La nomination de l’arbitre par le juge d’appui

ATF 141 III 444TF, 28.09.15, 4A_65/2015*

Faits

En se fondant sur une clause compromissoire, une partie met ses cocontractantes en demeure de nommer un arbitre. Celles-ci refusant d’obtempérer, une requête en désignation d’un arbitre est soumise au tribunal de première instance. Elle est déclarée irrecevable au motif qu’elle ne serait pas dirigée contre les bonnes personnes et que l’objet du litige ne serait pas suffisamment identifiable.

D’une part, il s’agit de déterminer si le recours en matière civile devant le Tribunal fédéral est ouvert contre le refus du juge d’appui de nommer un arbitre, même si cette décision n’émane pas d’un tribunal supérieur statuant sur recours.

D’autre part, le Tribunal fédéral est appelé à se prononcer sur les conditions auxquelles le juge d’appui peut décliner une requête en désignation d’un arbitre.

Droit

Pour déterminer si la voie du recours en matière civile est ouverte, il convient d’interpréter l’art. 356 al. 2 let. a CPC en lien avec l’art. 75 al. 2 LTF.

Aux termes de l’art. 356 al. 2 let. a CPC, le canton du siège du tribunal arbitral peut désigner un tribunal qui n’est pas un tribunal supérieur pour connaître en instance unique des requêtes en nomination des arbitres. Quant à l’art. 75 LTF, il prévoit que l’autorité précédant le Tribunal fédéral doit être un tribunal supérieur statuant sur recours, sauf exceptions énumérées limitativement à l’alinéa 2 de cette disposition. Il y a exception au principe de la double instance cantonale en particulier lorsqu’une loi fédérale prévoit l’institution d’un tribunal supérieur statuant en instance cantonale unique (art. 75 al. 2 let. a LTF).

A rigueur de texte, ces deux dispositions excluent un recours direct au Tribunal fédéral contre le refus de nommer un arbitre prononcé en première instance.

Toutefois, l’interprétation systématique démontre que l’arbitrage constitue une institution particulière dans le domaine de la procédure civile en général et plus spécialement s’agissant de la recevabilité du recours en matière civile, puisqu’on peut recourir directement au Tribunal fédéral contre une sentence arbitrale (art. 77 LTF). Un traitement particulier de l’arbitrage au regard de l’art. 75 al. 2 LTF n’est ainsi pas exclu.

S’agissant de l’interprétation téléologique, le refus du juge d’appui de nommer un arbitre peut empêcher définitivement l’arbitrage, ce qui porte sérieusement atteinte à l’autonomie des parties et au principe pacta sunt servanda. Une large majorité de la doctrine se prononce d’ailleurs en faveur d’une ouverture du recours en matière civile contre le refus de nommer un arbitre, en raison du besoin de protection des parties à la convention arbitrale.

Au vu de ce qui précède, il se justifie d’introduire par la voie prétorienne un recours au Tribunal fédéral contre le refus de désigner un arbitre et a fortiori d’interpréter la loi en ce sens. L’art. 356 al. 2 let. a CPC est ainsi assimilé à une disposition d’une loi fédérale prévoyant un tribunal supérieur statuant comme instance cantonale unique au sens de l’art. 75 al. 2 LTF et le refus du juge de première instance de nommer un arbitre peut faire l’objet d’un recours au Tribunal fédéral. De ce fait, le recours est recevable.

Les juges fédéraux examinent ensuite si c’est à bon droit que le juge de première instance a déclaré irrecevable la requête en nomination d’un arbitre. Le juge appelé à nommer un arbitre doit s’exécuter, sauf si un examen sommaire démontre qu’il n’existe aucune convention d’arbitrage entre les parties (art. 362 al. 3 CPC).

Selon l’ATF 118 Ia 20 relatif à l’art. 179 al. 3 LDIP (dont la lettre est presque identique à celle de l’art. 362 al. 3 CPC), le juge d’appui peut sans arbitraire refuser de nommer un arbitre malgré l’existence d’une convention d’arbitrage lorsque le litige ne présente indubitablement aucun lien avec les rapports juridiques visés par la convention arbitrale. Cet arrêt a cependant fait l’objet de vives critiques doctrinales.

Sans procéder expressément à un revirement de jurisprudence, le Tribunal fédéral estime désormais que la règle générale doit être celle du principe in dubio pro arbitro : le juge d’appui doit donner suite à une requête de nomination d’arbitre dès que l’interprétation de la convention d’arbitrage prête à discussion (en particulier eu égard au champ d’application de celle-ci) ou que l’existence d’une convention d’arbitrage applicable au litige ne peut être exclue avec certitude à l’issue d’un examen sommaire. En effet, il revient en premier lieu aux arbitres de se prononcer sur leur propre compétence (principe de la compétence-compétence).

Au regard de ce qui précède, le Tribunal fédéral conclut que c’est à tort que le juge de première instance a déclaré la requête de nomination d’arbitre irrecevable. Le recours est dès lors admis et la cause renvoyée en première instance pour désignation d’un arbitre.

Proposition de citation : Emilie Jacot-Guillarmod, La nomination de l’arbitre par le juge d’appui, in: https://lawinside.ch/98/

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