L’immunité diplomatique invoquée dans un litige de droit du travail
Rien ne justifie qu’une domestique bénéficie d’un meilleur accès à la justice si elle est employée par un Etat étranger plutôt que par un diplomate le représentant. Dès lors, il convient d’interpréter l’«activité commerciale » selon l’art. 31 par. 1 let. c CVRD comme incluant un contrat de travail avec des employés de maison. Ainsi, l’agent diplomatique qui viole ses obligations contractuelles dans le cadre d’un contrat de travail ne peut pas invoquer son immunité diplomatique pour éviter d’être attrait devant les tribunaux suisses.
Faits
Par contrat de travail de durée indéterminée, le Deuxième Secrétaire de la Mission permanente de la République islamique du Pakistan auprès des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève engage une domestique privée. Moins d’un an après son engagement, la domestique ainsi que d’autres domestiques privés travaillant pour des diplomates de la Mission du Pakistan dénoncent leurs conditions de travail à la Mission permanente de la Suisse auprès de l’Office des Nations Unies à Genève. Suite à l’intervention de la Mission suisse auprès de la Mission du Pakistan, le diplomate demande à la domestique de signer une lettre attestant qu’il respecte ses obligations contractuelles. La domestique refuse et est licenciée dans la foulée.
Elle ouvre action en paiement d’une indemnité pour licenciement abusif auprès du Tribunal des Prud’hommes du canton de Genève. Celui-ci rejette l’exception d’immunité de juridiction civile soulevée par le diplomate et déclare la demande en paiement de la domestique recevable. Sur appel du diplomate, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice confirme cette décision incidente. Le diplomate intente alors un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier est amené à se prononcer sur l’application du privilège d’immunité de juridiction selon l’art. 31 par. 1 lit. c de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (CVRD) et sa compatibilité avec le droit d’accès à un tribunal de la domestique (art. 6 par. 1 CEDH).
Droit
Selon l’art. 31 par. 1 lit. c CVRD, l’agent diplomatique jouit de l’immunité de la juridiction civile de l’Etat accréditaire, sauf s’il s’agit d’une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu’elle soit, exercée par l’agent diplomatique dans l’Etat accréditaire en dehors de ses fonctions officielles.
En qualité de membre du personnel diplomatique de la Mission du Pakistan auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, le recourant jouit en Suisse de l’immunité de juridiction découlant de la CVRD applicable par analogie (cf. en particulier art. 2 al. 1 lit. f et al. 2 lit. a de la Loi fédérale sur l’Etat hôte).
L’immunité de juridiction civile octroyée à un agent diplomatique est, à l’instar de celle accordée à un Etat étranger, une barrière procédurale (procedural bar ; parmi d’autres, CourEDH, Fogarty c. Royaume-Uni du 21 novembre 2001, requête n°37112/97, § 33) propre à entraver le droit d’accès d’un justiciable à un tribunal. Une telle restriction ne viole pas l’art. 6 par. 1 CEDH si elle poursuit un but légitime et s’inscrit dans un rapport raisonnable de proportionnalité avec le but à atteindre.
La justification essentielle des immunités diplomatiques repose dans la théorie de la fonctionnalité, à savoir que les diplomates ne soient pas gênés dans l’exercice de leurs fonctions par des actions en justice dans l’Etat hôte.
L’art. 31 CVRD poursuit ce but mais souffre d’exceptions, en particulier en cas d’activité commerciale exercée par l’agent diplomatique en dehors de ses fonctions officielles (art. 31 par. 1 let. c CVRD). Les tribunaux de différents Etats parties à la CVRD interprètent cette notion de manière restrictive, en ce sens qu’elle ne couvre pas les services domestiques qui sont considérés comme accessoires à la vie quotidienne de l’agent, et lui permettent d’exercer sa mission. Toutefois, cette pratique restrictive n’établit pas un accord des parties sur l’interprétation de la CVRD (art. 31 ch. 3 let. b de la Convention de Vienne sur le droit des traités) et n’est donc pas un principe de droit généralement reconnu.
L’utilisation de l’expression « quelle qu’elle soit » (art. 31 par. 1 let. c CVRD) plaide en faveur d’une définition large de l’activité commerciale en cause. Le terme « commerciale » englobe des échanges économiques entre personnes privées, à l’instar de la relation soumise à un contrat de travail, sans que l’activité ne doive nécessairement procurer un profit personnel au diplomate. Le but de cette exception est d’offrir au cocontractant la possibilité d’obtenir réparation lorsque le diplomate viole la loi. Toutefois, aucune raison apparente ne justifie qu’un partenaire d’affaires du diplomate soit mieux protégé qu’un employé domestique.
Selon les règles relatives à l’immunité des Etats (art. 11 de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des Etats et de leurs biens, ratifiée par la Suisse mais non encore entrée en vigueur, faute de ratification par un nombre suffisant d’Etats, mais codifiant le droit international coutumier), dont découle l’immunité des diplomates, un domestique employé par un Etat étranger peut, s’il a la nationalité de l’Etat du for ou y réside, ouvrir action contre son employeur pour des prétentions résultant des rapports de travail. Ainsi, l’immunité de juridiction civile est plus restrictive si le domestique travaille pour un Etat étranger que pour un diplomate représentant cet Etat. Cette différence d’étendue de l’immunité de juridiction est incompréhensible et, partant, inéquitable.
Il convient, au contraire, de privilégier une approche paralléliste entre immunité de juridiction des Etats et immunité de juridiction de l’agent diplomatique dans le cadre d’une action civile exercée par une domestique privée contre son employeur pour des prétentions résultant de rapports de travail.
Dès lors, l’intérêt de la domestique à être protégée relègue à l’arrière-plan celui du diplomate à ne pas être entravé dans ses activités professionnelles par d’éventuelles actions en justice de son personnel de maison.
C’est donc de manière conforme au droit fédéral et international que l’instance précédente a admis la recevabilité de l’action de la domestique. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours du diplomate.
Proposition de citation : Yoann Stettler, L’immunité diplomatique invoquée dans un litige de droit du travail, in: https://lawinside.ch/1660/




