L’invalidation de l’initiative populaire « Pour des têtes nues à l’école » (VS)
L’interprétation d’une initiative à des fins de contrôle de sa validité matérielle doit prendre en compte la volonté des auteurs de l’initiative lorsque celle-ci délimite le cadre de l’interprétation du texte et du sens que les signataires ont pu lui attribuer.
En l’espèce, en dépit du texte neutre de l’initiative, il ressort de la campagne d’affichage et d’un communiqué de presse que l’initiative visait essentiellement à interdire le port du voile à l’école. Pour cette raison, elle est contraire à la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.).
Faits
En mars 2016, l’initiative populaire conçue en termes généraux « Pour des têtes nues dans les écoles publiques valaisannes » aboutit. Elle demande « l’élaboration d’une loi imposant une tenue tête nue dans les écoles publiques valaisannes ».
Dans leurs rapports, la Commission de justice et le Conseil d’Etat relèvent que l’initiative pose un problème au regard de la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.), mais proposent de la déclarer recevable. Le Grand Conseil déclare néanmoins l’initiative irrecevable et publie cette décision, sans motivation, dans le Bulletin officiel du canton du Valais.
Saisi d’un recours contre cette décision, le Tribunal fédéral doit d’une part déterminer si le Grand Conseil a suffisamment motivé sa décision, et, d’autre part, s’il a invalidé à raison l’initiative, ce qui suppose d’examiner si celle-ci respecte la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.).
Droit
Le Tribunal fédéral commence par relever que la décision, telle que publiée dans le bulletin officiel, n’est pas motivée. Néanmoins, lorsqu’il en va de décisions prononcées par une assemblée législative, la jurisprudence admet que la motivation soit fournie par la réponse au recours présentée par l’autorité intimée. Cas échéant, les recourants disposent ensuite d’un délai supplémentaire pour présenter un mémoire complétif. Tel a été le cas en l’espèce. Au demeurant, les recourants pouvaient supposer que le Grand Conseil s’était laissé guider par les réserves exprimées par la Commission de justice et le Conseil d’Etat à propos de la conformité de l’initiative à la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.).
Le Tribunal fédéral rappelle ensuite que l’interprétation d’une initiative à des fins de contrôle de validité prend certes pour point de départ le texte de l’initiative, mais qu’une référence à la volonté des auteurs de celle-ci n’est pas exclue. « La volonté des auteurs doit être prise en compte, à tout le moins, dans la mesure où elle délimite le cadre de l’interprétation de leur texte et du sens que les signataires ont pu raisonnablement lui attribuer ». En l’espèce, même si l’initiative est formulée de manière générale, le Tribunal fédéral constate que les affiches accompagnant la récolte des signatures faisaient apparaître une femme voilée avec le slogan « Voile à l’école NON » et que le communiqué de presse annonçant le dépôt de l’initiative se référait exclusivement à la question du port du voile. Le Tribunal en déduit que la majorité des signataires de l’initiative ont apporté leur soutien à celle-ci dans l’optique d’interdire le voile à l’école. L’initiative vise ainsi en réalité essentiellement le port du voile.
Or, selon la jurisprudence, le port du voile constitue l’expression d’une conviction religieuse protégée par la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.). Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a considéré qu’interdire de manière générale les couvre-chefs aux élèves ne peut être justifié ni par le devoir de neutralité de l’Etat, ni par l’obligation des élèves de se comporter de manière respectueuse, ni par la liberté religieuse des autres élèves, ni enfin par la mission éducative de l’école. Il a également retenu que le port du voile ne porte pas nécessairement atteinte au principe d’égalité des sexes (art. 8 al. 3 Cst.).
Par conséquent, une disposition ayant pour but ou pour effet d’empêcher le port du voile par des élèves dans les écoles publiques constitue une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.). Dès lors que l’initiative vise précisément à introduire une telle disposition, elle ne laisse, en dépit de sa forme rédigée en termes généraux, aucune marge d’interprétation conforme au droit supérieur. Par conséquent, le Tribunal fédéral estime que le Grand Conseil l’a déclarée à raison irrecevable. Partant, il rejette le recours.
Proposition de citation : Camilla Jacquemoud, L’invalidation de l’initiative populaire « Pour des têtes nues à l’école » (VS), in: https://lawinside.ch/677/
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