La durée des filières de maturité gymnasiale de quatre ans au moins

TF, 23.07.24, 2C_456/2023*

Le nouveau règlement sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale adopté par la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), prévoyant une durée des filières de maturité gymnasiale de quatre ans au moins, repose sur une délégation législative suffisante et en respecte le cadre.

Faits

En 2023, la Conférence des directrices et directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) adopte un nouveau règlement sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale (RRM 2023), avec une entrée en vigueur prévue le 1er août 2024. Le règlement, qui remplace un ancien règlement du même nom, prévoit nouvellement une durée des filières pour obtenir un certificat de maturité gymnasiale de quatre ans au moins (art. 7 al. 1). Une période de transition de quatorze ans dès l’entrée en vigueur du règlement est prévue pour les cantons comme Vaud, Jura, Neuchâtel et la partie francophone de Berne qui disposent actuellement d’un cursus de trois ans.

Dans la foulée, le Conseil fédéral adopte une nouvelle ordonnance sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale à la teneur identique au règlement précité, dont l’entrée en vigueur est également prévue pour le 1er août 2024.

Une association vaudoise et des particuliers recourent auprès du Tribunal fédéral contre le nouveau règlement, subsidiairement contre la disposition prévoyant la nouvelle durée minimale. Le Tribunal fédéral doit se prononcer sur la recevabilité du recours ainsi que sur la légalité du règlement nouvellement adopté.

Droit

Sur le plan procédural, le Tribunal fédéral commence par relever que le règlement entrepris est un acte normatif adopté par un organe intercantonal au sens de l’art. 48 al. 4 Cst. Il rappelle qu’il est admis que ce type d’actes s’assimilent à des « actes normatifs cantonaux » (art. 82 let. b LTF) susceptibles de recours auprès du Tribunal fédéral. La jurisprudence exige cependant que l’acte attaqué « crée de manière immédiate des droits et des obligations pour les particuliers ou qu’il contienne plus généralement des dispositions renfermant des règles de droit directement applicables » (cf. not. ATF 138 I 435, c. 1.1 ; ATF 137 I 31, c. 1.3 ; TF, 6.11.08, 2C_561/2007, 1.1).

Le cas échéant, le recours est directement recevable devant le Tribunal fédéral, sauf s’il existe une voie de recours préalable prévue par le droit intercantonal (art. 87 al. 1 LTF). En l’occurrence, le règlement litigieux contient, en lien avec l’accord intercantonal sur la reconnaissance des diplômes de fin d’études, des normes suffisamment claires et précises permettant au justiciable d’obtenir la reconnaissance de son diplôme par d’autres cantons. À l’inverse, ces derniers peuvent refuser une telle reconnaissance et ainsi l’accès à leurs hautes écoles (cf. art. 2 al. 2 du règlement). Le Tribunal fédéral confirme donc le caractère directement applicable du règlement, qui peut donc être considéré comme un acte normatif cantonal au sens de l’art. 82 let. b LTF.

Le Tribunal fédéral se penche ensuite sur les autres conditions de recevabilité. En ce qui concerne la qualité pour recourir contre un acte normatif cantonal, celle-ci appartient à toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l’acte attaqué ou pourront l’être un jour. Une simple atteinte virtuelle suffit, s’il existe un minimum de vraisemblance que les dispositions contestées puissent un jour s’appliquer au recourant. Un intérêt digne de protection de fait est en outre suffisant (cf. not. ATF 147 I 136, c. 1.3 ; ATF 145 I 26, c. 1.2).

Le Tribunal fédéral rejette la qualité pour recourir de l’association et de l’un des particuliers recourants, non touchés personnellement par la nouvelle réglementation. En revanche, le Tribunal fédéral admet un intérêt digne de protection de l’un des recourants âgé de quatre ans et agissant par l’intermédiaire de ses parents, puisque le nouveau règlement pourrait avoir pour conséquence de retarder son entrée dans la vie active. Enfin, le Tribunal fédéral laisse la question indécise de savoir si la prolongation potentielle de l’obligation d’entretien (art. 277 al. 2 CC) des autres recourants relative à des enfants existants ou futurs pourrait suffire à leur conférer la qualité pour recourir.

Le Tribunal fédéral examine ensuite la conformité du règlement avec l’art. 48 Cst. Cette disposition reconnaît la faculté des cantons de conclure des conventions entre eux et de créer des organisations et des institutions communes (al. 1). Par une convention, les cantons peuvent en outre habiliter un organe intercantonal à édicter pour sa mise en œuvre des dispositions contenant des règles de droit (al. 4), à condition que cette convention soit adoptée selon la procédure applicable aux lois (let. a) et fixe les grandes lignes de ces dispositions (let. b). Le Tribunal fédéral relève qu’il n’a encore jamais eu l’occasion de clarifier la façon dont il faudrait appliquer ou interpréter les conditions à la délégation législative au niveau intercantonal selon l’art. 48 al. 4 Cst., adopté en 2004 pour mettre fin à la controverse doctrinale en la matière. Dans certains cas, il avait uniquement relevé que les conditions étaient a priori respectées (cf. ATF 148 I 104, c. 5.3.1 ; TF, 29.03.16, 2C_1149/2015, c. 4.3). Alors que la jurisprudence avait auparavant retenu que des délégations législatives indéterminées et larges pouvaient être utiles (cf. not. ATF 103 Ia 369, c. 7d/ee), le Tribunal fédéral note que la doctrine est divisée en la matière. Il relève que le peuple et les cantons ont depuis 2004 exprimé leur souhait de renforcer le fédéralisme coopératif à plusieurs reprises, notamment par le biais de l’adoption de l’actuel art. 61a Cst. relatif à l’espace suisse de formation. L’al. 2 de cette disposition, prévoyant que la Confédération et les cantons coordonnent leurs efforts et assurent leur coopération par des organes communs et en prenant d’autres mesures, fournirait ainsi une « assise constitutionnelle implicite » à la CDIP.

In casu, le règlement est fondé sur une convention intercantonale adoptée par tous les cantons en 1993 déjà et soumise au référendum facultatif : l’accord intercantonal sur la reconnaissance des diplômes de fin d’études. Cette convention confère à la CDIP la tâche d’adopter des règlements de reconnaissance (art. 5 al. 1 et 6 al. 3), en cherchant des solutions communes avec la Confédération dans certains domaines comme la reconnaissance des certificats de maturité (art. 3 al. 1 et 2). Les art. 6 al. 1 et 7 contiennent en outre des prescriptions sur les exigences minimales des diplômes ainsi que, respectivement, sur la nature et le contenu des conditions de reconnaissance pouvant être prévues. La CDIP dispose ainsi clairement du droit de régler la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale selon l’accord précité, qui prévoit les grandes lignes des règlements à adopter à cet effet (cf. ég. ATF 148 I 104, c. 5.3.1). La délégation législative sur laquelle repose le nouveau règlement respecte ainsi les conditions de l’art. 48 al. 4 Cst., même interprétées de manière restrictive.

Le Tribunal fédéral constate ensuite que le nouveau règlement respecte le cadre de la délégation législative opérée par l’accord précité, en particulier en ce qui concerne la nouvelle durée minimale de formation. Cette exigence correspond en effet à un certain standard en Suisse. Le Tribunal fédéral note que le règlement aurait certes pour conséquence de contraindre certains cantons à modifier leur modèle de formation gymnasiale actuel, mais que ceux-ci disposent d’une certaine autonomie en la matière : ils pourraient réorganiser le cursus sans devoir nécessairement prolonger la durée totale de la scolarité obligatoire et postobligatoire. Si le législateur cantonal le souhaite, il sera donc encore possible d’obtenir une maturité après quatorze années d’école, ce qui n’induit ainsi pas de changement fondamental.

Enfin, le Tribunal fédéral rejette toute violation du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) sous l’angle de l’arbitraire, soulignant que le nouveau règlement vise un intérêt public d’amélioration de la qualité de la formation en Suisse. De la même manière, il balaye le grief des recourants selon lequel le règlement serait le fruit d’une pression exercée de manière anticonstitutionnelle par le Conseil fédéral.

Partant, le Tribunal fédéral déclare le recours irrecevable, respectivement le rejette dans la mesure où il est recevable concernant une partie des recourants.

Proposition de citation : Marie-Hélène Peter-Spiess, La durée des filières de maturité gymnasiale de quatre ans au moins, in: https://lawinside.ch/1496/