La révocation de l’autorisation de séjour UE/AELE
En cas de licenciement immédiat durant la première année de séjour d’une personne détentrice d’une autorisation de séjour UE/AELE, c’est la durée de l’activité lucrative exercée qui est déterminante et non le fait de détenir une autorisation de séjour. Partant, l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP, lequel concerne tous les ressortissants d’une partie contractante qui travaillent effectivement moins d’une année, est applicable. L’art. 61a al. 1 LEI, en tant qu’il prévoit la fin du droit au séjour six mois après la cessation involontaire des rapports de travail lorsque ceux-ci ont duré moins de douze mois, est donc compatible avec l’ALCP.
Faits
Au bénéfice d’un contrat de travail de durée indéterminée et d’une autorisation de séjour UE/AELE valable jusqu’en janvier 2022, un ressortissant allemand arrive en Suisse le 1er janvier 2017 et débute son activité professionnelle le 3 janvier 2017.
Le 11 décembre 2017, le travailleur est licencié avec effet immédiat. Sa demande d’indemnisation auprès de la Caisse cantonale de chômage vaudoise est rejetée, la durée de cotisation minimale d’un an n’ayant pas été atteinte. Le travailleur s’oppose à cette décision. La procédure d’opposition est néanmoins suspendue jusqu’à droit connu sur la procédure introduite contre l’ancien employeur pour résiliation immédiate injustifiée des rapports de travail. Enfin, l’individu perçoit, à compter du 1er juin 2018, un revenu d’insertion mensuel.
Par décision du 1er février 2019, le Service de la population du canton de Vaud révoque l’autorisation de séjour du ressortissant allemand et prononce son renvoi de Suisse. Sans succès, l’individu recourt contre cette décision auprès du Tribunal cantonal vaudois. Le recourant demande alors au Tribunal fédéral d’annuler la décision de révocation et de renvoi avec effet ex tunc.
Le Tribunal fédéral se penche sur le point de savoir si la révocation de l’autorisation de séjour UE/AELE du recourant est conforme au droit. En particulier, le recourant estime que l’art. 61a al. 1 et 4 LEI, en tant qu’il prévoit la fin du droit au séjour en cas de chômage involontaire, n’est pas compatible avec l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP.
Droit
À titre liminaire, le Tribunal fédéral note que le recours en tant qu’il conclut à l’annulation du renvoi est irrecevable. En effet, à cet égard, seule la voie du recours constitutionnel subsidiaire serait ouverte (art. 83 let. c ch. 4 cum art. 113 LTF). Or le mémoire ne contient aucun grief relatif à la violation de droits constitutionnels, lesquels peuvent seuls être invoqués dans ce cadre (cf. art. 116 LTF).
Le recourant estime que l’art. 61a al. 1 et 4 LEI, en tant qu’il prévoit la fin du droit au séjour en cas de chômage involontaire, n’est pas compatible avec l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP. Le Tribunal fédéral n’examine toutefois ce grief qu’à l’aune de l’art. 61a al. 1 LEI – à l’exclusion de l’al. 4 – puisque le recourant a travaillé moins de douze mois avant d’être licencié avec effet immédiat.
Le Tribunal fédéral effectue alors un bref rappel des dispositions et de la jurisprudence topiques. En particulier, l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP prévoit que les ressortissants des parties contractantes ont le droit de se rendre dans une autre partie contractante ou d’y rester après la fin d’un emploi d’une durée inférieure à un an pour y chercher un emploi et y séjourner pendant un délai raisonnable, qui peut être de six mois. Selon l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP, le titre de séjour en cours de validité ne peut être retiré au travailleur salarié du seul fait qu’il n’occupe plus d’emploi, soit que l’intéressé ait été frappé d’une incapacité temporaire de travail résultant d’une maladie ou d’un accident, soit qu’il se trouve en situation de chômage involontaire. D’après l’art. 23 al. 1 OLCP, les autorisations de séjour de courte durée, de séjour et frontalières UE/AELE peuvent être révoquées ou ne pas être prolongées, si les conditions requises pour leur délivrance ne sont plus remplies.
En interprétation de ce qui précède, le Tribunal fédéral a admis qu’une personne qui se retrouve sans emploi de façon involontaire peut perdre la qualité de travailleur et voir son autorisation de séjour UE/AELE être révoquée ; considérant qu’une période de 18 mois de chômage involontaire peut aboutir à un tel résultat (cf. TF, 6.02.20, 2C_755/2019, c. 4.4.1 et TF, 10.04.14, 2C_390/2013, c. 4.3).
Depuis juillet 2018, le nouvel art. 61a LEI règle spécifiquement la question du droit de séjour du travailleur européen après la cessation involontaire des rapports de travail en Suisse et codifie la jurisprudence (cf. TF, 21.08.20, 2C_519/2020, c. 3.2.3), prévoyant en particulier que « le droit de séjour des ressortissants des États membres de l’UE ou de l’AELE titulaires d’une autorisation de séjour prend fin six mois après la cessation involontaire des rapports de travail lorsque ceux-ci cessent avant la fin des douze premiers mois de séjour. »
En l’espèce, le ressortissant européen au bénéfice d’une autorisation de séjour UE/AELE a été licencié avec effet immédiat avant la fin de la première année de son séjour, après onze mois d’activité professionnelle. Selon le Tribunal fédéral, il s’agit de définir si – dans une telle constellation – est déterminante la durée de l’activité lucrative exercée, à savoir moins d’un an, ou alors le fait de détenir une autorisation de séjour. Dans la première hypothèse, le cas relèverait de l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP avec pour conséquence que l’art. 61a al. 1 LEI serait compatible avec cette disposition qui permet uniquement de rester six mois après la fin d’un emploi de moins de douze mois pour chercher un emploi, la révocation d’autorisation de séjour étant réglée par le droit interne. Dans la seconde hypothèse, l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP serait déterminant et l’art. 61a al. 1 LEI serait en contradiction avec celui-ci, puisque la disposition conventionnelle ne permet pas de retirer un titre de séjour en cours de validité au travailleur salarié du seul fait qu’il se trouve en situation de chômage involontaire.
Le Tribunal fédéral procède alors à une interprétation de l’Accord, en particulier des art. 2 par. 1 sous-par. 2 et 6 par. 6 Annexe I ALCP, et parvient à la conclusion suivante: l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP concerne tous les ressortissants d’une partie contractante qui travaillent effectivement moins d’une année (soit tant les titulaires d’une autorisation de séjour de courte durée que les titulaires d’une autorisation de séjour UE/AELE qui perdent leur emploi involontairement durant les douze premiers mois de leur séjour en Suisse), puisque la disposition en cause mentionne « après la fin d’un emploi d’une durée inférieure à un an ». Par conséquent, c’est la durée effective de l’occupation de l’emploi qui fait foi et non la durée de validité du contrat de travail ou de l’autorisation.
L’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP est considéré comme une lex specialis par rapport à l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP, cette dernière disposition se rapportant uniquement à la situation d’une cessation de l’activité lucrative après les douze premiers mois de séjour en Suisse.
Partant, l’art. 61a al. 1 LEI, en tant qu’il prévoit que le droit au séjour des ressortissants des États membres de l’UE ou de l’AELE titulaires d’une autorisation de séjour prend fin six mois après la cessation involontaire des rapports de travail lorsque ceux-ci ont duré moins de douze mois, est compatible avec l’ALCP. En effet, le cas visé par l’art. 61a al. 1 LEI relève de l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP et non de l’art. 6 par. 6 Annexe I ALCP.
In casu, que la résiliation immédiate soit considérée comme étant justifiée ou non, les rapports de travail ont cessé involontairement avant la fin des douze premiers mois du séjour du recourant et ont duré moins de douze mois. Partant, les art. 61a al. 1 LEI et 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP sont applicables. Le recourant était en droit de rester six mois après la fin de ses rapports de travail, soit jusqu’au 11 juin 2018. Sans ressources et à la charge de l’aide sociale, l’individu ne remplit pas non plus les conditions pour obtenir une autorisation de séjour pour les personnes n’exerçant pas une activité économique (art. 24 annexe I ALCP).
Au vu de ce qui précède, la révocation de l’autorisation de séjour du recourant ne viole ni l’art. 61a al. 1 LEI ni l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP. Le recours est donc rejeté dans la mesure où il est recevable.
Note
Dans son analyse, le Tribunal fédéral note que la notion d' »après la fin d’un emploi d’une durée inférieure à un an » de l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP peut être comparée à l’art. 7 par. 3 let. c de la Directive 2004/38/CE concernant le droit de séjour des citoyens de l’UE dans un autre État membre. Dans le cadre d’une question préjudicielle, la CJUE avait retenu que le type de contrat de travail détenu par l’étranger ne conditionne pas le fait que celui-ci tombe ou non sous le coup de la disposition précitée ; seule la durée de l’activité lucrative étant pertinente (cf. CJUE, 11.04.19, C-483/17, Neculai Tarola c/ Minister for Social Protection).
De manière intéressante, le Tribunal fédéral émet en outre une réserve sous forme d’obiter dictum concernant la compatibilité de l’art. 61a al. 1 LEI avec l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP sur un point particulier. En effet, selon l’art. 61a al. 1 LEI, l’autorisation de séjour UE/AELE prend fin six mois après la cessation involontaire des rapports de travail lorsque ceux-ci cessent avant la fin des douze premiers mois de séjour. Quant à l’art. 2 par. 1 sous-par. 2 Annexe I ALCP, il indique que les ressortissants des parties contractantes ont le droit de rester au moins six mois sur le territoire d’une partie contractante après la fin d’un emploi d’une durée inférieure à un an. Cet article se réfère uniquement à la durée de l’emploi et ne précise pas que l’emploi de moins d’une année doit s’être déroulé durant la première année du séjour. Or le Tribunal fédéral note que la question de la compatibilité de l’art. 61a al. 1 LEI avec la disposition conventionnelle sur ce point peut rester ouverte. En effet, dans le cas d’espèce, les deux périodes se confondent, le recourant ayant travaillé moins de douze mois durant la première année de son séjour dans notre pays.
Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, La révocation de l’autorisation de séjour UE/AELE, in: https://lawinside.ch/1025/