La constitutionnalité de la « décision AT1 » de la FINMA dans l’affaire Credit Suisse (1/2) : La qualité pour recourir des détenteurs d’obligations AT1

TAF, 01.10.2025, B-2334/2023

Les détenteurs d’obligations AT1 disposent de la qualité pour recourir contre la décision de la FINMA ordonnant l’amortissement des instruments de capital AT1. Bien que l’annulation de la décision ne permette pas, à elle seule, la réparation du dommage subi par les détenteurs de créances obligataires AT1, il convient de leur reconnaitre un intérêt digne de protection au regard des avantages procéduraux qu’apporterait l’annulation dans une procédure civile ou en responsabilité de l’État future.

Faits

Le 19 mars 2023, la Confédération, des représentants du Credit Suisse et d’UBS annoncent le rachat, par cette dernière, du Credit Suisse. Cette annonce est accompagnée d’une modification de l’Ordonnance du Conseil fédéral du 16 mars 2023 sur les prêts d’aide supplémentaires sous forme de liquidités et l’octroi par la Confédération de garanties du risque de défaillance pour les prêts d’aide sous forme de liquidités de la Banque nationale suisse à des banques d’importance systémique. L’art. 5a de l’ordonnance, dans sa version en vigueur du 19 mars au 15 septembre 2023, dispose qu’« [a]u moment de l’approbation de crédits visée à l’art. 5, la FINMA peut ordonner à l’emprunteuse et au groupe financier d’amortir des fonds propres de base supplémentaires ».

Par courriel du 19 mars 2023, Credit Suisse informe la FINMA que, selon elle, les conditions contractuelles (« Viability Event ») pour un amortissement des instruments de capital AT1 n’étaient pas réalisées. Par décision du même jour, la FINMA ordonne au Credit Suisse de procéder à l’amortissement de tous les instruments de capital AT1 et d’en informer immédiatement les créanciers concernés. La décision, immédiatement exécutoire, est mise en œuvre le 20 mars par Credit Suisse.

Le 27 avril 2023, trois sociétés, détentrices d’obligations AT1, forment un recours contre la décision de la FINMA, auprès du Tribunal administratif fédéral. Elles concluent, pour l’essentiel, à l’annulation de la décision attaquée et, ce faisant, à ce qu’elles soient replacées dans la situation qui aurait été la leur si l’amortissement des instruments de capital AT1 n’était pas survenu. Subsidiairement, elles concluent à la constatation de l’illégalité de la décision.

Le Tribunal administratif fédéral doit établir, s’agissant de la forme si (1) la décision de la FINMA constitue une décision susceptible de recours (2) si les détenteurs d’obligations AT1 disposent de la qualité pour recourir contre cette décision. S’agissant du fond, le Tribunal administratif fédéral doit déterminer si (1) la condition contractuelle d’un Viability Event est réalisée et (2), à défaut, si la FINMA pouvait se fonder sur une base légale suffisante pour ordonner l’amortissement des obligations AT1.

Droit

A titre préliminaire, le Tribunal administratif fédéral indique qu’il ne va rendre qu’un arrêt partiel, limité aux conclusions relatives à l’annulation de la décision de la FINMA.

Premièrement, l’art. 32 al. 1 let. a LTAF, qui exclut tout recours contre « les décisions concernant la sûreté intérieure ou extérieure du pays », n’est pas applicable en l’espèce. La décision de la FINMA est donc susceptible de recours. Il est, à cet égard, indifférent que la décision de la FINMA ait été prise en application d’une ordonnance d’urgence du Conseil fédéral (art. 184 al. 3 Cst. ; art. 185 al. 3 Cst.). L’ordre de procéder à l’amortissement des instruments de capital AT1 n’a aucun lien direct avec la sûreté intérieure du pays. Pour le surplus, l’art. 6 par. 1 CEDH est applicable au litige, ce qui exclut l’exception de l’art. 32 LTAF (art. 32 al. 1 let. a, in fine LTAF).

Le Tribunal administratif fédéral doit ensuite établir si les sociétés disposent de la qualité pour recourir contre la décision de la FINMA. En tant que tiers, les sociétés n’ont la qualité pour recourir que si elles démontrent être spécialement atteintes par la décision attaquée et avoir un intérêt digne de protection à son annulation (art. 48 al. 1 let. b et c PA). Dans le cas d’espèce, cela suppose d’établir que les détenteurs d’AT1 ont effectivement subi une atteinte à leurs intérêts ou droits du fait de l’amortissement des AT1. Cette atteinte doit encore être particulière, c’est-à-dire suffisamment distincte de l’intérêt des destinataires de la décision (art. 48 al. 1 let. b PA). Dernièrement, les sociétés doivent disposer d’un intérêt digne de protection à l’annulation de la décision. Tel n’est le cas que si leur situation individuelle se trouverait améliorée par l’annulation ou la réforme de la décision attaquée.

L’existence d’une atteinte aux droits ou intérêts des sociétés dépend, en l’espèce, de la réalisation des conditions contractuelles de l’amortissement des instruments de capital AT1. Les prétentions contractuelles sont protégées par la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). Partant, les sociétés ne subissent une atteinte à leur droit fondamental que si les conditions contractuelles d’un amortissement des instruments de capital AT1 ne sont pas réalisées. Dans l’hypothèse inverse, Credit Suisse pouvait contractuellement procéder à l’amortissement des instruments de capital AT1. Partant, les sociétés ne subiraient aucune atteinte à leur garantie de la propriété du fait de la décision de la FINMA. Cette question relève de faits doublement pertinents, et doit pour ce motif être tranchée en lien avec le fond du litige.

L’existence d’une atteinte particulière dépend de l’existence d’un intérêt propre des sociétés, distinct de celui de Credit Suisse respectivement d’UBS, à l’annulation de la décision. En l’espèce, l’intérêt des détenteurs d’obligations AT1 est entièrement distinct de l’intérêt de Credit Suisse, respectivement d’UBS. En effet, l’amortissement des AT1 a pour conséquence d’augmenter les fonds propres de base durs de Credit Suisse, respectivement d’UBS, au détriment des détenteurs des obligations AT1, lesquels perdent leurs créances. Partant, les sociétés subissent une atteinte particulière à leurs droits.

Pour le surplus, l’art. 37gter LB ne s’oppose pas non plus au recours des sociétés. Selon la jurisprudence, l’art. 37gter LB doit être interprété comme une concrétisation légale du principe selon lequel la seule qualité de créancier ne suffit pas à octroyer la qualité pour recourir contre les décisions adressées à son débiteur. Dans une telle hypothèse, le créancier ne dispose en principe que d’un intérêt financier, qui ne se distingue pas de l’intérêt du débiteur, à l’annulation de la décision. En revanche, l’art. 37gter LB ne s’oppose pas au recours du créancier lorsque ce dernier dispose, comme dans le cas d’espèce, d’un intérêt propre, distinct de l’intérêt du débiteur.

L’existence d’un intérêt digne de protection se détermine au regard des avantages, juridiques ou matériels, que l’annulation ou la réforme de la décision attaquée pourrait apporter aux recourants. En raison de l’objet du présent arrêt partiel, cette condition ne doit être appréciée qu’au regard des avantages qu’une annulation pourrait apporter aux sociétés. Dans ce cadre, il convient également de prendre en compte la possibilité d’obtenir les mêmes avantages par les moyens du droit civil ou pénal. En l’espèce, l’annulation de la décision apporterait un avantage procédural dans la perspective d’une procédure civile future respectivement d’une procédure en responsabilité de l’État (art. 12 LRCF). Cet avantage est suffisant pour fonder un intérêt digne de protection. Cette conclusion s’impose également au regard de l’art. 29a Cst. Il est en effet nécessaire de garantir une protection judiciaire effective en matière administrative, laquelle ferait défaut si les sociétés devaient exclusivement agir par la voie civile. Additionnellement, dans la perspective de la séparation des pouvoirs, l’art. 29a Cst. impose un contrôle judiciaire accru de l’administration, lorsque celle-ci agit sur la base des pouvoirs d’urgence du Conseil fédéral.

Partant, le recours est recevable.

Note

Les aspects matériels du présent arrêt feront l’objet d’un second résumé.

L’arrêt du Tribunal administratif fédéral n’est pas définitif, la FINMA ayant annoncé son intention de former un recours au TF. Par ailleurs, le Tribunal administratif fédéral a, par décision incidente du 22 octobre 2025 (FF 2025 3097), suspendu toutes les procédures portant sur l’amortissement des obligations AT1 jusqu’à droit connu.

Pour le surplus, certains aspects formels de l’arrêt appellent quelques remarques qui seront brièvement traitées ici. Le Tribunal administratif fédéral a rendu un arrêt partiel. Il a limité l’objet du litige aux conclusions relatives à l’annulation de la décision attaquée, sans se prononcer sur les conclusions relatives aux conséquences de l’annulation. Cette manière de procéder nous semble contestable car elle entraine une série d’incertitudes relatives à l’existence d’un intérêt digne de protection. Comme on s’apprête à le voir, la simple annulation de la décision administrative est, à notre sens, insuffisante pour fonder un intérêt digne de protection. C’est uniquement au regard des conséquences de l’annulation qu’il convient d’admettre l’existence d’un intérêt digne de protection.

Lors d’un recours en matière de droit administratif, l’existence d’un intérêt digne de protection se détermine au regard des avantages, de fait ou de droit, que le justiciable pourrait tirer de l’admission du recours. Il n’existe, en d’autres termes, un intérêt digne de protection à la saisine de la juridiction administrative que si l’annulation ou la réforme de la décision querellée améliore la situation juridique ou factuelle des recourants  (p.ex. ATF 146 I 172, c. 7.1.2; ATF 133 V 239, c. 6.2; ATF 133 II 468, c. 1). De jurisprudence constante, il convient de prendre en compte dans ce cadre la possibilité d’obtenir les mêmes avantages au moyen d’une procédure civile ou pénale (p.ex. ATF 132 II 250, c. 4.4 ; ATF 131 II 587, c. 4.1.1). Les tiers en particulier ne disposent pas d’intérêt digne de protection lorsqu’ils peuvent, sans aucun préjudice, faire valoir leurs droits par le biais d’une autre procédure.

En raison de l’objet de l’arrêt partiel, le Tribunal administratif fédéral a déduit l’existence d’un intérêt digne de protection :

  • de l’avantage procédural qu’entraine l’annulation de la décision administrative dans la perspective d’une procédure civile future ;
  • de l’obligation, découlant de l’art. 12 LRCF, de contester la légalité d’une décision administrative avant de pouvoir agir par la voie de la responsabilité de l’État;
  • de l’obligation, découlant de l’art. 29a Cst., de garantir une protection judiciaire en matière administrative effective et d’assurer le contrôle judiciaire des pouvoirs d’urgence de l’administration.

Cette approche n’est, à notre sens, pas convaincante.

Il nous semble, premièrement, erroné d’inférer de l’annulation de la décision de la FINMA un éventuel avantage procédural à l’occasion d’une procédure civile future. Au contraire, la jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser que les tiers ne disposaient pas d’intérêt digne de protection à recourir contre une décision administrative, lorsque ces derniers pourraient agir par la voie civile afin d’obtenir le dédommagement financier de leur cocontractant qui leur a refusé une prestation contractuelle en application de mesures administratives qu’il a renoncé à contester (cf. TF, 16.01.2025, 1C_426/2024, résumé in LawInside.ch/1551/). Or en l’espèce, Credit Suisse respectivement UBS ont précisément renoncé à recourir contre la décision de la FINMA, quand bien même ils avaient conscience que celle-ci leur imposait de violer leurs obligations contractuelles. Partant, pour ces motifs, on ne saurait conclure à l’existence d’un intérêt digne de protection.

Dans une même mesure, il nous semble erroné, deuxièmement, de retenir l’existence d’un intérêt digne de protection dans la perspective d’une éventuelle action en responsabilité de l’État. Si l’art. 12 LRCF impose bien de contester la légalité d’une décision administrative afin de pouvoir ensuite obtenir une réparation financière du dommage causé par cette dernière, le Tribunal fédéral a néanmoins précisé que cette obligation ne valait pas lorsque le recours du justiciable pourrait être déclaré irrecevable, faute d’intérêt à recourir (ATF 126 I 144, c. 2a ; ATF 100 Ib 8, c. 2b). En d’autres termes, on ne saurait inférer de la seule perspective d’une action en responsabilité de l’État un intérêt digne de protection. L’intérêt digne de protection se mesure uniquement au regard des avantages découlant directement de l’annulation de la décision.

Enfin, on ne saurait faire découler l’intérêt digne de protection de la garantie de l’accès au juge. En effet, l’art. 29a Cst. garantit un droit à une protection judiciaire effective. Elle ne garantit en revanche aucun droit à une procédure spécifique, en particulier pas administrative (cpr. ATF 150 I 191, c. 2.1 et 2.3, résumé in LawInside.ch/1426/). L’art. 29a Cst. donne uniquement droit à une saisine de la juridiction administrative lorsqu’une procédure en responsabilité de l’État, civile ou pénale ne permettrait pas au justiciable d’obtenir un redressement suffisant (ATF 149 I 2, c. 3.2.2 résumé in LawInside.ch/1266/). Dans une même mesure, l’art. 29a Cst. ne fonde pas une compétence générale des tribunaux de contrôler la constitutionnalité de l’action administrative. L’art. 29a Cst. fonde uniquement une compétence des tribunaux de protéger les droits ou intérêts individuels.

Pour ces motifs, un intérêt digne de protection à la saisine de la juridiction administrative ne peut se déduire que des conséquences de l’annulation de la décision, à savoir si l’annulation permet de rétablir, directement ou indirectement, les obligations AT1.

À cet égard, il nous semble douteux que l’annulation de la décision, qu’elle soit ex nunc ou ex tunc, permette à elle seule le rétablissement des obligations AT1. Dans l’ATF 124 I 127 c. 6b, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de constater que l’annulation de la décision de suppression de l’usage obligatoire de la formule officielle selon l’art. 270 al. 2 CO n’avait pas d’effets directs sur les contrats de bail conclus durant cette période. Ces aspects relèvent de la compétence du juge civil. Dans une même mesure, l’annulation d’une décision d’adjudication illégale ne suffit pas à provoquer l’annulation d’un contrat conclu en violation du droit des marchés publics. Partant, à notre sens, l’annulation de la décision de la FINMA n’aura pas d’effets directs sur l’amortissement des AT1.

En revanche, il nous semble qu’au titre du droit à une protection judiciaire effective (art. 29a Cst.), le juge administratif est fondé à accompagner l’annulation de la décision d’une injonction à la FINMA, lui ordonnant de prendre toutes les mesures autorisées par le cadre constitutionnel et légal pour rétablir une situation conforme au droit (cpr. pour une approche similaire en matière de marchés publics, TF, 19.05.2025, 2D_14/2024* résumé et commenté in LawInside.ch/1610/). Pour autant, il nous semble douteux que la FINMA puisse être contrainte de rendre une décision ordonnant à UBS d’émettre des obligations AT1, faute de base légale. L’injonction devrait en revanche pouvoir contraindre la FINMA à utiliser son pouvoir d’appréciation de manière à favoriser, sans toutefois contrevenir au cadre légal, l’émission de nouvelles obligations AT1, si UBS décidait d’y procéder. On songera notamment à une obligation de la FINMA d’approuver l’émission d’obligations AT1 analogues aux obligations amorties selon l’art. 27 al. 5 OFR, ou encore à édicter des dispositions d’exécution techniques en ce sens, selon l’art. 27 al. 4bis OFR. Dans une même mesure, l’injonction ne doit tendre qu’à rétablir la légalité matérielle et ne doit pas permettre une réparation purement financière, laquelle est uniquement possible au moyen d’une action en responsabilité de l’État ou civile.

Proposition de citation : Simon Pfefferlé, La constitutionnalité de la « décision AT1 » de la FINMA dans l’affaire Credit Suisse (1/2) : La qualité pour recourir des détenteurs d’obligations AT1, in: https://lawinside.ch/1648/