Les honoraires de l’architecte en cas d’exécution défectueuse
La violation du devoir d’informer de l’architecte en faveur du mandant peut constituer une inexécution totale du mandat dès lors que l’exécution défectueuse ne revêt aucune utilité pour le mandant. Dans ce cas, l’architecte n’a droit à aucun honoraire.
Faits
Un couple prend contact avec un bureau d’architectes en vue de construire une villa pour 1,2 million. Le bureau confirme que ce projet est réalisable, en gardant néanmoins la piscine comme soupape si les coûts devaient excéder l’objectif financier. Ils concluent alors un contrat d’architecte. Néanmoins, par la suite, le bureau indique aux époux qu’il s’est montré trop optimiste et que la villa doit être devisée à CHF 1’950’000 sans la piscine.
Après quelques échanges, le couple suspend le projet avec effet immédiat en raison du prix bien trop élevé. Le bureau d’architectes leur facture néanmoins les études du projet (honoraires – réduits – d’environ CHF 60’000). Le couple engage finalement un autre architecte qui propose une villa avec piscine pour CHF 1’663’108.
Le couple n’ayant pas payé les honoraires du bureau, celui-ci saisit le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers afin que le couple soit condamné à payer les honoraires. Le Tribunal civil admet la demande du bureau et le Tribunal cantonal rejette l’appel du couple.
Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral se penche sur le droit aux honoraires du mandataire lors d’une violation de ses obligations contractuelles.
Droit
Le contrat d’architecte global constitue un contrat mixte, soumis aux règles du mandat ou à celles du contrat d’entreprise selon les prestations de l’architecte en cause. Sa responsabilité peut ainsi découler ainsi du contrat d’entreprise (art. 363 ss CO) ou du contrat de mandat (art. 398 CO) selon que l’architecte garantisse ou non un résultat. Dans tous les cas, l’art. 404 CO (résiliation du mandat) trouve application.
En vertu de l’art. 398 CO, l’architecte doit en particulier informer et conseiller son mandant, notamment sur les coûts du projet envisagé.
Les honoraires du mandataire sont dus en vertu de l’art. 394 al. 3 CO. Ils sont fixés en première ligne par la convention des parties. Si l’architecte viole ses obligations contractuelles, il peut voir ses honoraires réduits ou même supprimés. La jurisprudence distingue l’exécution défectueuse, qui permet une réduction des honoraires, de l’inexécution totale, en particulier lorsque les prestations se révèlent inutiles ou inutilisables, laquelle éteint le droit à la rémunération (cf. 5A_522/2014* résumé in LawInside.ch/179/).
En l’espèce, le bureau d’architectes a reconnu n’avoir droit qu’à des honoraires réduits, ce qui a été confirmé par les instances cantonales. Le Tribunal cantonal a en particulier considéré que le devis n’avait pas été établi avec toute la diligence requise et que les plans étaient entachés de défaut.
Pour sa part, le Tribunal fédéral considère que la violation ne consiste pas tant dans l’établissement défectueux des plans, mais bel et bien dans l’avancée du projet sans évaluer correctement (voire même sans évaluer du tout) le coût de chaque phase de prestation. Le bureau n’a ainsi pas informé le couple, de manière adéquate et en temps voulu, du coût du projet et de son évolution selon les phases en jeu. Cette violation a engendré un projet de villa avec des coûts très largement supérieurs aux moyens financiers du couple. Il s’agit ainsi d’une exécution défectueuse qui ne revêt aucune utilité pour le couple. Le bureau ne peut ainsi prétendre avoir droit à des honoraires.
Partant, le Tribunal fédéral admet le recours et rejette la demande du bureau d’architectes.
Note
Pour rappel, le devoir d’information (Aufklärungspflicht) oblige le mandataire à informer le mandant de tout ce qui est important, selon le principe de la bonne foi, pour celui-ci en relation avec le mandat (ATF 115 II 62 c. 3a ; CR CO I-Werro, art. 398 CO N 17). Ce devoir permet au mandant de connaître toutes les circonstances qui peuvent influencer la relation contractuelle, en particulier s’il existe des faits dont pourrait découler une diminution, voire une perte, de la relation de confiance (BK OR-Fellmann, art. 398 N 148 ; Müller, Contrats de droit suisse 2012, N 1986).
Cet arrêt est intéressant car il souligne que la violation du devoir d’informer n’a pas uniquement comme conséquence un droit à la réparation du dommage qui en découlerait, mais que cette violation peut avoir comme effet une extinction totale du droit aux honoraires, même pour les services accomplis par hypothèse dans les règles de l’art.
Proposition de citation : Célian Hirsch, Les honoraires de l’architecte en cas d’exécution défectueuse, in: https://lawinside.ch/1007/