La voie de recours ouverte à un Etat pour faire valoir son immunité juridictionnelle en procédure arbitrale internationale

TF, 16.01.2025, 4A_163/2023*

La décision par laquelle le juge d’appui refuse de nommer un arbitre en matière d’arbitrage international est directement attaquable devant le Tribunal fédéral, y compris lorsque le juge d’appui qui rend cette décision n’est pas un tribunal supérieur au sens de l’art. 75 al. 2 LTF. De plus, pour que l’on puisse admettre une renonciation de la part d’un État à se prévaloir de son immunité, il doit avoir conclu par écrit un accord d’arbitrage au sens de l’art. 17 CNUIJE.

Faits

Une société de droit suisse engage une procédure d’arbitrage contre une société étrangère. Cette dernière appelle en cause un État et prend des conclusions reconventionnelles à son encontre. La société étrangère saisit le Tribunal de première instance genevois d’une requête en nomination d’arbitres dirigée contre la société de droit suisse et l’État en invoquant l’existence d’un for de nécessité en Suisse.

Par ordonnance du 31 octobre 2022, le Tribunal de première instance rejette la requête de l’État tendant à la limitation de la procédure à l’examen de son immunité juridictionnelle.

La Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève déclare irrecevable l’appel interjeté par l’État à l’encontre de l’ordonnance du 31 octobre 2022.

L’État exerce un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral.

Droit

Dans un premier moyen, l’État soutient qu’une voie de recours permettant d’attaquer une ordonnance prise par le juge d’appui dans le cadre d’une procédure tendant à la nomination d’arbitres doit être admise.

Le Tribunal fédéral commence par rappeler sa jurisprudence selon laquelle toute possibilité de recours contre la décision de nomination d’un arbitre rendue par le juge d’appui est en principe exclue, tant en matière d’arbitrage international que dans le domaine de l’arbitrage interne.

Cependant, toujours selon le Tribunal fédéral, dans les circonstances singulières de la présente cause, il se justifie de déroger exceptionnellement à cette règle et d’admettre la possibilité de recourir contre la décision rendue par le Tribunal de première instance.

En effet, d’une part, la compétence à raison du lieu du juge d’appui suisse est intrinsèquement liée au siège de l’arbitrage. Or, les décisions du Tribunal fédéral excluant toute voie de recours contre les nominations d’arbitre effectuées par le juge d’appui ont toujours été rendues dans le cadre d’affaires où le siège de l’arbitrage était en Suisse. En l’espèce, la situation est toute autre, car le siège de l’arbitrage se trouve à l’étranger et l’intimée a invoqué le for de nécessité visé par l’art. 3 LDIP pour introduire sa requête devant le juge d’appui genevois.

D’autre part, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, lorsque le juge d’appui, saisi d’une demande ad hoc, nomme un arbitre, sa décision ne jouit pas de l’autorité de la chose jugée, de sorte que les arbitres ont encore la faculté d’examiner de manière indépendante la compétence et la régularité de la composition du tribunal arbitral. Or, un tribunal arbitral ne saurait s’autoriser à revoir si la juridiction du pays ayant désigné l’un de ses membres était compétente pour ce faire au regard de sa propre législation.

Partant, au vu des circonstances particulières de l’espèce, le Tribunal fédéral admet que la décision par laquelle le juge d’appui refuse de nommer un arbitre en matière d’arbitrage international n’est susceptible d’aucun recours au niveau cantonal, mais qu’elle est en revanche directement attaquable devant le Tribunal fédéral, y compris lorsque le juge d’appui qui rend cette décision n’est pas un tribunal supérieur au sens de l’art. 75 al. 2 LTF.

Dans un second moyen, l’État recourant dénonce une violation de son immunité juridictionnelle. Il reproche en particulier au Tribunal de première instance d’avoir enfreint l’art. 17 CNUIJE.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’immunité de juridiction des États est en principe régie par le droit international coutumier. Toutefois, pour trancher les questions relatives aux immunités de juridiction, il convient de s’inspirer de la Convention des Nations Unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, signée par la Suisse le 19 septembre 2006 et ratifiée le 16 avril 2010. Aux termes de l’art. 17 CNUIJE, l’État doit avoir conclu par écrit un accord d’arbitrage pour que l’on puisse admettre une renonciation de sa part à se prévaloir de son immunité. Autrement dit, il doit avoir manifesté, par écrit, son consentement à l’arbitrage.

En l’espèce, il n’est pas contesté que le recourant n’a pas conclu un accord écrit avec l’intimée en vue de soumettre à l’arbitrage des contestations relatives à une transaction commerciale. Par conséquent, l’art. 17 CNUIJE ne saurait trouver application et la nomination d’un arbitre par un tribunal étatique doit être comprise comme une activité juridictionnelle relevant de l’exercice de puissance publique de l’État concerné. Il s’ensuit que le moyen pris d’une violation de l’immunité de juridiction du recourant se révèle fondé.

Partant, le Tribunal fédéral admet partiellement le recours.

Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, La voie de recours ouverte à un Etat pour faire valoir son immunité juridictionnelle en procédure arbitrale internationale, in: https://lawinside.ch/1561/