La contestation des décisions de l’AG par l’actionnaire minoritaire

ATF 143 III 120 | TF, 28.02.2017, 4A_579/2016*

Faits

Deux actionnaires détiennent ensemble 50% du capital-actions d’une SA, notamment sous la forme d’actions à droit de vote privilégié qui leur assurent la majorité des voix à l’assemblée générale de la société. Un troisième actionnaire (« l’actionnaire minoritaire ») détient l’autre moitié du capital-actions, uniquement sous la forme d’actions ordinaires. Les statuts de la société prévoient qu’à défaut de disposition légale ou statutaire contraire, les décisions de l’assemblée générale sont prises à la majorité absolue des voix présentes ou représentées. En cas d’égalité des votes, les élections font l’objet d’un tirage au sort. Le président a voix prépondérante pour les autres décisions.

Lors d’une assemblée générale, l’actionnaire minoritaire refuse la réélection du réviseur de la société, contre l’avis des autres actionnaires. Ces derniers convoquent alors une nouvelle assemblée générale et modifient à cette occasion les statuts, de façon à ce que le président ait voix prépondérante pour toutes les décisions de l’assemblée générale, y compris en matière d’élections. Ceci fait, la réélection du réviseur est à nouveau soumise à l’assemblée. Comme précédemment, les actionnaires majoritaires votent pour et l’actionnaire minoritaire contre. Conformément aux statuts modifiés, le vote du président tranche en faveur de la réélection.
L’actionnaire minoritaire conteste cette décision avec succès devant le tribunal de commerce argovien. Les actionnaires majoritaires recourent au Tribunal fédéral. Il s’agit de déterminer si la prise de décision litigieuse est compatible avec les règles de protection des actionnaires minoritaires.

Droit

A teneur de l’art. 693 al. 1 CO, les statuts peuvent déclarer que le droit de vote sera exercé proportionnellement au nombre des actions de chaque actionnaire sans égard à leur valeur nominale, de telle sorte que chaque action donne droit à une voix. Ce nonobstant, le vote est de par la loi proportionnel à la valeur nominale, et non au nombre d’actions, pour certaines décisions importantes. L’élection de l’organe de révision compte parmi celles-ci (art. 693 al. 3 ch. 1 CO).

En l’espèce, le capital-actions de la société comprend notamment des actions à droit de vote privilégié, conformément à l’art. 693 al. 1 CO. Les actionnaires majoritaires détiennent ainsi la majorité des voix, mais seulement 50% du capital. Lors de la première assemblée, les actionnaires majoritaires ne pouvaient de ce fait pas réélire le réviseur sans le consentement de l’actionnaire minoritaire. Pour remédier à cette situation, ils ont introduit le principe de la voix prépondérante du président également pour les élections, étant entendu que la modification statutaire y afférente ne nécessitait que la majorité des voix.

En règle générale, comme en l’espèce, le président de l’assemblée générale est le président du conseil d’administration. Il est élu à la majorité des voix, sans égard à la valeur nominale des actions représentées. En combinaison avec le principe de voix prépondérante du président, ceci a pour effet qu’une personne élue par les seuls actionnaires majoritaires peut décider de l’élection du réviseur, alors même que cette décision n’emporte pas l’assentiment de la majorité du capital. Une telle situation n’est pas compatible avec l’exigence de la majorité du capital pour l’élection du réviseur (art. 693 al. 3 CO). Partant, l’élection du réviseur doit être invalidée.

Le Tribunal fédéral examine ensuite si la modification statutaire introduisant le principe de voix prépondérante du président pour les élections est valide. Sont notamment annulables au sens de l’art. 706 al. 2 CO les décisions qui portent atteinte de façon disproportionnée aux droits de certains actionnaires. Ceci découle du principe selon lequel les actionnaires majoritaires doivent ménager autant que possible les droits des minoritaires (« schonende Rechtausübung« ). En l’espèce, la modification statutaire est intervenue sans justification valable, dans le seul but de contourner le refus de l’actionnaire minoritaire de réélire le réviseur. En particulier, dans la mesure où les statuts prévoyaient précédemment un tirage au sort en cas d’égalité des votes en matière d’élection, il n’existait pas de risque de blocage auquel la modification statutaire remédierait. Au regard de ce qui précède, le Tribunal fédéral confirme également l’invalidation de la disposition statutaire concernée. Le recours est ainsi entièrement rejeté.

Note

L’instance précédente avait considéré que sur le simple plan de la logique, la disposition statutaire litigieuse était dépourvue de sens et devait être invalidée sur cette base déjà. En effet, la clause prévoyait que les décisions étaient prises à la majorité absolue, soit 50% plus 1 voix. Partant, lorsqu’une proposition n’emportait que 50% des voix, elle n’était pas adoptée et il ne pouvait être question de voix prépondérante. Le Tribunal fédéral relève l’exactitude de ce raisonnement sur le plan logique, mais rappelle que la jurisprudence fédérale a déjà validé des clauses similaires (ATF 95 II 555). Il laisse la question indécise in casu. Une décision sur ce point aurait été bienvenue dans la mesure où de telles clauses sont fréquentes en pratique.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La contestation des décisions de l’AG par l’actionnaire minoritaire, in: https://lawinside.ch/418/