L’ancien travailleur salarié devenu apprenti et l’ALCP
Lorsqu’une personne perd son statut de travailleur salarié au sens de l’art. 6 Annexe I ALCP, des revenus trop modestes dans le cadre d’une activité réelle et effective ne lui permettent pas de le retrouver. L’approche n’est pas plus souple dans le cadre d’un apprentissage malgré les objectifs particuliers de ce contrat (art. 344 ss CO).
Faits
Un citoyen italien réside en Suisse entre 1994 et 2009, entre 2014 et 2015, entre 2015 et 2016, puis revient en juin 2017 pour exercer une activité lucrative salariée. Il obtient un permis de séjour UE/AELE.
Après avoir connu deux périodes sans emploi, il épuise son droit aux indemnités de chômage en juillet 2019 et perçoit des prestations d’aide sociale. En mai 2020, il signe un contrat d’apprentissage d’installateur-électricien. Le contrat prévoit une formation de quatre ans à compter du 1er septembre 2020 et une rémunération mensuelle brute de CHF 550 durant la première année à CHF 1’200 durant la quatrième.
Les autorités tessinoises révoquent le permis de séjour de l’intéressé en août 2020. Le Consiglio di Stato et le Tribunale amministrativo confirment cette décision. Le citoyen italien saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer si le contrat d’apprentissage permet de considérer l’intéressé comme un travailleur salarié au sens de l’art. 6 Annexe 1 ALCP.
Droit
Pour être considérée comme un travailleur salarié au sens de l’art. 6 Annexe I ALCP, la personne doit accomplir, pendant un certain temps, en faveur d’une autre personne et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération. L’activité doit être réelle et effective, tant sur le plan qualitatif que quantitatif.
Pour déterminer si l’activité exercée est réelle et effective, il convient de se baser sur des critères objectifs et de tenir compte des circonstances relatives au type d’activité exercée et à la relation de travail en question dans leur ensemble. Si un travailleur ne perçoit que des revenus modestes, cela peut constituer une preuve du caractère marginal et accessoire de l’activité qu’il exerce. Toutefois, cela n’exclut pas les « working poors », c’est-à-dire les travailleurs qui, bien qu’exerçant une activité réelle et effective, perçoivent des revenus insuffisants pour subvenir à leurs besoins.
Lorsqu’une personne pouvant se prévaloir de l’ALCP ne peut plus bénéficier du statut de travailleur salarié, elle garde la possibilité de bénéficier d’un droit de demeurer après la fin de son activité économique (art. 4 Annexe I ALCP). C’est en particulier le cas des personnes qui souhaitent séjourner en Suisse pour y suivre, à titre principal, une formation professionnelle. Les conditions d’obtention du permis de séjour sont toutefois plus restrictives. La personne doit en particulier disposer de ressources financières suffisantes pour ne pas avoir à recourir à l’aide sociale dans l’Etat d’accueil (art. 24 Annexe I ALCP).
En l’occurence, l’apprenti a perdu son statut de travailleur après l’épuisement de son droit aux indemnités de chômage. La question déterminante est celle de savoir s’il l’a retrouvé grâce à son contrat d’apprentissage ou s’il doit être soumis aux conditions plus restrictives en tant que personne en formation.
Contrairement à ce qu’a considéré le Tribunale amministrativo, le seul fait que le contrat d’apprentissage (art. 344 ss CO) ait un but de formation ne permet pas d’exclure ab initio de considérer l’apprenti comme un travailleur.
Selon la jurisprudence européenne, dont il convient de tenir compte (art. 16 al. 2 ALCP), ce seul aspect n’est pas déterminant. Lorsqu’une personne exerce une activité économique dans le cadre d’une formation professionnelle, la reconnaissance du statut de travailleur dépend toujours du critère de l’exercice d’une activité réelle et effective. La personne doit alors bénéficier du statut de travailleur, indépendamment du fait qu’elle peut être moins productive ou exercer des tâches réduites, percevant une rémunération limitée. L’approche du droit suisse est d’ailleurs similaire, puisque les apprentis qui suivent une formation combinée sont considérés comme des personnes exerçant une activité lucrative (art. 1a al. 2 OASA).
En l’espèce, le fait que le revenu de l’apprenti soit inférieur au minimum vital ne constitue pas en soi un motif pour lui refuser d’emblée le statut de travailleur. Cependant, le salaire constitue un aspect important de l’évaluation d’une activité professionnelle exercée pendant une certaine durée. Sur la base de jurisprudences récentes (notamment TF, 2C_16/2023, c. 5.2.1), les revenus de l’apprenti demeurent trop modestes pour qu’il envisage de ne plus recourir à l’aide sociale de manière substantielle, y compris durant sa dernière année. L’apprenti n’a donc pas retrouvé sa qualité de travailleur.
Le fait que les apprentis réalisent de manière générale des revenus modestes précisément parce qu’ils sont en formation, et non pour des raisons économiques comme les « working poors », ne conduit pas à une conclusion différente. Ils doivent alors remplir les conditions plus strictes de l’art. 24 Annexe I ALCP en tant que personnes n’exerçant pas une activité économique. Dans le cas contraire, la règlementation de l’ALCP perdrait une partie de son sens, soit de permettre le déroulement à titre principal d’une formation professionnelle en Suisse uniquement en présence de conditions spécifiques. De plus, une approche différente entraînerait une inégalité de traitement injustifiée avec les personnes qui suivent des formations théoriques plutôt que pratiques.
Comme il perçoit des prestations d’aide sociale, l’apprenti ne remplit pas non plus les conditions de l’art. 24 Annexe I ALCP pour demeurer en Suisse après la fin de son activité économique. Le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, L’ancien travailleur salarié devenu apprenti et l’ALCP, in: https://lawinside.ch/1621/