La soumission d’un projet ferroviaire et routier au référendum obligatoire
En matière de référendum financier, le principe de l’unité de la matière implique qu’un projet financier ne peut porter sur des objets distincts, sauf s’ils sont interdépendants ou s’ils poursuivent un objectif commun créant un lien matériel étroit entre eux. Lorsque des infrastructures ferroviaires et routières sont étroitement liées, une planification d’ensemble peut s’avérer nécessaire. Il y a lieu de déterminer la part de chacun des objets et d’examiner si le seuil pertinent déclenchant l’obligation de référendum est atteint pour une partie du projet.
Faits
Le Grand Conseil du canton de Soleure approuve un crédit d’engagement de 20,2 millions de francs pour un projet comprenant l’assainissement et le réaménagement d’une route et des infrastructures ferroviaires situées le long de la route.
Une administrée interjette un recours en matière de droit public auprès du Tribunal fédéral, qui doit déterminer si la décision du Grand Conseil relève de sa compétence exclusive ou si elle doit être soumise au référendum obligatoire, voire facultatif.
Droit
À titre liminaire, le Tribunal fédéral rappelle que lorsqu’une décision n’est pas soumise à référendum conformément aux exigences légales, il s’agit d’une violation des droits politiques garantis à l’art. 34 al. 1 Cst. L’un des objectifs du référendum est d’assurer la participation du peuple aux décisions impliquant des dépenses considérables de l’État, qui touchent indirectement les citoyen·nes en tant que contribuables.
S’agissant d’un référendum financier, le principe de l’unité de la matière prévaut : un projet financier ne peut porter sur des objets distincts, sauf s’ils sont interdépendants ou s’ils poursuivent un objectif commun créant un lien matériel étroit entre eux. Par ailleurs, un objet qui forme un tout ne peut être divisé artificiellement en parties qui ne sont pas soumises individuellement au référendum dans le but de soustraire l’objet à une éventuelle votation.
Le Tribunal fédéral poursuit en relevant qu’en vertu de l’art. 35 al. 1 let. e et 74 al. 1 let. a Cst./SO, les décisions du Grand Conseil impliquant des dépenses nouvelles supérieures à 5 millions de francs doivent obligatoirement être soumises au vote populaire. Les décisions concernant des montants supérieurs à 1 million de francs sont soumises au référendum facultatif (art. 36 al. 1 let. a et 74 al. 1 let. a Cst./SO).
L’art. 40 al. 2 Cst./SO permet de déléguer au Grand Conseil la compétence d’arrêter définitivement certaines dépenses, à condition que le montant maximal des dépenses soit expressément mentionné dans une loi. Une telle délégation est prévue à l’art. 8ter al. 4 de la loi cantonale sur les routes (LR/SO), selon lequel les décisions du Grand Conseil relatives à des projets routiers (« Strassenprojekte ») d’un montant supérieur à 25 millions de francs sont soumises au référendum facultatif.
En l’espèce, il convient de déterminer si le projet en cause constitue un projet routier au sens de l’art. 8ter al. 4 LR/SO, et partant, si le crédit d’engagement de 20,2 millions de francs peut être intégralement soumis à cette disposition, avec pour conséquence qu’il soit soustrait au référendum.
Selon le Grand Conseil, tant l’infrastructure routière que ferroviaire nécessitent une rénovation. Il s’agirait d’un projet routier de grande envergure impliquant la coexistence de différents modes de transport. La fusion des voies ferroviaires et routières permettrait d’optimiser l’espace disponible, notamment pour les piétons et les cyclistes. Contrairement à la recourante, qui plaide pour une interprétation restrictive de la notion de projet routier contenue à l’art. 8ter al. 4 LR/SO, le Grand Conseil en défend une interprétation large.
Le Tribunal fédéral constate que, même en adoptant une définition large de la notion de projet routier, incluant notamment les pistes cyclables et les trottoirs, les infrastructures ferroviaires n’en font pas partie. Le fait que le canton, propriétaire de la route en question, soit à l’initiative du projet ne permet pas de procéder à une interprétation extensive de la notion de projet routier. De plus, le projet ne prévoit pas la suppression d’infrastructures ferroviaires, mais bien leur développement. Par ailleurs, un traitement distinct entre les éléments routiers et ferroviaires est également justifié, car les infrastructures ferroviaires nécessitent une approbation des plans par l’Office fédéral des transports, contrairement aux routes cantonales (art. 18 al. 1 et 2 LCdF).
Le Tribunal fédéral relève que le crédit de 20,2 millions de francs concerne au moins deux objets matériellement distincts, soit tant des infrastructures routières que ferroviaires. Les projets sont étroitement liés, le projet ferroviaire complétant le projet routier. Partant, ils nécessitent une planification d’ensemble et une approche globale pour le crédit d’engagement. En effet, le principe de l’unité de la matière ne signifie pas qu’un projet doit nécessairement relever d’un seul domaine. Il s’agit toutefois de déterminer la part de chacun des objets et d’examiner si le seuil pertinent pour une partie du projet est atteint.
En l’espèce, la part du projet relevant des infrastructures ferroviaires s’élève à environ 5,5 millions de francs. L’art. 8ter al. 4 LR/SO ne prévoyant pas d’extension de son champ d’application aux infrastructures ferroviaires, il serait contraire au droit d’inclure dans l’interprétation de « projet routier » des infrastructures non routières soumises à un seuil de référendum plus bas.
La part de 5,5 millions de francs pour la partie du projet concernant les infrastructures ferroviaires dépasse le seuil de 5 millions (art. 35 al. 1 lit. e Cst./SO). Partant, le Tribunal fédéral conclut que la décision du Grand Conseil aurait dû être soumise au référendum obligatoire pour la totalité du montant concerné. Il admet le recours et annule la décision du Grand Conseil.
Proposition de citation : Margaux Collaud, La soumission d’un projet ferroviaire et routier au référendum obligatoire, in: https://lawinside.ch/1588/