Propos négationnistes de Dieudonné à Nyon: Condamnation confirmée

ATF 149 IV 170 | TF, 16.03.2023, 6B_777/2022*

En interprétant lors d’un spectacle le rôle du passager d’un avion qui, croyant l’avion proche de s’écraser, s’exclame « J’emmerde tout le monde, les chambres à gaz n’ont jamais existé », l’humoriste Dieudonné s’est rendu coupable de discrimination raciale. Le droit à la liberté d’expression (art. 10 CEDH) ne protège pas des propos qui, sous le couvert de la satire, visent à minimiser les crimes nazis et tourner en dérision la souffrance des victimes de l’Holocauste.

Faits

Lors de spectacles donnés à Nyon et Genève en 2019, l’humoriste Dieudonné interprète notamment le rôle du passager d’un avion qui, croyant l’avion proche de s’écraser, s’exclame « J’emmerde tout le monde, les chambres à gaz n’ont jamais existé« . L’avion se posant finalement sans dommage à la fin du sketch, il fait tenir les propos suivants au même personnage: « On a atterri là? Il y a une boîte noire là-dessus? Je crois que je suis mort« . Il tient ensuite publiquement des propos désobligeants à l’encontre du président d’une association juive, le traitant notamment de « négrier juif« .

Le Tribunal de police genevois condamne Dieudonné pour discrimination raciale (art. 261bis al. 4 CP), injure (art. 173 ch. 1 CP) et diffamation (art. 177 al. 1 CP). La Cour de justice genevoise confirme cette condamnation.

Sur recours de Dieudonné, le Tribunal fédéral est notamment appelé à déterminer si l’humoriste s’est rendu coupable de discrimination raciale en tenant les propos cités plus haut lors du « sketch de l’avion », respectivement si la liberté d’expression (art. 10 CEDH) s’oppose à sa condamnation.

Droit

Selon l’art. 261bis al. 4 CP, se rend notamment coupable de discrimination raciale celui qui, en raison de l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse d’un groupe de personne nie, minimise grossièrement ou cherche à justifier un génocide ou d’autres crimes contre l’humanité. Nier l’Holocauste, respectivement mettre en doute la réalité de certains crimes notoires du régime nazi tels que le recours aux chambres à gaz comme l’a fait Dieudonné lors de son spectacle, réalise objectivement l’état de fait de discrimination raciale.

Subjectivement, l’infraction de discrimination raciale présuppose que l’auteur soit motivé par la haine ou le mépris d’un groupe de personnes en raison de leur race, leur ethnie ou leur religion. Le recourant fait valoir que les propos litigieux relevaient de la satire et seraient dès lors protégés par sa liberté d’expression (art. 10 CEDH) en tant qu’artiste. La CourEDH exige certes l’exercice d’une retenue particulière quant aux ingérences dans le droit d’un artiste à s’exprimer librement, y compris d’une manière destinée à choquer délibérément l’opinion publique. Cela étant, la CourEDH – dans un arrêt Dieudonné M’Bala M’Bala c. France du 20.10.2015 se rapportant précisément à un spectacle du recourant – avait retenu que l’art. 10 CEDH ne protège pas un artiste qui, sous le prétexte de l’humour, remettait en cause la réalité de l’Holocauste.

En l’espèce, il sied de souligner que le recourant a été condamné à plusieurs reprises en France et en Belgique pour avoir tenu des propos négationnistes. Il est connu pour ses diatribes publiques teintées d’antisémitisme. S’agissant du « sketch de l’avion » en particulier, on voit mal quel ressort humoristique sous-tendrait l’exclamation selon laquelle les chambres à gaz n’auraient pas existé. Dans ces circonstances, l’instance précédente a retenu à bon droit que Dieudonné était motivé par la haine ou le mépris du peuple juif et pouvait être condamné sans ingérence indue dans sa liberté d’expression.

Le Tribunal fédéral confirme au demeurant la condamnation de l’humoriste pour injure (art. 173 ch. 1 CP) et diffamation (art. 177 al. 1 CP) à l’encontre du président de l’association juive. Partant, il rejette le recours.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, Propos négationnistes de Dieudonné à Nyon: Condamnation confirmée, in: https://lawinside.ch/1363/