Le début du délai de recours en cas de notification à une partie et à son·sa représentant·e juridique

TF, 05.03.2025, 1C_713/2024*

En cas de notification d’une décision tant au·à la destinataire qu’à son·sa représentant·e juridique, le délai de recours ne commence à courir qu’avec la notification régulière au·à la représentant·e juridique.

Faits

Depuis le 1er avril 1996, une juriste travaille auprès de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), à un taux d’activité de 80%. Depuis le 3 décembre 2020, elle est en incapacité de travail, totale ou partielle, pour cause de maladie.

Le 23 mai 2024, l’OFAS rend une décision au sujet du droit au salaire de l’employée. Il y exclut en particulier un paiement rétroactif suite à la réduction du salaire versé, réduction qui aurait été opérée de manière conforme au droit. La décision est notifiée par lettre recommandée, tant à l’employée qu’à son avocate. La première reçoit le courrier le 25 mai 2024. Le 27 mai 2024, elle le transmet par courriel à son avocate. Cette dernière ne retire le courrier recommandé qui lui était adressé que le 30 mai 2024.

En date du 1er juillet 2024, l’employée exerce un recours auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF). Ce dernier déclare le recours irrecevable. Selon son analyse, le délai de recours de l’avocate a commencé à courir le 28 mai 2024, puisqu’elle avait reçu le courriel de sa cliente la veille. Dès ce moment, la décision était dans la sphère d’influence de l’avocate. Il en découle que le recours serait tardif.

La recourante saisit le Tribunal fédéral, qui doit déterminer si le recours déposé auprès du TAF était tardif.

Droit

La recourante fait valoir que le TAF, en se basant sur la date de la transmission de la décision par courriel à son avocate pour déterminer le point de départ du délai de recours, aurait violé l’interdiction de l’arbitraire et de la bonne foi (art. 9 Cst). En effet, dans les relations de représentation, il arrive souvent que les personnes concernées transmettent à titre préventif le contenu d’une décision reçue à leur représentant·e juridique. Cela ne change toutefois rien au fait que la date de la notification régulière est déterminante pour le·la représentant·e juridique.

Le Tribunal fédéral rappelle quelques fondamentaux de procédure administrative. Selon l’art. 20 al. 1 PA, si le délai compté par jours doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication (« Mitteilung », « notificazione »). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, de manière générale, une notification est réputée avoir été effectuée lorsque la décision parvient dans la sphère d’influence du destinataire et que celui-ci peut en prendre connaissance (ATF 142 III 599, c. 2.4.1, résumé in LawInside.ch/293/), sous réserve de l’existence de règles particulières de notification.

Par ailleurs, quand une partie est dûment représentée, l’art. 11 al. 3 PA prévoit que tant que la partie ne révoque pas la procuration, l’autorité adresse ses communications au mandataire. Cette disposition, dont le Tribunal fédéral relève qu’elle ne constitue pas une simple règle d’ordre, sert à dissiper tout doute quant à savoir si les notifications doivent être adressées à la partie elle-même ou à son·sa représentant·e, ainsi qu’à clarifier les notifications déterminantes pour le calcul des délais. Comme en procédure civile (art. 137 CPC) et pénale (art. 87 al. 3 CPP; à ce sujet, cf. ATF 144 IV 64, résumé in LawInside.ch/583/), l’art. 11 al. 3 PA sert la sécurité juridique.

Enfin, si la décision est notifiée tant à la partie qu’à son·sa représentant·e légal·e, la doctrine qui se prononce sur la question considère que seul le moment de la notification au·à la représentant·e légal·e est déterminant pour le déclenchement du délai de recours (parmi d’autres, Madeleine Hirsig-Vouilloz, n. 43 ad art. 11 PA, in François Bellanger/Jérôme Candrian/Hirsig-Vouilloz Madeleine (édits), Commentaire romand de la Loi fédérale sur la procédure administrative, Bâle 2024). Le Tribunal fédéral se rallie à cette approche, qui a le mérite de servir le but de sécurité juridique de l’art. 11 al. 3 PA.

En l’espèce, contrairement à ce qu’a retenu le TAF, l’OFAS a correctement appliqué l’art. 11 al. 3 PA, puisqu’il a envoyé la décision par courrier recommandé tant à la destinataire qu’à son avocate. La notification n’était donc pas entachée de défaut. Toutefois, c’est bien la notification en bonne et due forme à l’avocate qui constitue l’événement déclencheur du délai, peu importe qu’elle ait reçu la décision par courriel de la part de sa cliente le lundi 27 mai 2024 avant de retirer son courrier recommandé le jeudi 30 mai 2024. Le délai de recours ayant commencé à courir le vendredi 31 mai 2024, il est arrivé à échéance le samedi 29 juin 2024, et a été reporté de plein droit au lundi 1er juillet 2024 (cf. art. 20 al. 3 PA). Le recours auprès du TAF a donc été déposé en temps utile.

Le Tribunal fédéral relève aussi, par surabondance, que même si le TAF devait être suivi dans sa considération selon laquelle la notification à la recourante avait été défectueuse, le résultat serait le même. L’avocate avait bien connaissance de la décision attaquée à partir du 27 mai 2024. Toutefois, elle pouvait y lire que la décision lui avait également été adressée par courrier recommandé, ce qui laissait présager une notification conforme au droit. Le principe de la bonne foi ne lui imposait donc pas d’interpeller l’OFAS afin que ce dernier lui notifie une décision conforme. Par ailleurs, il n’existe aucune obligation de retirer un courrier recommandé avant le dernier jour du délai de garde.

Partant, le Tribunal fédéral admet le recours, annule l’arrêt attaqué et renvoie la cause au TAF pour nouvel examen de la recevabilité, le cas échéant pour qu’il procède à un examen au fond.

Proposition de citation : Camille de Salis, Le début du délai de recours en cas de notification à une partie et à son·sa représentant·e juridique, in: https://lawinside.ch/1568/