La FINMA peut faire du naming and shaming « indirect »

TF, 29.08.2024, 2C_682/2023* 

La FINMA peut publier un communiqué de presse relatif à la clôture d’une procédure d’enforcement contre un assujetti nommément désigné, en particulier afin de montrer au public qu’elle n’est pas inactive face aux violations du droit des marchés financiers.

Faits

La FINMA clôt une procédure d’enforcement à l’encontre d’une banque qui a gravement violé les prescriptions relatives au blanchiment d’argent. Quelques semaines après, le régulateur informe la banque de son intention de publier six jours plus tard un communiqué de presse portant sur cette procédure. Le projet de communiqué nomme expressément la banque et résume la décision d’enforcement. Sur opposition de la banque, la FINMA confirme formellement sa décision. Le Tribunal administratif fédéral interdit provisoirement à la FINMA toute publication. Il rejette ensuite le recours de la banque, retenant un intérêt public prépondérant par rapport à l’intérêt privé de l’établissement financier (B-4779/2023).

Dans son recours au Tribunal fédéral, la banque soutient que si la FINMA n’a pas ordonné de publication dans sa décision de clôture (art. 34 LFINMA), elle ne peut plus l’ordonner ultérieurement sur la base de l’art. 22 al. 2 LFINMA (information du public). Le Tribunal fédéral est ainsi amené, dans un premier temps, à préciser la relation entre ces deux dispositions et, dans un second temps, à examiner la licéité in casu du projet de publication litigieux.

Droit

L’art. 34 LFINMA (publication d’une décision en matière de surveillance) prévoit qu’en cas de violation grave du droit de la surveillance, la FINMA peut publier sa décision finale, y compris les données personnelles des assujettis concernés (al. 1). La publication doit être ordonnée dans la décision elle-même (al. 2).  Ce « naming and shaming » vise à provoquer un effet de prévention spéciale et générale auprès des personnes exerçant une profession déterminée, mais non auprès du grand public.

L’art. 22 al. 2 let. c LFINMA (information du public) dispose que la FINMA ne donne aucune information sur des procédures particulières, à moins que la communication d’une information ne réponde à une nécessité dictée par le droit de la surveillance, notamment si la communication a pour but de garantir la réputation de la place financière suisse.

Le Tribunal fédéral souligne qu’il ne faut pas confondre ces deux dispositions (art. 22 et art. 34 LFINMA). Il s’agit de deux instruments distincts, soumis à leurs propres conditions, applicables de manière cumulative et avec des fonctions différentes. En outre, le Conseil fédéral envisage de proposer une révision de l’art. 22 LFINMA en vue d’obliger – et non plus seulement d’autoriser – la FINMA à informer en principe le public sur toutes les procédures d’enforcement clôturées (cf. cdbf.ch/1343/). Enfin, la doctrine, à une exception près – à savoir le soussigné (cdbf.ch/1281) –, ne critique pas la pratique d’information du public par la FINMA. Partant, la FINMA peut communiquer au public, au sens de l’art. 22 LFINMA, la clôture d’une procédure d’enforcement en nommant la personne concernée, même si elle n’a pas ordonné la publication de la décision selon l’art. 34 LFINMA.

Cela étant, le Tribunal fédéral admet que les effets de ces deux dispositions peuvent se recouper, en particulier que l’art. 22 LFINMA peut avoir un effet indirect de naming et shaming. Partant, la décision de la FINMA de communiquer en application de l’art. 22 al. 2 LFINMA doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle judiciaire effectif (art. 29a Cst.). La FINMA doit informer suffisamment tôt les personnes concernées de son intention de communiquer sur la procédure afin qu’elles puissent demander une décision conformément à l’art. 25a PA. En outre, la décision formelle de la FINMA de communiquer ne peut pas non plus être immédiatement exécutoire, afin que les personnes concernées puissent disposer d’un laps de temps approprié pour saisir l’autorité de recours.

Dans un second temps, le Tribunal fédéral examine si la publication du communiqué de presse litigieux répond à une nécessité dictée par le droit de surveillance et, en particulier, si elle permet effectivement de garantir la réputation de la place financière suisse au sens de l’art. 22 al. 2 let. c LFINMA. À nouveau, le Tribunal fédéral rappelle notamment que le Conseil fédéral a souligné qu’une information plus généralisée du public sur les procédures menées par la FINMA lui paraissait souhaitable afin d’améliorer l’image du marché financier suisse. Cela étant, à l’heure actuelle, l’art. 22 al. 2 LFINMA impose une approche restrictive vue les craintes parlementaires qu’une information trop large de la FINMA conduise à jeter un certain discrédit sur la place financière suisse.

En l’espèce, la procédure concernée par le projet de communiqué de presse a fait l’objet d’un grand retentissement médiatique. Les évènements qui la sous-tendent ont occupé les autorités états-uniennes. La communication permettra ainsi de rappeler au public que la FINMA n’est pas restée passive face aux manquements soupçonnés de la banque, ce qui est en soi propre à améliorer la réputation de la place financière suisse au sens de l’art. 22 al. 2 let. c LFINMA. Le Tribunal fédéral considère aussi que la communication est proportionnée. En effet, elle résume très brièvement une décision de 119 pages et ne nomme que la banque. Elle est également apte à atteindre son but, à savoir démontrer que la FINMA n’est pas inactive. Enfin, même si la communication risque d’attirer à nouveau l’attention des médias, elle ne porte pas une atteinte exagérée aux droits de la personnalité de la banque. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.

Note

Cet arrêt, destiné à la publication, est bienvenu sous l’angle procédural. Il permet de préciser les garanties que la FINMA doit respecter avant de publier un communiqué de presse nominatif. L’arrêt est peut-être plus discutable sur l’aspect de la proportionnalité : une information au public, qui nomme l’assujetti, est-elle vraiment apte et nécessaire pour améliorer la réputation de la place financière suisse ? Il serait souhaitable que nos autorités examinent précisément la proportionnalité de l’information au public, avant de suivre simplement la tendance internationale (cf. cdbf.ch/1281).

Ce commentaire est repris de Célian Hirsch,  Naming and shaming  « indirect » : Le TF confirme la communication de la FINMA (04  octobre  2024) <https://cdbf.ch/1374/>.

Proposition de citation : Célian Hirsch, La FINMA peut faire du naming and shaming « indirect », in: https://lawinside.ch/1510/