Le consentement à une clause d’arbitrage et la sentence incompatible avec l’ordre public matériel
Lorsqu’elle n’a pas signé de document renvoyant directement ou indirectement à une clause d’arbitrage, une athlète peut, suivant les circonstances, manifester son acceptation de la compétence du TAS par son comportement en procédure. En outre, le fait de ne pas opérer de distinction entre les jeunes athlètes et les autres athlètes en matière de sanctions antidopage n’est pas incompatible avec l’ordre public matériel.
Faits
En décembre 2021, une patineuse remporte le programme libre lors des championnats russes de patinage artistique. A l’issue de sa prestation, elle fait l’objet d’un contrôle antidopage. Elle est alors âgée de 15 ans et 8 mois.
En février 2022, l’agence russe antidopage (Russian Anti-Doping Center Agency) informe la patineuse que le contrôle révèle la présence de trimétazidine, une substance proscrite par l’agence russe. Celle-ci suspend provisoirement la patineuse sur la base du Règlement antidopage russe (All Russian Anti-Doping Rules). Il s’ensuit une première procédure devant le Chambre ad hoc du Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui conduit au refus de suspendre provisoirement la patineuse. Cette dernière peut donc participer aux Jeux Olympiques de Pékin 2022.
Après la fin des Jeux Olympiques, le laboratoire désigné pour le contrôle antidopage confirme la présence de trimétazidine dans l’échantillon prélevé en décembre 2021. Néanmoins, la Commission disciplinaire de l’agence russe antidopage renonce à annuler les résultats obtenus par la patineuse lors des Jeux Olympiques de Pékin 2022 et à la suspendre.
L’agence russe antidopage, la fédération internationale de patinage artistique et l’Agence Mondiale Antidopage appellent chacune de cette décision auprès de la Chambre arbitrale d’appel du TAS. Par sentence finale, le TAS annule la décision et reconnait la patineuse coupable d’avoir enfreint la réglementation antidopage russe. A ce titre, il prononce sa suspension pour une durée de quatre ans à compter du 25 décembre 2021 et ordonne la disqualification de tous ses résultats obtenus depuis cette date-là.
La patineuse forme un recours en matière civile auprès du Tribunal fédéral. Ce dernier doit se déterminer sur la validité de la décision attaquée.
Droit
Dans un premier moyen, fondé sur l’art. 190 al. 2 let. b LDIP, la patineuse soutient que le TAS a admis à tort sa compétence pour connaître de l’affaire. En substance, elle prétend qu’elle n’a pas consenti à la clause d’arbitrage prévue dans le Règlement antidopage russe.
Le Tribunal fédéral commence par rappeler la jurisprudence de la CourEDH selon laquelle un arbitrage imposé par la loi est en principe valable pour autant que le tribunal arbitral offre les garanties prévues par l’art. 6 par. 1 CEDH. Or, dans sa jurisprudence, la CourEDH a considéré que le TAS a les apparences d’un tribunal établi par la loi et qu’il est véritablement indépendant et impartial. Partant, la clause d’arbitrage en faveur du TAS prévue dans le Règlement antidopage russe est valable. Par ailleurs, le Tribunal fédéral relève qu’un comportement lors de la procédure peut, suivant les circonstances, suppléer à l’observation d’une prescription de forme. Ainsi, même lorsqu’il n’a pas signé de document renvoyant directement ou indirectement à une clause d’arbitrage, un athlète peut manifester son acceptation à la compétence du TAS par son comportement.
En l’espèce, le Tribunal fédéral retient que la patineuse connaissait la clause d’arbitrage puisqu’elle y a fait expressément référence lors de la procédure conduite devant la Chambre ad hoc du TAS. En particulier, la patineuse a reconnu par ses déclarations explicites la compétence du tribunal arbitral.
« Although Article 15.2 Russian ADR provides that “a decision to apply or lift a provisional suspension based on a preliminary hearing” can be appealed before CAS, there is no provision in the Russian ADR granting jurisdiction to the CAS Ad Hoc Division; therefore the CAS Appeals Division should be the competent body (…). The expedited procedure before the CAS Ad Hoc Division does not allow sufficient time to safeguard the Athlete’s due process rights; while the Athlete would have more possibilities to defend her case before the CAS Appeals Division (…) : “Had the Applicants filed their applications before the CAS Appeals Arbitration Division, as they should have, A.________ would at least then have had the right to appoint an arbitrator and would have had sufficient time to prepare her defense, including by presenting medical science based detailed expert evidence” ».
Ainsi elle a consenti à la compétence de la Chambre arbitrale d’appel du TAS pour connaître des décisions la concernant en lien avec les faits qui lui étaient reprochés. Par conséquent, le moyen considéré doit être rejeté.
Dans un second moyen, fondé sur l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, la patineuse soutient que le TAS a rendu une sentence incompatible avec l’ordre public matériel. En effet, le tribunal arbitral aurait indûment refusé de tenir compte de son jeune âge et de son statut de personne protégée au regard du Règlement antidopage russe et du Code Mondial Antidopage lors de la fixation de la sanction prononcée à son encontre. En tout état de cause, elle estime que le fait de sanctionner une violation des règles antidopage commise par un enfant de la même manière que s’il s’agissait d’un adulte méconnaît l’ordre public matériel.
Le Tribunal fédéral relève que la seule question à résoudre ici est celle de savoir si le TAS, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, a méconnu ou non l’ordre public matériel en infligeant à la patineuse une suspension d’une durée de quatre ans et en disqualifiant tous les résultats obtenus par elle depuis l’infraction commise. Une réponse positive à cette question exige que le résultat auquel la sentence attaquée a abouti, et non pas déjà les motifs qui la sous-tendent, soit incompatible avec l’ordre public.
En l’espèce, la patineuse, malgré son âge au moment des faits reprochés, était déjà expérimentée. En effet, elle avait participé à diverses compétitions internationales de patinage artistique. Or, elle n’avance aucune raison objective qui justifierait de lui réserver un traitement distinct de celui applicable aux autres sportives ni, a fortiori, n’établit que le résultat auquel a abouti le TAS serait incompatible avec l’ordre public matériel. En outre, le Tribunal fédéral relève que le fait d’infliger systématiquement des sanctions moins sévères à de jeunes d’athlètes, en raison uniquement de leur âge, pourrait se révéler contraire aux objectifs poursuivis en matière de lutte antidopage. Il s’ensuit le rejet du moyen considéré.
Pour ces raisons, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : André Lopes Vilar de Ouro, Le consentement à une clause d’arbitrage et la sentence incompatible avec l’ordre public matériel, in: https://lawinside.ch/1485/