La computation des délais exprimés en mois

TF, 13.08.2024, 5A_691/2023*

Les délais exprimés en mois commencent à courir le jour même de leur évènement déclencheur. En particulier, l’art. 142 al. 2 CPC doit être interprété en ce sens que le « jour où [le délai] a commencé à courir » n’est pas déterminé par l’art. 142 al. 1 CPC, mais se réfère au jour de l’élément déclencheur. 

Faits

Dans le cadre d’un litige successoral, l’autorité de conciliation notifie l’autorisation de procéder à l’héritier demandeur le 26 janvier 2022. Ce dernier dépose sa demande à l’égard de ses frères et sœurs le 12 mai 2022. Par décision du 9 février 2023, le tribunal déclare la demande irrecevable, faute d’autorisation de procéder valable rationae temporis.

À la suite de l’appel déposé par l’héritier, l’Obergericht du Canton de Schwytz confirme la décision de première instance. L’héritier interjette alors recours au Tribunal fédéral, lequel est amené à se prononcer sur la computation des délais fixés en mois, en particulier le délai de trois mois pour déposer une demande à la suite de l’échec de la conciliation (art. 209 al. 3 CPC).

Droit

Se fondant sur la Convention européenne sur la computation des délais du 16 mai 1972 (CECD), le Tribunal cantonal a considéré que le délai devait avoir expiré en principe le 26 avril, dès lors que l’autorisation de procéder avait été notifiée le 26 janvier (art. 209 al. 3 CPC). Il a toutefois reporté l’échéance de quinze jours, prenant en compte les féries judiciaires (cf. art. 145 al. 1 let. a CPC). Il est ainsi arrivé à la conclusion que le délai avait expiré le 11 mai. La demande déposée le 12 mai était donc tardive.

À la teneur de la Convention, les délais exprimés en jours, semaines, mois ou années courent à partir du dies a quo à minuit, jusqu’au dies ad quem à minuit (art. 3 par. 1 CECD). Dès lors que le délai commence à courir à minuit du dies a quo, ce jour ne doit pas être compté, seuls les jours entièrement disponibles sont donc pris en compte. Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, le dies ad quem est le jour du dernier mois ou de la dernière année dont la date correspond à celle du dies a quo (art. 4 par. 2 CECD).

Par ailleurs, se pose la question de savoir si les États parties gardent la liberté de définir un dies a quo différent du jour de l’élément déclencheur. Bien que certains auteurs considèrent que la Convention ne définit pas si le délai commence à courir le jour de l’évènement déclencheur ou le lendemain, il faut admettre que le but d’harmonisation qu’elle poursuit impose d’interpréter celle-ci en ce sens que le dies a quo coïncide avec le jour de l’élément déclencheur du délai.

Il en découle que le raisonnement du Tribunal cantonal n’est pas critiquable en application de la Convention. En effet, le dies a quo correspond au jour de la notification, soit le 26 janvier. Le dies ad quem est le jour correspondant du dernier mois du délai (art. 4 par. 2 CECD), soit le 26 avril, auquel quinze jours sont ajoutés en tant que féries pascales (art. 145 al. 1 let. a CPC). Le délai est donc bien arrivé à échéance le 11 mai en application de la Convention.

Ensuite, l’héritier soutient qu’en application de l’art. 142 al. 2 CPC, un délai exprimé en mois échoit le jour du dernier mois correspondant au jour auquel il a commencé à courir. Ce dernier devrait être déterminé, selon l’héritier, en application de l’art. 142 al. 1 CPC. Le délai aurait ainsi commencé à courir le lendemain du jour de la communication.

L’interprétation de l’art. 142 al. 1 et 2 CPC est controversée en doctrine. En effet, la majorité des auteurs considère que les deux alinéas doivent être combinés, de façon que le jour où le délai fixé en mois commence à courir au sens de l’al. 2 devrait être déterminé en application de l’al. 1. D’autres prescrivent une interprétation isolée, de manière que l’al. 1 ne s’appliquerait qu’aux délais exprimés en jours, tandis que l’al. 2 définirait le jour de l’évènement déclencheur comme dies a quo des délais exprimés en mois.

Procédant à une interprétation approfondie de la norme, le Tribunal fédéral arrive à la conclusion que l’art. 142 al. 2 CPC doit être interprété en ce sens que le dies a quo n’est pas déterminé par l’art. 142 al. 1 CPC, mais se réfère au jour de l’évènement déclencheur du délai. En particulier, tant le droit privé (cf. art. 77 al. 1 ch. 3 CO) que la pratique prévalant en matière pénale et administrative connaissent une telle computation. De surcroît, le but de l’art. 142 CPC est d’assurer que les délais soient entièrement à disposition des intéressés. Ainsi, l’art. 142 al. 1 CPC garantit que seuls les jours entièrement disponibles, c’est-à-dire s’étendant de minuit à minuit, soient comptés. Or, un délai exprimé en mois est entièrement disponible lorsqu’il commence à courir à la date de son élément déclencheur. En le faisant courir le lendemain de ce dernier, le délai entier se voit prolongé d’un jour.

Il en découle que, même en application de l’art. 142 al. 2 CPC, la demande de l’héritier était tardive. Néanmoins, dès lors que le Tribunal fédéral clarifie pour la première fois sa jurisprudence, jusqu’alors hétérogène, sur la question de la computation des délais fixés en mois, il convient d’appliquer la jurisprudence sur les changements de pratiques en matière de conditions de recevabilité. Cela s’impose d’autant plus que le point de vue de l’héritier n’était pas manifestement erroné, du fait qu’il pouvait s’appuyer sur la jurisprudence cantonale et la doctrine majoritaire.

 Partant, le recours est admis, la décision attaquée est annulée et l’affaire est renvoyée en première instance.

Proposition de citation : Ismaël Boubrahimi, La computation des délais exprimés en mois, in: https://lawinside.ch/1486/