La condamnation d’un automobiliste grâce à la recherche automatisée de véhicule
ATF 146 I 11 | TF, 07.10.2019, 6B_908/2018*
La mise en place d’une recherche automatisée de véhicules et de surveillance du trafic constitue une atteinte au droit à l’autodétermination informationnelle. En l’absence de base légale formelle, la preuve recueillie à l’aide de ce système est illicite. La preuve est en outre inexploitable lorsqu’il ne s’agit pas d’une infraction grave.
Faits
Grâce à la mise en place d’une recherche automatisée de véhicules et de surveillance du trafic (RVS), la police du canton de Thurgovie découvre qu’un conducteur a conduit à trois reprises un véhicule automobile sans toutefois disposer du permis nécessaire. Alors que le Bezirksgericht d’Arbon l’acquitte pour ces faits, l’Obergericht de Thurgovie le condamne à 140 jours-amendes.
Le conducteur dépose un recours auprès du Tribunal fédéral, lequel est amené à examiner la légalité de l’utilisation d’une RVS.
Droit
La recherche automatisée de véhicules et de surveillance du trafic (RVS) permet, à l’aide de caméras, de traiter automatiquement les données des plaques d’immatriculation des véhicules. Ce système augmente ainsi de manière importante l’intensité de la surveillance policière, bien que les données ne soient conservées que pendant 30 jours au maximum.
L’art. 13 al. 2 Cst. prévoit que toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent. Le droit à l’autodétermination informationnelle protège non seulement contre l’utilisation abusive de données personnelles, mais couvre en principe également l’ensemble des activités gouvernementales liées aux données, telles que la perception, la collecte, le stockage, la sauvegarde, le traitement ainsi que la transmission et la communication à des tiers (cf. notamment l’ATF 145 IV 42, résumé in LawInside.ch/711/). La protection de la sphère privée ne se limite pas aux lieux privés, mais s’étend également à la sphère publique privée (privatöffentlichen Bereich). Par conséquent, le champ d’application de l’art. 13 Cst inclut également les situations de vie à contenu personnel qui se produisent dans les espaces publics.
Comme tous les droits fondamentaux, le droit à l’autodétermination informationnelle peut être limité aux conditions prévues à l’art. 36 Cst., notamment l’existence d’une base légale formelle lorsque la restriction du droit fondamental est grave. Dans l’intérêt de la sécurité juridique et de l’application égale du droit, le principe de la légalité exige également une prévisibilité suffisante et appropriée des principes juridiques applicables. Ceux-ci doivent être formulés avec suffisamment de précision pour permettre aux justiciables d’adapter leur comportement en conséquence et de reconnaître les répercussions d’un comportement particulier avec un degré de certitude adapté aux circonstances.
En l’espèce, la RVS permet la fusion et la comparaison automatique des données collectées avec d’autres données en quelques fractions de seconde. La possibilité d’une utilisation ultérieure (secrète) par les autorités et le sentiment de surveillance qui en découle peuvent considérablement entraver l’autodétermination (« chilling effect« , « effet dissuasif »). De plus, à l’aide du rapport du Préposé du canton de Thurgovie, le Tribunal fédéral constate que les résultats de la RVS contiennent un taux d’erreur significatif. Partant, la RVS constitue une atteinte grave à l’autodétermination informationnelle. Une base légale au sens formel est ainsi nécessaire.
Afin que le droit à l’autodétermination informationnelle soit protégé de manière efficace, divers éléments concernant l’information revêtent une importance considérable. En particulier, il est nécessaire que la finalité, l’étendue de la collecte ainsi que le stockage et la suppression des données collectées soient suffisamment déterminés. En outre, des garanties organisationnelles, techniques et procédurales sont nécessaires, sauf si elles résultent de la législation relative à la protection des données ou d’autres dispositions.
En l’espèce, aucune des dispositions de la Polizeigesetz des Kantons Thurgau du 9 novembre 2011 (PolG/TG; RB 551.1) ne contient une base légale suffisante pour mettre en place une RVS. Bien que certaines normes prévoient quelles données peuvent être utilisées ultérieurement et à quelles fins, les usagers de la route ne peuvent pas prédire quelles informations seront collectées, stockées et reliées ou recoupées avec d’autres bases de données. Partant, les preuves récoltées à l’aide de la RVS sont illicites.
Reste à déterminer si, malgré leur caractère illicite, les preuves récoltées à l’aide de la RVS sont néanmoins exploitables.
Le Tribunal fédéral doit en premier lieu déterminer si le CPP est applicable à la RVS. En effet, dans un arrêt non destiné à la publication, il a considéré que le recueil de preuve lors de contrôles de vitesse n’était pas soumis au CPP (6B_372/2018).
La distinction entre l’activité policière et celle relevant du droit pénal procédural est floue dans la pratique. Toutefois, si, dans le cadre de ses activités de contrôle préventif, la police détecte des infractions pénales, elle exécute des tâches de police criminelle. Ainsi, et même si elles sont recueillies dans le cadre d’activités policières préventives, les règles relatives à l’exploitabilité des preuves du CPP (art. 140 s. CPP) doivent être respectées. L’art. 141 al. 2 CPP prévoit que les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ne sont exploitables qu’à la condition que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves, ce qui comprend avant tout les crimes.
En l’espèce, la preuve recueillie à l’aide de la RVS est une preuve illicite au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Or les infractions reprochées ne sont que des délits, et non des crimes. Partant, la preuve illicite doit être déclarée inexploitable en application de l’art. 141 al. 2 CPP.
Le Tribunal fédéral admet ainsi le recours.
Note
En moins de deux semaines, le Tribunal fédéral a rendu en matière d’exploitabilité de preuves en procédure pénale deux arrêts importants, destinés à la publication et accompagnés de communiqués de presse. Alors que le premier arrêt concerne la licéité et l’exploitabilité d’une preuve recueillie par un particulier (arrêt de la Dashcam : 6B_1188/2018*, résumé in : LawInside.ch/837), l’arrêt résumé ci-dessus concerne une preuve recueillie par une autorité pénale.
Dans les deux cas, le Tribunal fédéral a considéré que la preuve était illicite. En effet, son recueil portait atteinte à la personnalité du prévenu dans le premier arrêt et il manquait une base légale cantonale dans le second.
Dans les deux cas, le Tribunal fédéral a également considéré que la preuve illicite était inexploitable car les infractions reprochées n’étaient pas « graves » au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. En effet, il ne s’agissait que de délits, et non de crimes (art. 10 CP).
Concernant l’exploitabilité à charge d’une preuve recueillie par un particulier dans une procédure pénale, nous pouvons proposer au lecteur le petit schéma ci-dessous :
Proposition de citation : Célian Hirsch, La condamnation d’un automobiliste grâce à la recherche automatisée de véhicule, in: https://lawinside.ch/839/
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