La réduction du loyer suite à un défaut (art. 259d CO)

ATF 142 III 557 | TF, 11.08.2016, 4A_647/2015, 4A_649/2015*

Faits

Deux locataires louent un appartement depuis septembre 2010. En février 2011, ils se plaignent auprès du bailleur du cumul de poussières blanches dans certaines pièces de l’appartement. La société gérante de l’immeuble invite le propriétaire à prendre des mesures. En mars 2011, les locataires demandent au propriétaire de régler ce problème dans un certain délai, à défaut de quoi ils résilieraient le bail avec effet immédiat ; ils attirent par ailleurs l’attention du bailleur sur les éventuels dangers physiques qui peuvent découler d’une telle situation. Suite à l’inaction du bailleur à l’expiration du délai, les locataires résilient le bail avec effet immédiat.

Par la suite, les locataires ouvrent action contre le bailleur en demandant une réduction du loyer de 100% pour les mois de février, mars et avril 2011 ainsi que le paiement de CHF 66’598.79 à titre de dommages-intérêts. Le bailleur actionne les locataires à son tour et demande le paiement des loyers jusqu’à l’expiration du délai de résiliation ordinaire (environ CHF 15’000). Le tribunal de première instance admet intégralement la demande des locataires concernant la réduction des loyers et l’admet partiellement en rapport avec les dommages-intérêts. Sur appel du bailleur, l’Obergericht zurichois nie aux locataires le droit à la réduction des loyers pour les mois en question tout en rejetant les autres griefs. Les locataires recourent au Tribunal fédéral, qui doit en particulier déterminer si la réduction du loyer peut être demandée après la fin du contrat de bail.

Droit

Le recours des locataires porte sur la question de savoir si la réduction des loyers pouvait être requise après la fin du contrat. Selon l’art. 259d CO, si le défaut entrave ou restreint l’usage pour lequel la chose a été louée, le locataire peut exiger du bailleur une réduction proportionnelle du loyer à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut et jusqu’à l’élimination de ce dernier. Dans un arrêt non publié de 2001 (TF, 15.05.2001, 4C.66/2001), le Tribunal fédéral avait retenu que la déclaration de diminution du loyer devait être faite avant la fin du contrat. Dans le présent arrêt, le Tribunal fédéral modifie sa jurisprudence.

Le Tribunal fédéral commence par passer en revue les avis doctrinaux sur la question ; pour l’essentiel, certains auteurs considèrent que le droit de demander la réduction des loyers est un droit formateur qui ne devrait donc pouvoir être exercé que pendant la durée du contrat. D’autres, en revanche, y voient plutôt une diminution légale du loyer, qui peut prendre effet même après la fin du bail. Le Tribunal fédéral laisse indécise la question de la nature juridique du droit à la réduction des loyers que la loi confère au locataire, dès lors qu’elle n’est pas déterminante pour trancher le présent litige. S’écartant des avis doctrinaux, le Tribunal fédéral constate que la fin du contrat n’empêche pas l’exercice ultérieur d’un droit formateur. Dès lors, même à qualifier le droit à la diminution du loyer de droit formateur, son exercice après la fin du contrat ne serait pas tardif.

Il ressort du texte légal que le locataire doit « exiger » du bailleur la réduction du loyer, sans qu’il soit nécessaire qu’un tribunal intervienne.  Le Tribunal fédéral constate que, contrairement à d’autres droits dont le locataire dispose en cas de défaut de la chose louée, tels que le droit à la remise en état ou à la résiliation (art. 259b CO), la loi ne dit rien concernant le moment auquel le droit à la  réduction du loyer doit être exercé. Les travaux préparatoires de la loi ne permettent pas non plus de résoudre la question. L’un des buts de la réduction du loyer est de rééquilibrer la relation contractuelle suite à un défaut de la chose louée. La réduction du loyer ne vise pas à exercer une quelconque pression sur le bailleur pour qu’il répare le défaut. Dès lors, la réduction du loyer s’oriente vers le passé, et non pas vers le futur, de sorte qu’on doit l’admettre avec effet rétroactif, y compris lorsqu’elle est exigée après la fin du contrat. Les délais de prescription ordinaires s’appliquent à l’exercice de ce droit.

Cette solution implique toutefois que le bailleur connaisse tant le défaut que la gêne que ce dernier cause au locataire. Il ne serait ainsi pas possible de demander (rétroactivement) la réduction de loyers relatifs à une période où le bailleur ignorait ces faits. Une connaissance des faits peut notamment découler de la demande du locataire de réduction du loyer à la suite d’un défaut.

En l’espèce, les locataires ont demandé une réduction de 100% du loyer après la fin du contrat. Dans la mesure où le bailleur connaissait le défaut ainsi que la gêne occasionnée aux locataires, la réduction des loyers peut être requise rétroactivement. Ainsi, le recours est admis.

Proposition de citation : Simone Schürch, La réduction du loyer suite à un défaut (art. 259d CO), in: https://lawinside.ch/306/