L’obligation de reddition de compte de la société de révision
En l’absence de clauses contractuelles, l’art. 400 al. 1 CO s’applique par analogie à la relation entre la société et son organe de révision. Après la fin du mandat ou en cas de faillite de la société contrôlée, le principe d’indépendance de l’organe de révision (art. 818 al. 1 cum art. 728 CO) ne s’oppose pas à son obligation de reddition de compte envers la société.
Faits
Une société de gestion acquiert pour CHF 2 millions les créances d’une Sàrl en faillite à l’encontre de son organe de révision.
Le Kantonsgericht de Zoug condamne l’organe de révision à remettre à la société acquéreuse tous les documents et paiements reçus en lien avec sa fonction de révision. Selon le Kantonsgericht, puisque les contrats entre la société en faillite et l’organe de révision (Engagement Letters) ne règlent pas la reddition de compte, l’art. 400 al. 1 CO s’applique par analogie à l’organe de révision.
L’Obergericht confirme cette décision. L’organe de révision forme un recours au Tribunal fédéral qui est amené à examiner dans quelle mesure l’organe de révision est tenu par une obligation de reddition de compte, en l’absence de dispositions contractuelles explicites.
Droit
Dans un premier temps, il s’agit de vérifier si les Engagement Letters n’ont effectivement pas réglé l’obligation de rendre compte de l’organe de révision et contiennent ainsi une lacune contractuelle. Dans l’affirmative, il convient, dans un second temps, d’examiner si l’art. 400 al. 1 CO permet de combler cette lacune.
Premièrement, le rapport juridique découlant de l’élection de l’organe de révision par l’assemblée des associés (art. 804 al. 2 ch. 3 CO) se distingue de la relation contractuelle entre ces parties. La doctrine majoritaire considère ce rapport comme un contrat sui generis avec des caractéristiques essentielles du contrat de mandat : l’assemblée des associés choisit librement son réviseur, qui est tenu au devoir de diligence et d’exécution fidèle du mandat. Le droit du mandat s’applique par analogie dans la mesure où le droit de la révision ne prévoit pas de règles spécifiques et où l’application de cette norme n’entre pas en conflit avec les dispositions et finalités de la révision.
En l’espèce, les parties divergent sur l’existence d’une obligation de reddition de compte par l’organe de révision. La société de gestion soutient que les parties auraient sciemment renoncé à toute disposition dans les Engagement Letters, car elles pensaient que cette obligation serait réglée par la loi. En revanche, l’organe de révision estime qu’il y a eu renonciation car elles ne souhaitaient aucune obligation de rendre compte au-delà de la restitution du rapport de révision.
À défaut de volonté réelle et commune des parties (art. 18 al. 1 CO), le tribunal doit adopter une interprétation objective de la volonté des parties et déterminer selon le principe de la confiance comment leurs déclarations pouvaient et devaient être comprises en fonction de l’ensemble des circonstances.
En l’espèce, l’organe de révision a précisé dans le détail ses prestations dans les Engagement Letters, sans toutefois exclure expressément l’obligation de rendre compte. La société contrôlée ne pouvait raisonnablement en déduire une renonciation totale à la reddition des comptes. L’absence de règlementation sur l’obligation de rendre compte constitue ainsi une lacune contractuelle. Pour compléter un contrat lacunaire, le tribunal doit, en l’absence de dispositions légales impératives, déterminer ce que les parties se seraient convenu selon le principe de la bonne foi si elles avaient pris en considération le point non réglé.
Secondement, il s’agit de vérifier que les règles spécifiques à la révision ne s’opposent pas à l’application par analogie de l’art. 400 al. 1 CO.
L’organe de révision soutient que l’art. 730c CO régit de manière exhaustive ses obligations de rendre compte et de remettre les documents. Or, l’art. 730c al. 1 CO régit uniquement l’obligation de documentation et de conservation de l’organe de révision, mais ne traite ni de leur consultation ou de leur remise à la société contrôlée. L’art. 730c CO n’exclut pas l’application par analogie de l’art. 400 al. 1 CO pour combler une lacune contractuelle.
Certes, le principe d’indépendance de l’organe de révision (art. 818 al. 1 CO cum art. 728 s. CO) limite l’application de certaines règles du mandat, notamment l’obligation du mandataire de fidélité et de sauvegarde des intérêts du mandant (art. 398 al. 2 CO) ainsi que la possibilité pour la société de donner des instructions. Toutefois, ce principe n’exclut pas de manière générale l’application par analogie de l’art. 400 al. 1 CO, qu’il convient d’apprécier in concreto selon les particularités du rapport contractuel.
En ce sens, la société contrôlée dispose d’un droit d’information minimal pour vérifier l’exécution du mandat de révision, mais limité par l’indépendance de l’organe de révision. À la fin du mandat de révision ou en cas de faillite de la société contrôlée, l’organe de révision ne peut invoquer son indépendance pour se soustraire à ses obligations, d’autant plus que les art. 827 CO cum 755 CO prévoient explicitement sa responsabilité. Ainsi, l’Obergericht a correctement admis l’application par analogie de l’art. 400 al. 1 CO pour combler une lacune contractuelle.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Note
Cet arrêt permet d’illustrer la double nature de la relation entre l’organe de révision et la société contrôlée qui repose à la fois sur un rapport d’organe et un rapport contractuel.
D’une part, l’assemblée générale ou l’assemblée des associés élit l’organe de révision (art. 698 al. 2 ch. 2 et art. 804 al. 2 ch. 3 CO). Cette élection confère au réviseur le statut d’organe et le charge d’effectuer un contrôle objectif. Il n’a ainsi aucun devoir de loyauté envers la société et celle-ci ne peut lui donner des instructions quant à l’étendue ou la manière d’effectuer son contrôle (BSK OR II-Reutter, Art. 730 N 8).
D’autre part, cette élection crée un contrat de mandat sui generis entre la société contrôlée et le réviseur. Lorsque le droit de la révision est silencieux et que cela ne compromet pas l’indépendance du réviseur (art. 728 et 818 CO), les règles du mandat s’appliquent par analogie. Pendant l’exécution du mandat, l’organe de révision respecte des devoirs de diligence et d’exécution fidèle du mandat, mais son indépendance exclut que le conseil d’administration lui donne des instructions (Böckli, Schweizer Aktienrecht, § 13 N 463). En revanche, lorsque le mandat prend fin, le conseil d’administration peut exiger que le réviseur lui remette les documents nécessaires (art. 400 al. 1 CO par analogie) pour vérifier l’exécution de sa mission, sans que le principe d’indépendance ne puisse s’y opposer (ZK OR-Eberle/Lengauer, Art. 730c N 84 s.).
Proposition de citation : Nadia Masson, L’obligation de reddition de compte de la société de révision, in: https://lawinside.ch/1631/