La pénalisation de la mendicité passive : une ultima ratio
Le prononcé d’une amende pour mendicité passive ne peut intervenir qu’après l’échec d’autres mesures à caractère administratif (éloignement par la police, prononcé d’un avertissement assorti d’informations claires). Les « abords immédiats » au sens de l’art. 11A al. 1 let. c LPG/GE ne sauraient excéder quelques mètres.
Faits
Suite à son opposition à des ordonnances pénales, un ressortissant roumain de la communauté rom, vivant dans la précarité, est condamné à une amende de CHF 300, assortie d’une peine privative de liberté de substitution de trois jours, pour avoir mendié à 9 reprises dans des espaces interdits.
Saisie d’un appel, la Cour de justice genevoise l’admet très partiellement, tout en maintenant la peine. Le prévenu forme un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la conformité de la condamnation aux droits fondamentaux du recourant.
Droit
L’art. 11A al. 1 let. c de la Loi pénale genevoise (LPG/GE), dans sa teneur en vigueur depuis le 12 février 2022, punit de l’amende quiconque mendie entre autres dans une zone ayant une « vocation commerciale ou touristique prioritaire » ou « aux abords immédiats » de nombreuses catégories de lieux.
Toute interdiction, même partielle, de la mendicité restreint les droits et libertés garantis par les art. 7, 10 al. 2 Cst., ainsi que par l’art. 8 CEDH (cf. CourEDH, Lacatus c. Suisse, résumé in : LawInside.ch/1017). Une telle restriction nécessite notamment une base légale qualifiée et le respect du principe de proportionnalité (art. 36 Cst.).
Après avoir rejeté divers autres griefs du recourant, le Tribunal fédéral relève que la notion d’ « abords immédiats » utilisée dans la législation genevoise manque de clarté. Interprétant la norme, il considère que cette expression ne peut viser qu’un périmètre de quelques mètres autour des entrées et sorties des lieux visés. La constatation de fait, dans l’arrêt cantonal, selon laquelle le recourant aurait mendié « aux abords immédiats », « à proximité immédiate », « devant » ou « à hauteur » des lieux proscrits relève de la pure appréciation et ne permet pas de contrôler l’application de la norme pénale cantonale, fût-ce sous l’angle de l’arbitraire. Le fait que le recourant ait mendié dans un cas « à moins de 10 mètres » d’un lieu interdit conduit également à considérer au bénéfice du doute que les éléments constitutifs de la norme pénale ne sont pas réalisés.
Partant, le Tribunal fédéral annule la condamnation pour ces occurrences. En revanche, le cas dans lequel le recourant a mendié « à moins de deux mètres » de l’entrée d’un magasin réalise objectivement l’état de fait incriminé par l’art. 11A LPG/GE.
Reste désormais à apprécier si l’amende infligée pour cette dernière occurrence respecte le principe de la proportionnalité.
Le Tribunal fédéral rappelle que la pénalisation de la mendicité passive ne peut intervenir que comme ultima ratio. Compte tenu de la situation précaire des mendiants, une amende ne peut être prononcée qu’après l’échec d’autres mesures, de nature administrative et plus adéquates, à l’instar de l’éloignement par la police lors de la première infraction et l’avertissement sous commination d’une amende en cas de récidive. De telles mesures nécessitent la mise en place d’un dispositif réglementaire et sont un préalable nécessaire au prononcé d’une amende.
En l’espèce, les condamnations systématiques infligées au recourant, sans avertissement préalable, revêtent un caractère immédiatement pénal, contraire au principe de l’ultima ratio. Une amende n’aurait pu être infligée qu’à la suite d’un avertissement formel, accompagné d’informations claires, dans la langue du prévenu, sur les sanctions encourues en cas de récidive, notamment sur le risque d’amende susceptible d’être convertie en peine privative de liberté. La possibilité pour le recourant d’invoquer le caractère non-fautif du défaut de paiement de l’amende (art. 106 al. 2 CP) ne permet pas de pallier ce manquement.
Le Tribunal fédéral admet donc le recours, constate une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux du recourant et prononce son acquittement.
Proposition de citation : Timothée Pellouchoud, La pénalisation de la mendicité passive : une ultima ratio, in: https://lawinside.ch/1637/






