans l’arrêt 1B_122/2020 précité, de sorte que le recours est irrecevable sur ce point.
Par ailleurs, il relève que, compte tenu du risque de collusion souligné dans ledit arrêt, un droit de visite du père présumé sur l’enfant à naître ne pourrait être exercé qu’en l’absence de la prévenue. Partant, la recourante ne dispose pas d’un intérêt juridique et personnel à la modification de la décision attaquée, tel qu’exigé par l’art. 81 al. 1 let. b LTF. Le Tribunal fédéral cite sa jurisprudence selon laquelle il n’est en effet pas possible de se prévaloir des intérêts de tiers (ATF 131 IV 191). Il appartient alors au père, seul concerné par le droit de visite requis, de formuler une demande en ce sens.
En conséquence, le Tribunal fédéral déclare le recours irrecevable.
Note
Sur le plan international se pose la question de la compatibilité de la solution retenue par le Tribunal fédéral avec la garantie de la vie privée et familiale de l’art. 8 CEDH. Selon la Cour, pour un parent et son enfant, le fait d’être ensemble constitue un élément fondamental de la vie familiale. Le droit au respect de la vie familiale du père et de son futur enfant implique un droit à des mesures propres à les réunir, de sorte que la décision d’espèce représente une ingérence dans ce droit. Celle-ci peut être justifiée lorsqu’elle (1) est prévue par la loi, (2) vise un but légitime au sens de l’art. 8 par. 2 CEDH et (3) est « nécessaire pour atteindre ce but dans une société démocratique » (CourEDH, 01.04.2004, Affaire Couillard Maugery c. France, [N° 64796/01], par. 237 ss).
Ainsi, la Cour a considéré que des restrictions importantes du droit d’un détenu de recevoir des visites de ses proches, notamment de son fils, constituaient une violation de l’art. 8 CEDH (CourEDH, 30.06.2015, Affaire Khoroshenko c. Russie, [N° 41418/04]). Il convient toutefois de noter que dans cette affaire, le requérant était condamné à perpétuité, ce qui distingue nettement sa situation de celle d’espèce, le risque de collusion et la détention provisoire constituant des circonstances passagères. En tout état, retenir un risque de collusion pendant l’accouchement de la recourante nous paraît peu conforme à l’expérience générale de la vie.
Sous l’angle procédural, si la mère ne peut agir au nom de son compagnon, l’on pourrait se demander si elle aurait pu agir comme représentante légale du nasciturus. À notre connaissance, la question n’a à ce jour pas été tranchée par les tribunaux.
Aux termes de l’art. 31 al. 2 CC, l’enfant conçu jouit des droits civils à la condition qu’il naisse vivant. Cette disposition peut être interprétée comme une condition suspensive avec effet rétroactif (la personnalité n’est acquise que si l’enfant naît vivant, cf. art. 151 ss CO) ou une condition résolutoire (la personnalité cesse si l’enfant ne naît pas vivant, cf. art. 154 CO). La question demeure controversée. Certains auteurs estiment que le silence de l’art. 31 al. 2 CC permet de choisir entre la première et la seconde interprétation en fonction de l’intérêt de l’enfant conçu et de la nature du droit en jeu (Hausheer/Aebi-Muller, Personenrecht, 2016, 4ème éd., N 03.14). Selon cette approche, les droits de la personnalité et les droits protecteurs de l’enfant (tels que ceux ayant trait à sa représentation en justice) déploieraient déjà un certain effet dès sa conception. Par ailleurs, plusieurs auteurs sont d’avis qu’au regard de la protection des intérêts de l’enfant à naître, l’interprétation selon laquelle la condition énoncée par l’art. 31 al. 2 CC est résolutoire devrait être favorisée dans tous les cas (Steinauer/Fountoulakis, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, 2014, N 438 ; Tuor/Schnyder/Schmid/Jungo, Das Schweizerische Zivilgesetzbuch, 2015, 14ème éd., § 12 N 2 ; Kohler-Vaudaux, Le début de la personnalité juridique et la situation juridique de l’enfant à naître, 2006, p. 195). Le Tribunal fédéral, dans un vieil arrêt de 1915, s’est également prononcé en faveur de cette interprétation (ATF 41 II 648, mentionné par Kohler-Vaudaux, p. 188). Appliquée au cas d’espèce, cette solution aurait pour conséquence que la mère pouvait agir au nom de l’enfant conçu en vertu des art. 31 al. 2 et 304 al. 1 CC.
Le débat sur le caractère suspensif ou résolutoire de la condition de l’art. 31 al. 2 CC est qualifié de purement académique par une partie de la doctrine (Beretta, BSK ZGB I, 2018, 6ème éd., Art. 31 N 20). Le cas d’espèce constitue néanmoins un exemple de situation dans laquelle la distinction a une véritable portée pratique (pour d’autres exemples en ce sens, cf. Kohler-Vaudaux, p. 217 ss).
Proposition de citation : Marion Chautard, Le droit de visite du père présumé d’un enfant dont la mère se trouve en détention, in: https://lawinside.ch/905/