La condamnation pénale d’un politicien pour discrimination et incitation à la haine (art. 261bis CP)
En utilisant les termes «hommes d’origine africaine» et «réfugiés africains», le recourant a désigné à la fois une ethnie et une race au sens de l’art. 261bis CP.
Faits
En marges de la votation sur le mariage pour tous, un politicien publie un message sur son profil Facebook, avant de le supprimer le lendemain. En substance il y affirme que notre culture est condamnée si nous permettons que, dans un avenir proche, « des réfugiés africains (en majorité des hommes) puissent eux aussi adopter des petites filles » dans le but d’accomplir avec elles des actes sexuels.
Lorsqu’il s’explique sur cette publication par le biais d’un deuxième message sur son profil Facebook, il écrit que les plus jeunes filles sont souvent harcelées sexuellement par des « hommes d’origine africaine ». Dans un troisième message publié sur son profil Facebook, il renchérit en écrivant que la votation sur le mariage pour tous est une étape vers d’autres exigences concernant les adoptions d’enfants par des « couples contre-nature ».
Le Bezirksgericht de Zofingen condamne le politicien à une peine pécuniaire avec sursis pour violation de l’art. 261bis ch. 4 CP. L’Obergericht du canton d’Argovie confirme cette condamnation. Par un recours en matière pénale, le concerné saisit le Tribunal fédéral, qui doit examiner si les publications litigieuses tombent sous le coup de l’art. 261bis ch. 4 CP.
Droit
Aux termes de l’art. 261bis ch. 4 CP, première partie de la phrase, quiconque publiquement, par la parole, l’écriture, l’image, le geste, par des voies de fait ou de toute autre manière, abaisse ou discrimine d’une façon qui porte atteinte à la dignité humaine une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse ou de leur orientation sexuelle, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
Le recourant fait valoir en particulier que l’élément constitutif de l’ethnie ou de la race n’est pas rempli en ce qui concerne le premier et le deuxième message. S’agissant du troisième, il argue que l’élément constitutif de l’abaissement n’est pas donné.
Selon la jurisprudence, la disposition pénale en question a notamment pour but de protéger la dignité et l’égalité innées de tous les êtres humains. À la lumière de cet objectif, apparaissent comme abaissants ou discriminants au sens de l’art. 261bis ch. 4 CP, première partie de la phrase, tous les comportements par lesquels l’égalité entre êtres humains ou l’égalité des droits entre êtres humains est niée, ou du moins remise en question, pour les membres d’un groupe en raison de leur race, ethnie, religion ou orientation sexuelle. La réalisation de l’infraction suppose l’intention, le dol éventuel étant suffisant. Une ethnie au sens de l’art. 261bis CP est un segment de la population qui se considère lui-même comme un groupe délimité et qui est compris comme un groupe par le reste de la population. Cette notion d’ethnie englobe également une majorité d’ethnies regroupées sous un terme générique.
En l’espèce, en utilisant les termes « hommes d’origine africaine » et « réfugiés africains », le recourant désignait bien une ethnie. S’alignant avec l’Obergericht, et en prenant en considération le contexte des publications, le Tribunal fédéral estime que le destinataire moyen des messages pouvait comprendre les termes employés par le recourant comme une catégorie générique englobant toutes les ethnies présentes en Afrique.
Il n’est pas pertinent que le destinataire moyen puisse faire la distinction entre les différentes ethnies ou qu’il les connaisse toutes. En effet, l’utilisation d’un terme générique sert ici précisément à simplifier la complexité inhérente à la pluralité des ethnies couvertes. Par ailleurs, le Tribunal fédéral souligne encore que les termes choisis suscitent, chez le destinataire moyen, une association avec la couleur de la peau, qui constitue l’une des caractéristiques distinguant la « race » au sens de l’art. 261bis CP. À travers les deux premières publications litigieuses, le recourant a donc désigné tant une ethnie qu’une race au sens de l’art. 261bis CP.
S’agissant de la troisième publication, par laquelle le recourant se référait aux « couples contre-nature », le Tribunal fédéral considère, comme l’Obergericht, que le recourant a porté atteinte à la dignité humaine des personnes homosexuelles, véhiculant qu’elles seraient des êtres humains de seconde classe.
Par ailleurs, le fait que les publications aient eu lieu dans le contexte d’un débat politique n’est, en l’espèce, d’aucun secours au recourant. En particulier, il n’a pas apporté une contribution matérielle au débat politique ni n’a dénoncé de dysfonctionnement. La liberté d’expression (art. 16 Cst., art. 10 CEDH) ne s’oppose pas à la condamnation du recourant.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Camille de Salis, La condamnation pénale d’un politicien pour discrimination et incitation à la haine (art. 261bis CP), in: https://lawinside.ch/1452/