La prescription de la responsabilité pénale de l’entreprise (art. 102 CP)

ATF 146 IV 68TF, 12.12.2019, 6B_31/2019*

L’art. 102 CP constitue une norme d’imputation et non une infraction sui generis. Le délai de prescription ne correspond ainsi pas à celui des contraventions (art. 109 CP) mais se détermine selon l’infraction de base.

Faits

Le Ministère public du canton d’Argovie classe une procédure pénale ouverte à l’encontre d’une banque pour blanchiment d’argent (art. 305bis cum art. 102 al. 2 CP) en raison de la survenance de la prescription (délai de trois ans) (art. 109 cum art. 319 al. 1 let. d CPP).

A la suite de l’admission du recours des parties plaignantes par l’Obergericht, le Ministère public saisit le Tribunal fédéral qui doit trancher la question de savoir si l’art. 102 CP est une norme d’imputation ou une infraction sui generis afin de trancher la question de la prescription.

Droit

L’art. 102 al. 1 CP prévoit qu’un crime ou un délit qui est commis au sein d’une entreprise dans l’exercice d’activités commerciales conformes à ses buts est imputé à l’entreprise s’il ne peut être imputé à aucune personne physique déterminée en raison du manque d’organisation de l’entreprise. Dans ce cas, l’entreprise est punie d’une amende de cinq millions de francs au plus.

Le Tribunal fédéral rappelle qu’il avait laissé ouverte la question de savoir si l’art. 102 CP est une norme d’imputation ou une infraction sui generis dans son arrêt 6B_7/2014. De même, dans l’ATF 142 IV 333  (résumé in LawInside.ch/342/), le Tribunal fédéral n’a pas tranché cette question.

Selon la jurisprudence du Tribunal pénal fédéral et de celle de l’Obergericht du canton de Soleure ainsi que de la doctrine majoritaire, la question du délai de prescription dépend de l’infraction de base. La doctrine minoritaire soutient pour sa part que l’art. 102 CP constitue une infraction sui generis qui se prescrit par trois ans. En effet, en raison du fait que la peine est une amende, il s’agirait nécessairement d’une contravention, laquelle se prescrit par trois ans selon l’art. 109 CP.

Le Tribunal fédéral considère que ni le texte ni la systématique de la loi ne soutiennent cette approche minoritaire. En effet, le texte de l’art. 102 CP contient le terme « imputé » et cette norme se trouve dans la partie générale du CP, et non dans la partie spéciale.

En outre, la doctrine minoritaire voit dans l’art. 102 CP une infraction de durée en raison du manque d’organisation de l’entreprise qui perdure. La prescription débuterait ainsi dès que ce manque d’organisation prend fin. Le Tribunal fédéral rappelle qu’il a déjà rejeté cette approche dans l’arrêt 6B_7/2014. En effet, le législateur n’a pas voulu punir une entreprise en raison de ce manquement dans son organisation, mais bien en raison de l’infraction de base reprochée.

Enfin, le législateur n’avait pas l’intention de prévoir un délai de prescription de trois ans. En effet, lors de l’introduction de la responsabilité pénale de l’entreprise en 2003, l’amende faisait alors partie des sanctions traditionnelles. Transformer l’amende en peine pécuniaire n’aurait pas été envisageable. Non seulement les jours-amendes sont limités à CHF 3’000 le jour et à 360 jours, contre une amende jusqu’à 5 millions pour l’entreprise, mais en plus ils n’auraient pas pu être convertis en peine privative de liberté.

Le Tribunal fédéral rejoint ainsi la doctrine majoritaire qui considère que l’art. 102 CP constitue une norme d’imputation et non une infraction sui generis.

En l’espèce, le Ministère public a classé à tort la procédure en se fondant sur la doctrine minoritaire (celle qui soutient que l’art. 102 CP constitue une infraction sui generis se prescrivant par trois ans). Pour sa part, l’Obergericht a retenu à juste titre que les conditions de classement de la procédure pour prescription n’étaient pas réunies. Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours du Ministère public.

Note

Cet arrêt a déjà fait l’objet de deux commentaires (Katia Villard, Criminalité économique : Deuxième arrêt de principe en matière de responsabilité pénale de l’entreprise, publié le : 12 janvier 2020 par le Centre de droit bancaire et financier, https://cdbf.ch/1107/Alain Macaluso, L’article 102 CP (responsabilité pénale de l’entreprise) ne crée pas une nouvelle contravention mais constitue une norme d’imputation : le Tribunal fédéral a enfin tranché cette ancienne querelle doctrinale in www.droitpenaldesaffaires.ch du 30 décembre 2019). Cette première auteure souligne que le Tribunal fédéral n’a pas tranché « le moment de la survenance de la prescription in casu, estimant qu’il s’agit là d’une prérogative du juge du fond, qui n’appartient d’ailleurs pas davantage à la deuxième instance cantonale ».

Proposition de citation : Célian Hirsch, La prescription de la responsabilité pénale de l’entreprise (art. 102 CP), in: https://lawinside.ch/873/