La validité de l’autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente à raison du lieu
ATF 146 III 265 | TF, 17.03.2020, 4A_400/2019*
Le défendeur qui participe à la procédure de conciliation sans remettre en question la compétence ratione loci de l’autorité de conciliation ne peut plus invoquer par la suite la question de l’incompétence de cette autorité. En revanche, lorsque le défendeur fait défaut lors de la conciliation ou conteste, dans le cadre de celle-ci, la compétence ratione loci de l’autorité de conciliation, il peut contester la validité de l’autorisation de procéder lors de la procédure au fond et exiger que la conciliation soit répétée.
Faits
Après une tentative de conciliation infructueuse, une société dépose une demande en paiement dirigée contre une deuxième société devant un tribunal neuchâtelois en se fondant sur une clause de prorogation de for. Une troisième société est appelée en cause.
Le tribunal neuchâtelois se déclare incompétent à raison du lieu, de sorte qu’une nouvelle demande est déposée devant un tribunal bernois. Par décision incidente, ce dernier la déclare recevable malgré l’absence d’autorisation de procéder délivrée par une autorité compétente. La Cour suprême du canton de Berne ayant admis l’appel formé contre cette décision incidente par la défenderesse et l’appelée en cause, la société demanderesse recourt auprès du Tribunal fédéral, concluant à ce que son action devant le tribunal bernois soit déclarée recevable.
Le Tribunal fédéral doit déterminer pour la première fois si une autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente à raison du lieu est valable lorsque l’incompétence n’est pas manifeste.
Droit
Le Tribunal fédéral distingue deux questions. La première concerne la possibilité pour l’autorité de conciliation de rendre une décision d’irrecevabilité lorsqu’elle est incompétente ratione loci. La seconde concerne la validité d’une autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente ratione loci.
En lien avec la première question, certains auteurs estiment que l’autorité de conciliation ne peut en principe pas rendre une décision d’irrecevabilité, alors que d’autres sont d’avis qu’elle peut refuser d’entrer en matière lorsqu’elle s’estime incompétente ou manifestement incompétente. Les pratiques des cours cantonales varient également.
S’agissant des cas d’incompétence matérielle, la jurisprudence fédérale considère qu’une autorité de conciliation peut refuser d’entrer en matière lorsque l’incompétence est manifeste, l’accomplissement d’actes nuls devant être évité dans la mesure du possible.
La situation diffère s’agissant de la compétence à raison du lieu, laquelle est en principe laissée à la libre disposition des parties (art. 18 CPC). Dès lors, l’autorité de conciliation ne peut prononcer une déclaration d’irrecevabilité que lorsque, cumulativement, elle est manifestement incompétente à raison du lieu et que le for est impératif, semi-impératif ou que la partie citée soulève une exception d’incompétence.
Le Tribunal fédéral examine dans un second temps la question de la validité d’une autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente à raison du lieu. Selon la jurisprudence fédérale, une telle autorisation de procéder n’est en principe pas valable lorsque l’incompétence est manifeste (ATF 139 III 273). Le Tribunal fédéral souligne toutefois que l’on ne peut pas en déduire de principes généraux, s’agissant en particulier des cas où l’incompétence n’est pas manifeste.
Sur cette question également, les pratiques cantonales et les avis doctrinaux divergent. Certains auteurs considèrent ainsi qu’une autorisation de procéder délivrée par une autorité incompétente à raison du lieu n’est jamais valable, alors que pour d’autres, ce n’est le cas que lorsque l’autorité est manifestement incompétente. Une partie importante de la doctrine est enfin d’avis que l’autorisation de procéder émanant d’une autorité incompétente ratione loci n’a pas besoin d’être renouvelée lorsque le défendeur a participé à l’audience de conciliation, a bénéficié de conditions procédurales équitables, ou encore a tacitement accepté la compétence de l’autorité de conciliation.
C’est cette troisième solution qui reçoit l’assentiment du Tribunal fédéral. Il considère ainsi que, dans les cas où le défendeur participe à la procédure de conciliation sans remettre en question la compétence ratione loci de l’autorité de conciliation, il ne saurait invoquer par la suite la question de l’incompétence de cette autorité. Il reste toutefois libre d’invoquer l’incompétence à raison du lieu du tribunal saisi au fond. En revanche, lorsque le défendeur fait défaut lors de la conciliation ou conteste, dans le cadre de celle-ci, la compétence à raison du lieu, il peut contester la validité de l’autorisation de procéder lors de la procédure au fond et exiger que la conciliation soit répétée.
En l’espèce, la société défenderesse avait invoqué la question de l’incompétence déjà au stade de la procédure de conciliation, de sorte que celle-ci doit être répétée. Le Tribunal fédéral souligne néanmoins que l’art. 63 CPC est également applicable aux cas où la demande est déclarée irrecevable en raison du fait que l’autorisation de procéder a été délivrée par une autorité de conciliation incompétente, ce qui permet la réintroduction de la requête de conciliation dans le mois.
Partant, le Tribunal fédéral rejette le recours.
Proposition de citation : Quentin Cuendet, La validité de l’autorisation de procéder délivrée par une autorité de conciliation incompétente à raison du lieu, in: https://lawinside.ch/915/