L’interdiction de la double fiction de notification et de retrait de l’opposition
ATF 146 IV 30 | TF, 21.11.19, 6B_801/2019*
La participation d’un prévenu à la procédure d’opposition devant le Ministère public n’implique pas encore qu’il ait conscience d’une convocation ultérieure par le juge de première instance et des conséquences d’un défaut à une telle audience. Par conséquent, s’il ne va pas rechercher le recommandé contenant la citation à comparaître devant le juge de première instance, on ne peut pas déduire de son absence à l’audience qu’il retire son opposition.
Faits
Après avoir fait opposition à une ordonnance pénale rendue à son encontre, un prévenu se présente à une audience au Ministère public. Le mandat de comparution y relatif prévoit que « si l’opposant, sans excuse, fait défaut à une audition malgré une citation, son opposition est réputée retirée ». Lors de cette audience, la Procureure l’avise du maintien de l’ordonnance pénale et de la transmission du dossier de la cause au Tribunal de police en vue des débats. Le Tribunal de police adresse deux mandats de comparution successifs au prévenu par plis recommandés, lesquels lui sont retournés avec la mention « non réclamé ». Il constate alors le retrait de l’opposition. Le prévenu fait recours au Tribunal cantonal, puis au Tribunal fédéral.
Le Tribunal fédéral doit se prononcer sur les conditions d’application de l’art. 356 al. 4 CPP qui prévoit que si l’opposant fait défaut aux débats devant le Tribunal de première instance sans être excusé et sans se faire représenter, son opposition est réputée retirée.
Droit
Selon la jurisprudence fédérale, la fiction de retrait de l’opposition à une ordonnance pénale pour défaut de comparution devant le Ministère public, malgré une citation (art. 355 al. 2 CPP) ne peut découler de la fiction légale de notification de la citation à comparaître (art. 85 al. 4 let. a CPP). Cette double fiction est incompatible avec la garantie constitutionnelle de l’accès au juge s’agissant des ordonnances pénales (art. 29a Cst et 6§1 CEDH). En effet, le retrait de l’opposition que la loi rattache au défaut non excusé suppose que le prévenu soit conscient des conséquences de son manquement et qu’il renonce à ses droits en toute connaissance de cause (ATF 140 IV 158). Dans l’ATF 142 IV 158 (résumé in LawInside.ch/237/), le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence relative à l’art. 355 al. 2 CPP vaut également sous l’angle de l’art. 356 al. 4 CPP, dans la mesure où il s’agit de normes correspondantes.
En l’espèce, la cour cantonale a considéré que la phase de la saisine du Tribunal de première instance (art. 356 CPP) pouvait faire l’objet d’une appréciation différente de celle se déroulant devant le Ministère public (art. 355 CPP), dès lors que l’opposant se savait partie à une procédure pénale. Dans la mesure où il avait lui-même admis avoir activement participé à la procédure devant le Ministère public et n’ignorait pas que son opposition l’amènerait devant le Tribunal de police, il devait, selon elle, s’attendre à recevoir un acte judiciaire et donc prendre des dispositions pour relever son courrier.
Le Tribunal fédéral rejette cette approche et considère que, par son raisonnement, la cour cantonale admet précisément une double fiction interdite (fiction de notification et fiction de retrait de l’opposition), s’écartant expressément de la jurisprudence publiée en la matière. Il retient que la mention contenue dans le mandat de comparution à l’audience devant le Ministère public ne permet pas de retenir que le prévenu avait effectivement connaissance de la citation à comparaître devant le juge de première instance ainsi que des conséquences d’un défaut à cette audience-ci. En outre, si lors de l’audience devant le Ministère public, la Procureure a informé le prévenu qu’elle maintenait son ordonnance et allait transmettre le dossier au tribunal, elle n’a toutefois pas précisé qu’il y serait alors convoqué ni ne l’a informé des conséquences d’un défaut. Faute de pouvoir établir une connaissance effective de la convocation et des conséquences d’un défaut, on ne saurait retenir que le prévenu aurait renoncé à ses droits en connaissance de cause. Au contraire, en formant opposition à l’ordonnance pénale et en se rendant à l’audition devant le Ministère public, celui-ci a manifesté son intention d’être jugé par un tribunal. Le Tribunal fédéral admet donc le recours.
Note
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral confirme la jurisprudence publiée en matière de fiction de retrait de l’opposition.
Il soulève également que la mention dans l’ATF 142 IV 158 cons. 3.5 (résumé in LawInside.ch/237/) selon laquelle la citation à comparaître devrait être envoyée une seconde fois lorsque la première vient en retour avec la mention « non réclamé » n’a aucune portée s’agissant de l’interdiction de la double fiction. En effet, un second envoi de la citation à comparaître ne permet pas de passer outre le principe selon lequel les fictions de notification et de retrait de l’opposition ne peuvent s’appliquer à l’opposant dont on ne peut établir qu’il avait une connaissance effective de la convocation et des conséquences d’un défaut à l’audience en cause.
Proposition de citation : Noémie Zufferey, L’interdiction de la double fiction de notification et de retrait de l’opposition, in: https://lawinside.ch/870/
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